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La conférence de Paris sur le climat n’empêchera pas la planète de brûler

Les négociateurs gouvernementaux réunis à Paris se penchent sur des détails banals, cherchant à savoir comment et quand les pays devraient se décider à revoir à la hausse leurs engagements volontaires

En dépit des affirmations des dirigeants du monde entier, les négociations tant vantées de la COP21 de Paris ont été tuées dans l’œuf.

Les objectifs de réductions d’émissions ne sont pas sujets à discussion. Ces engagements sont déjà sur la table, après avoir été avancés volontairement par chaque pays.

Les négociateurs gouvernementaux réunis à Paris se penchent à la place sur des détails banals, cherchant à savoir comment et quand les pays devraient se décider à revoir à la hausse leurs engagements volontaires et à garantir la « transparence » et la « responsabilité ».

Une catastrophe ?

Mais les promesses actuelles en matière d’émissions garantissent déjà un désastre. Un rapport de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) publié en octobre a calculé qu’« en comparaison avec les niveaux d’émission compatibles avec les scénarios à 2 °C les moins coûteux, les niveaux mondiaux d’émissions de GES [gaz à effet de serre] résultant des INDC [contributions décidées au niveau national] devraient augmenter de 8,7 (de 4,7 à 13,0) Gt d’équivalent CO2 (19 %, fourchette de 10 % à 29 %) d’ici 2025, et de 15,1 (de 11,1 à 21,7) Gt d’équivalent CO2 (35 %, fourchette de 26 % à 59 %) d’ici 2030 ».

Les objectifs gravés dans le marbre avant Paris sont en d’autres termes déjà insuffisants pour éviter une hausse mondiale de la température moyenne de 2 °C, convenue par les décideurs comme étant la limite de sécurité au-delà de laquelle la planète entrerait dans la sphère d’un changement climatique dangereux.

Selon le rapport de la CCNUCC, « un effort de réduction des émissions supérieur aux efforts associés aux INDC sera nécessaire dans la période suivant 2025 et 2030 pour maintenir la hausse de la température sous la barre des 2 °C de hausse par rapport aux niveaux préindustriels ».

Toutefois, avancer des réductions encore plus ambitieuses pour la période post-2030 n’est « plus réaliste », selon Tommi Ekholm, scientifique au Centre de recherche technique (VTT) de Finlande, qui vient d’entreprendre une analyse complète des objectifs d’émissions de 159 pays. « Il est donc extrêmement important de rendre les objectifs d’émissions actuels pour 2030 plus ambitieux. »

Il y a quatre ans, une équipe de scientifiques a conclu dans la revue Nature que nous pourrions franchir la barre fatidique des 2 °C peu après la moitié du siècle, après 2060.

Encore deux décennies

Cependant, plus les scientifiques apprennent de choses, plus ils comprennent que nous continuons de sous-estimer les risques. L’année dernière, dans une analyse publiée dans le magazine Scientific American, le professeur Michael Mann de l’université d’État de Pennsylvanie a expliqué que de nouvelles recherches ont montré que la barre fatidique des 2 °C pourrait être passée en à peine vingt ans à notre taux d’émissions actuel.

Cela implique de limiter les concentrations atmosphériques mondiales de dioxyde de carbone (CO2) à environ 405 parties par million (ppm).

Même cette affirmation est basée sur « une définition conservatrice de la sensibilité climatique qui prend uniquement en compte les prétendus effets rapides dans le système climatique, tels que les changements observés au niveau des nuages, de la vapeur d’eau et de la fonte des glaces en mer, a expliqué Mann. Certains scientifiques spécialistes du climat, dont James E. Hansen, ancien directeur de l’Institut Goddard des études spatiales de la NASA, soutiennent que nous devons également tenir compte des effets plus lents tels que les changements observables au niveau des calottes glaciaires continentales. »

Cela implique que le seuil de sécurité de la concentration atmosphérique de CO2 se situe en réalité en deçà de 350 ppm.

« Nous sommes bien partis pour dépasser ces limites, a écrit Mann. En 2013, la concentration atmosphérique de CO2 a brièvement atteint 400 ppm pour la première fois dans l’histoire, et peut-être même pour la première fois en plusieurs millions d’années selon des preuves géologiques. Pour éviter de dépasser le seuil des 405 ppm, il serait essentiel que la combustion de combustibles fossiles cesse immédiatement. »

La terraformation de la Terre

Notre situation actuelle, au bord du seuil des 400 ppm, pourrait bien déjà donner lieu à une planète « radicalement altérée » dans le long terme, selon Jeff Severinghaus, géoscientifique à l’Institut d’océanographie Scripps.

Au cours du Pliocène, trois à cinq millions d’années en arrière, les niveaux de CO2 atteignaient environ 415 ppm. À cette époque, les températures moyennes mondiales étaient supérieures d’environ 3 à 4 °C et le niveau de la mer était supérieur de 5 à 40 mètres par rapport à aujourd’hui.

Un précédent rapport de la CCNUCC résumant les conclusions de 70 experts scientifiques a indiqué que pour éviter un changement climatique dangereux, « une transformation fondamentale du système énergétique et une baisse à zéro des niveaux d’émissions mondiales de GES d’ici 2100 » étaient nécessaires.

« Limiter le réchauffement planétaire à moins de 2 °C nécessite une transition radicale (décarbonisation profonde aujourd’hui comme à l’avenir) et pas seulement un ajustement des tendances actuelles », a souligné le rapport.

Pourtant, la décarbonisation profonde n’est même pas mentionnée à Paris.

« Un des principaux points [...] qui ne sont pas du tout abordés dans les négociations concerne la limite à imposer à l’extraction de combustibles fossiles », a affirmé Pablo Solón, ancien négociateur en chef en charge des questions climatiques pour le gouvernement bolivien et ancien ambassadeur de l’ONU. « Pas un seul dirigeant et pas un seul pays n’a proposé de négocier un texte indiquant qu’il faille laisser 80 % des combustibles fossiles sous terre. Et si l’on ne laisse pas de combustibles fossiles sous terre, comment va-t-on limiter les émissions de gaz à effet de serre qui proviennent principalement de l’extraction de combustibles fossiles ? »

L’accord ne contiendra pas non plus de dispositions juridiquement contraignantes là où cela compte vraiment, à savoir le respect des engagements pris en matière de réductions d’émissions. Les pays seront juridiquement contraints de donner leurs objectifs. Ils ne seront tout simplement pas juridiquement contraints de les atteindre. Ceci afin que le plus grand nombre possible de pays puissent être encouragés à signer pour ce qui peut être décrit comme un accord « juridiquement contraignant », aussi inefficace soit-il en pratique.

La militarisation de la planète

Pendant ce temps, alors que les autorités françaises ont exploité l’augmentation draconienne de leurs pouvoirs dans le cadre de la lutte contre le terrorisme pour interdire le rassemblement principal pour le climat, réprimer les manifestations à plus petite échelle et arrêter et détenir des dizaines de militants pour le climat, l’Europe se mobilise pour participer aux frappes aériennes en Syrie de la coalition dirigée par les États-Unis.

Après les attentats du 13 novembre, la France a accéléré ses frappes aériennes contre les cibles de l’État islamique en Syrie, rapidement suivie par la Grande-Bretagne et maintenant par l’Allemagne, qui prévoit d’envoyer six avions Tornado et 1 200 soldats pour soutenir les forces de la coalition.

L’ironie de cette démarche est tranchante. Il est maintenant de plus en plus reconnu qu’avant le « Printemps arabe », un cycle de sécheresses induites par le changement climatique a poussé un million d’agriculteurs majoritairement sunnites de Syrie à migrer vers les villes côtières sous domination alaouite.

Cet afflux soudain a attisé des tensions sectaires, et accentué la pression sur un régime souffrant déjà de revenus en déclin en raison de la baisse des exportations pétrolières et de la flambée des prix alimentaires. Cette dernière a été exacerbée alors que des mauvaises récoltes successives déclenchées par des événements météorologiques extrêmes ont émaillé les années qui ont précédé 2011 dans les principales régions productrices de nourriture.

En mai, la revue Proceedings of the National Academy of Sciences a publié une étude scientifique qui a conclu que le changement climatique a amplifié la sécheresse en Syrie jusqu’à des niveaux records, catalysant les troubles civils pour les transformer en un soulèvement à part entière.

En 2011, la réponse initiale de l’Occident a été d’espérer que le président Bachar al-Assad soit en mesure d’annihiler les soulèvements par la violence.

« Mon jugement est que la Syrie va bouger ; la Syrie va changer car elle adhère à une relation légitime avec les États-Unis et l’Occident, aux opportunités économiques qui vont avec et à la participation qui va avec », avait annoncé John Kerry, qui avait rencontré Assad à plusieurs reprises l’année précédente.

Hillary Clinton l’avait décrit comme un « réformateur » alors même que ses forces de sécurité avaient réprimé des manifestations pacifiques, l’encourageant ainsi à aller jusqu’à tirer sur les gens dans les rues.

La mainmise sur les combustibles fossiles syriens

De quelles « opportunités économiques » Kerry parlait-il ?

Peu de gens sont au courant de la convergence d’intérêts de compagnies pétrolières américaines, britanniques, françaises et israéliennes dans l’exploitation des ressources pétrolières et gazières non conventionnelles de la Syrie, qui seraient considérables.

Un document à l’intention du ministère syrien du Pétrole révèle qu’à peine quelques mois avant le soulèvement, le géant britannique du pétrole Shell était sur le point de « concevoir un plan directeur pour le développement du secteur du gaz en Syrie suite à un accord signé avec le ministère du Pétrole. L’accord comprend une évaluation des réserves potentielles totales de gaz non découvertes en Syrie, du potentiel de production de gaz en amont, du besoin en réseaux de transport et de distribution de gaz [...] »

CGGVeritas, une firme soutenue par le gouvernement français, avait mené des enquêtes sismiques estimant le potentiel total d’hydrocarbures offshore de la Syrie à un niveau atteignant « plusieurs milliards de barils ». Une étude réalisée par la firme a été publiée en 2011 par GeoArabia, une revue spécialisée dans l’industrie pétrolière basée à Bahreïn et parrainée par Chevron, ExxonMobil, Saudi Aramco, Shell, Total et BP.

Total, un autre géant français, a également travaillé avec Assad à cette époque.

Plus récemment, une autre firme américaine ayant des intérêts en Syrie a été Genie Oil and Gas, dont une filiale israélienne a reçu en 2013 l’autorisation du gouvernement israélien pour explorer le Golan syrien, contrôlé par Israël depuis la capture du territoire à la Syrie en 1967.

Début novembre, lors d’une réunion privée, le Premier ministre Netanyahou a personnellement demandé à Barack Obama si le droit d’accès d’Israël au Golan pouvait être accepté par les États-Unis, ce à quoi le président américain n’aurait pas formulé d’objection.

Le conseil d’administration de Genie est un mélange intéressant qui comprend entre autres l’ancien directeur de la CIA James Woolsey, l’ancien vice-président Dick Cheney, le baron mondial des médias Rupert Murdoch, l’ancien conseiller économique d’Obama Larry Summers ou encore le secrétaire au Commerce nommé par Obama Bill Richardson.

« Nous voulons un nouvel État syrien comprenant certains de ceux qui le combattent et aident sur le terrain », a déclaré le secrétaire d’État britannique à la Défense Michael Fallon.

Il ne fait aucun doute que les firmes pétrolières américaines, britanniques, françaises et israéliennes espèrent être bien positionnées pour tirer profit de ce « nouvel État syrien » dans la Syrie post-conflit.

Toutefois, ceci ne sera nullement bénéfique pour l’accord sur le climat grandement compromis qui doit être ratifié par leurs gouvernements à Paris.

- Nafeez Ahmed est journaliste d’investigation et auteur à succès. Titulaire d’un doctorat, il s’est spécialisé dans les questions de sécurité internationale, examinant ce qu’il appelle les « crises de civilisation ». Il a obtenu une récompense de la part de l’organisation Project Censored dans la catégorie « Outstanding Investigative Journalism » (« journalisme d’investigation d’exception ») pour un reportage d’investigation, publié par le journal The Guardian, sur l’intersection des crises globales de nature écologique, énergétique et économique et des conflits et géopolitiques régionales. Il a également écrit pour The Independent, Sydney Morning Herald, The Age, The Scotsman, Foreign Policy, The Atlantic, Quartz, Prospect, New Statesman, Le Monde diplomatique et New Internationalist. Son travail sur les causes profondes et les opérations secrètes liées au terrorisme international a officiellement contribué à l’établissement de la Commission nationale sur les attaques terroristes contre les États-Unis du 11 septembre 2001 et à l’enquête du Coroner sur les attentats du 7 juillet 2005 à Londres.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des manifestants déploient une banderole « Fausses solutions COP21 – Pas de paix sans justice climatique » en face du Grand Palais de Paris en marge de l’exposition « Solutions COP21 », le 4 décembre 2015, dans le cadre de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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