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La défaite en trompe-l’œil du Front national

Quasiment un tiers des Français ayant participé à ces élections a voté en faveur d’un parti ultranationaliste, xénophobe et raciste ; cela changera très difficilement à court terme

Les estimations quant à la possibilité pour le Front national (FN) de rafler « plusieurs régions » à l’occasion des élections régionales de décembre 2015 ont finalement été démenties. Le FN se voit ainsi privé de victoire concrète sur son territoire national, alors que les élections européennes de mai 2014 l’avaient consacré.

Mais l’absence d’obtention de présidence de région ne saurait incarner à elle seule le curseur de victoire ou de défaite. Le parti dirigé par Marine Le Pen peut en effet, dans le fond, se targuer d’avoir connu une victoire, grâce notamment aux fondements de la stratégie que celle-ci a mise en place. Les autres partis de la scène politique française, et les membres de la classe politique en général, sauront-ils en prendre acte ?

À qui la faute ? Ou de l’art de se poser les fausses questions…

Qui n’a pas entendu gloser par-ci par-là sur le FN, sur la responsabilité des « autres » partis politiques (à commencer par le Parti socialiste (PS) et Les Républicains) voire des médias dans son affirmation, sur le déploiement par certains leaders politiques de certaines stratégies électoralistes faisant le lit de la formation frontiste, et ainsi de suite… on pourrait chercher pendant longtemps l’origine du phénomène, et toujours trouver des responsabilités potentielles à attribuer de part et d’autre. Sans prétendre pouvoir démêler l’écheveau, il nous semble cependant que le FN tire parti à la fois de mutations qui lui sont propres et d’un désenchantement populaire qui est loin de se limiter aux Français.

Ainsi, la stratégie de « dédiabolisation » engagée par Marine Le Pen de son parti a permis de faire tomber une part du tabou qui prévalait précédemment à l’encontre du Front. Dans le même temps, le nombre de voix dont a bénéficié le FN reflète dans une bonne mesure l’expression par les Français de leur désenchantement face aux politiques et à leurs politiques, égales selon eux aux niveaux tant européen que national. Le taux de participation constaté lors du premier tour (49% de participation, donc 51% d’abstention) explique aussi, dans une certaine mesure, le bénéfice récolté par le FN à chaque fois que la majorité fait silence, mais ce de manière extrêmement relative.

Pour autant, il ne faut pas non plus oublier que, abstention majoritaire ou non, le FN est bel et bien un choix assumé par une majorité des électeurs se rabattant sur lui ; on ferait ainsi bien de rationaliser son succès et de chercher à le comprendre plutôt que de lui supposer des relents extraordinaires et inhabituels.

Le passage de « l’ère Jean-Marie » à « l’ère Marine », et la stratégie mise en place par cette dernière, ont peut être privilégié l’exercice d’un vote FN qui se fait en bonne conscience ; mais cela n’explique pas tout. Le vote FN n’est finalement pas plus rare ou exceptionnel que les voix exprimées en faveur du parti de la gauche radicale Syriza en Grèce. Loin d’être dotées d’un caractère d’exception, les voix en faveur du FN traduisent plutôt la confirmation de l’entrée de ce parti dans la sphère politique traditionnelle française. S’il n’est pas encore considéré fréquentable par les faits, le FN l’est maintenant par le vote, chose plus importante encore.

En effet, malgré les apparences, ramené à ses intérêts, le FN est bien mieux loti maintenant qu’il a échoué à rafler une quelconque présidence de région. Ses critiques à l’encontre des gagnants de ces élections et des partis politiques qu’ils représentent ne pourront s’en faire que plus acerbes, contribuant en retour à renforcer sa stature d’alternative à l’inefficacité des politiques ambiantes.

Il ne faut pas pour autant s’attendre à ce que le parti rafle la présidence française en 2017. Cela dit, le FN bénéficie en retour d’une base électorale qui devrait difficilement connaître une baisse conséquente. Même si l’idée déplaît, elle est évidente : quasiment un tiers des Français ayant participé à ces élections a voté en faveur d’un parti ultranationaliste, xénophobe et raciste ; et cette option de leur part changera très difficilement à court terme.

Humilité et authenticité. Ou à la recherche du remède perdu

Y a-t-il un moyen efficace permettant d’enrayer les tendances inquiétantes que l’on voit se profiler tant en France (avec le FN) qu’en Pologne, en Hongrie, en Allemagne, en Grèce, voire en Suède ? 

Évidemment, la réponse courte à cette question consisterait à user d’une phrase surannée et tant de fois éprouvée prônant par exemple « une refonte des orientations et des engagements des partis politiques et de leurs dirigeants de manière XYZ et de façon à ce que la reconnexion avec les citoyens puisse se faire», ou toute autre affirmation de cet acabit. Il existe pourtant un barrage plus efficace à des frustrations populaires qui se traduisent naturellement par des options politiques et électorales radicales type FN.

Ainsi, les Français préfèreront toujours l’original à la copie. Le fait pour le PS et les LR d’adopter un ton et/ou des politiques qui, dans les faits, ne sont à bien des égards qu’une pâle copie de ce qui est prôné depuis des années par le FN n’abonde en rien dans leur sens. Si le PS – ou plus exactement le gouvernement en place – croyait avoir pu capitaliser sur les dispositions ultra-sécuritaires qu’il a adoptées au lendemain des attentats de janvier puis de novembre 2015, alors les régionales ont prouvé combien cette idée était erronée.

Car s’il y a besoin de reconnexion de la part des partis politiques, celui-ci s’exprime plutôt en faveur de leur retour aux sources : les partis ont un besoin urgent de se reconnecter avec leurs valeurs originelles. C’est même là une condition vitale pour qu’ils puissent prétendre à un vote de conviction s’exprimant en leur faveur – situation idéale, voire normale – plutôt qu’à un vote de circonstance leur bénéficiant par défaut – situation au demeurant peu flatteuse.

Par ailleurs, si les hommes politiques ont de tous temps – et le plus souvent – été considérés comme des personnalités privilégiant la rhétorique attrayante – voire trompeuse – à l’action concrète et constructive, force est de constater que leur énonciation de promesses jamais tenues a maintenant valeur de propension plutôt que de possibilité. La liste de promesses non tenues par chacun des trois derniers présidents de la République – Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande – et la manière par laquelle les médias en font leurs choux gras expliquent en bonne partie le discrédit, le dédain et, au final, la situation de crise par laquelle passent beaucoup de partis politiques situés à l’échelle tant française qu’européenne. Les hommes politiques doivent aussi se reconnecter avec un sens de la responsabilité et de l’éthique, de manière à pouvoir légitimement prétendre au leadership.

Enfin, on ne saurait assez insister sur le sens du devoir qui devrait s’imposer aux leaders européens lorsque vient pour eux l’heure de se montrer à la hauteur de leurs responsabilités et de respecter leurs engagements. Nous entendons par là que le projet européen – l’idée d’une Union européenne – a par trop été maltraité, à coup de prétextes aussi divers et variés que la crise économique, le danger supposément incarné par les réfugiés (et, un malheur n’arrivant jamais seul, par les musulmans et/ou arabes d’entre eux…), les effets du terrorisme et la nécessité de leur opposer des mesures sécuritaires restrictives pour tout un champ de libertés citoyennes, et ainsi de suite.

Les élections régionales françaises ont montré comment ces tendances ne servaient pas – ou ne servaient que rarement – les partis prônant de telles dispositions ; par extension, elles ne font que porter tort à l’UE, aux fondations et aux structures qui la sous-tendent, et partant à l’idée d’un bien commun qui pourrait bénéficier à l’ensemble des Européens indépendamment de la question des affiliations politiques. Menée à son terme, cette logique – et la mort de l’UE qui la sous-tend – rendrait à coup sûr les rêves d’accès au pouvoir du FN et consorts plus qu’une probabilité… une réalité difficilement contournable.

L’urgence de la reconnexion

En 2006, alors qu’il était candidat à la présidence française, Nicolas Sarkozy prônait la nécessité d’une « rupture tranquille ». Or, aujourd’hui, les temps requièrent plutôt de la part des hommes politiques français une « reconnexion rapide » avec les idéaux de leurs partis, les responsabilités inhérentes à leurs fonctions et la mise en perspective d’un esprit de solidarité qui dépasse le cadre du territoire national.

Pour l’heure, et dans les apparences s’entend, il n’est que sur ce troisième point – son manque de foi dans les vertus de l’UE – que Marine Le Pen fait défaut. Que l’UE s’effondre et la voie sera très probablement ouverte, esprit souverainiste et réflexes de protection obligent, à l’exercice du pouvoir par le FN. S’il est un message à retenir du résultat des élections régionales de décembre 2015, c’est là qu’il réside. L’échec du FN à faire la différence lors de ces échéances régionales n’est en effet qu’une défaite en trompe-l’œil ; c’est des autres partis politiques que dépend la possibilité de le voir ou non assuré un jour de l’exercice du pouvoir.

- Barah Mikaïl est directeur de recherche à la FRIDE (www.fride.org) et professeur associé à l’université Saint Louis de Madrid. Il a travaillé auparavant à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS, 2002-2011). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et publications spécialisées. Son dernier livre, Une nécessaire relecture du « Printemps arabe », est paru aux éditions du Cygne en 2012.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : la présidente du Front national, Marine Le Pen (AFP).

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