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La disparition de Jamal Khashoggi prouve que l’Arabie saoudite est un État voyou

Si le régime saoudien a assassiné Khashoggi, cela confirmera que Mohammed ben Salmane est le chef d’un État voyou qui déploie des stratégies meurtrières à l’extérieur de ses frontières

Le mystère entourant la disparition du journaliste saoudien Jamal Khashoggi à Istanbul n’est toujours pas résolu une semaine après sa visite au consulat d’Arabie saoudite, où il souhaitait obtenir des documents en vue de son mariage avec une Turque.

L’affaire Khashoggi ne se résume pas à la disparition – et au possible meurtre – d’un journaliste critique. Il s’agit de l’élimination d’un transfuge, un critique issu des couloirs sombres de la cour royale. Par conséquent, cette affaire a pris une importance et une aura de mystère plus grands que toute autre.

En outre, l’incident ne se résume pas à un régime répressif éliminant avec succès ses détracteurs à l’étranger tout en lançant une campagne de détention généralisée entre ses frontières. De nombreux régimes assoiffés de sang appliquent de telles mesures à travers le monde. Dans le monde arabe, des escadrons de la mort placés sous le commandement des présidents et de leurs fils violents ont déjà pris pour cible des dissidents à l’étranger par le passé.

Israël a maîtrisé cet art et l’a porté à de nouveaux sommets en assassinant de nombreux dirigeants palestiniens à Paris, Londres, Beyrouth, Tunis et Dubaï.

Aucune preuve concluante

Deux récits ont émergé, lesquels ne fournissent aucune preuve concluante concernant ce qui est arrivé à ce journaliste qui était devenu – il y a un an à peine – un critique virulent du régime saoudien et en particulier du prince héritier, Mohammed ben Salmane.

La police turque a annoncé que Khashoggi avait été tué à l’intérieur du consulat. Bien entendu, les Saoudiens ont immédiatement démenti ces accusations et ont même proposé d’autoriser la police turque à accéder aux locaux. Ils ont ensuite proposé d’envoyer une équipe d’enquêteurs pour aider à retrouver le journaliste disparu.

Nous ne saurons peut-être jamais exactement ce qui est arrivé à Jamal Khashoggi, mais cette affaire reste un scandale profondément choquant qui ternira pendant longtemps la réputation du prince héritier

Nous ne saurons peut-être jamais exactement ce qui est arrivé à Jamal Khashoggi, mais cette affaire reste un scandale profondément choquant qui ternira pendant longtemps la réputation du prince héritier.

En dépit du bon sens, de nombreux analystes occidentaux établissent une distinction entre les républiques arabes et la monarchie saoudienne, considérant cette dernière comme agitant plus de carottes que de bâtons en ce qui concerne ses dissidents. La cooptation des dissidents plutôt que leur élimination est considérée comme une stratégie royale avisée contre la dissidence.

Un cas unique

Cette image erronée n’a jamais été vraie par le passé. De l’enlèvement du dissident saoudien Nasser Saïd à Beyrouth en 1979 à la disparition de Jamal Khashoggi, le régime saoudien s’avère aussi impitoyable que de nombreux dictateurs du monde entier. La seule différence est que les Saoudiens s’en tirent en toute impunité.

Trois raisons font de la disparition de Khashoggi un cas unique.

Premièrement, Jamal Khashoggi n’est pas le dissident habituel, une figure marginalisée animée par une idéologie et une rébellion contre la monarchie. Ni libéral ni islamiste, Khashoggi était un défenseur tranquille et poli du royaume, qui s’exprimait bien. Ses réserves sur la politique saoudienne ont toujours été subtiles et tolérées.

Il a critiqué le conservatisme religieux et appelé à moins de contrôle religieux et davantage de libertés personnelles. Il n’a jamais imaginé une Arabie saoudite sans les dirigeants issus de la famille al-Saoud, appelant toujours à une plus grande tolérance de la diversité du pays et de ses traditions religieuses.

Khashoggi a été très proche du pouvoir pendant plusieurs décennies. Cela signifiait peut-être qu’il en savait trop

Il se décrivait lui-même comme un nationaliste saoudien cherchant une plus importante saoudisation du marché, plus de possibilités d’emploi pour les jeunes et moins de dépendance vis-à-vis de l’aide étrangère.

Khashoggi a adhéré aux réformes sociales tardives du prince héritier Mohammed ben Salmane et a salué la prétendue égalité des sexes accompagnant l’autorisation des femmes à conduire. Khashoggi a toujours insisté sur le fait qu’il n’était pas un opposant mais un journaliste qui voulait continuer à écrire.

Cependant, cela était devenu difficile car il avait été suspendu de divers médias saoudiens. Il a insisté sur le fait que c’était intolérable et il est apparu soudainement à Washington où il a commencé à écrire des chroniques dans le Washington Post, un privilège dont jouissent peu de dissidents saoudiens.

Trop proche du pouvoir

Deuxièmement, Khashoggi a été très proche du pouvoir pendant plusieurs décennies. Cela signifiait peut-être qu’il en savait trop. Il avait eu des contacts avec le prince Turki al-Fayçal, ancien directeur des services de renseignement saoudiens, alors qu’il était son conseiller, à Londres et à Washington, où le prince fut brièvement ambassadeur d’Arabie saoudite.

Mohammed ben Salmane, prince héritier saoudien, aux Nations unies le 27 mars 2018 (AFP)

Khashoggi a dû avoir accès à tout un éventail d’informations mais il a gardé les secrets avec soin et n’a jamais divulgué d’informations sensibles au public, même lorsqu’il est retourné à Washington il y a un an pour déclarer son mécontentement vis-à-vis des récents événements survenus sous la direction de Mohammed ben Salmane.

Auparavant, il s’était rapproché du prince al-Walid ben Talal, qui l’avait choisi pour diriger sa nouvelle chaîne de télévision basée à Bahreïn, Alarab, projet qui ne dura que deux heures avant d’être clos à tout jamais sous la pression du régime saoudien.

Khashoggi était un loyaliste de confiance jusqu’à ce que Mohammed ben Salmane devienne l’unique maître de l’Arabie saoudite en 2015. Les choses ont commencé à mal tourner pour Khashoggi avec la relève de la garde à Riyad. Il s’est brouillé avec le régime saoudien et a préféré s’exiler à Washington.

Pourquoi Washington ?

Washington n’est pas l’endroit où le régime saoudien souhaite voir ses transfuges. En tant que capitale des lobbyistes et des experts, Washington doit être préservée des opinions critiques respectables telles que celles de Khashoggi, lesquelles pourraient influencer les politiciens et les décideurs américains dans leurs relations avec l’Arabie saoudite.

Alors que le président des États-Unis Donald Trump a accordé tout son soutien au régime saoudien, ce dernier craint que Khashoggi ne brise le discours présentant l’Arabie saoudite sous la direction de Mohammed ben Salmane comme un nouveau royaume glorieux. Malheureusement, Jamal Khashoggi a choisi la seule capitale que le régime saoudien souhaite garder totalement enveloppée dans le brouillard de sa propagande.

En écrivant dans le Washington Post, Khashoggi a eu une audience inimaginable, à laquelle peu de dissidents saoudiens ont eu accès si tôt après avoir quitté leur pays. La renommée et la respectabilité conférées à Khashoggi ont sans doute alarmé le régime saoudien.

Le bras long de Ryad

Enfin, la disparition et le possible assassinat de Khashoggi à Istanbul ont une autre importance fondamentale. Depuis le début de la vague de répression exercée contre les islamistes saoudiens, en novembre 2017, beaucoup ont choisi la capitale turque comme première étape d’un long voyage vers des refuges éloignés de la terreur omniprésente chez eux.

Le prince saoudien Turki al-Fayçal, ex-directeur des services de renseignement saoudiens, le 11 juillet 2015. Khashoggi fut son conseiller à Londres et à Washington (AFP)

Istanbul attire un large éventail d’islamistes arabes et notamment du Golfe. Des militants des Frères musulmans, des salafistes et des panislamistes y ont trouvé refuge, mais à présent, ce n’est plus un endroit sûr.

La disparition de Khashoggi dans la capitale turque envoie un message fort aux futurs dissidents potentiels. Le bras long de l’État saoudien peut les atteindre. Cette intimidation est une frappe préventive visant à semer la peur parmi de nombreux militants qui envisagent de fuir à Istanbul.

À LIRE ► De la cour royale à l’exil : pourquoi MBS veut faire taire Jamal Khashoggi

Un conflit entre la Turquie et l’Arabie saoudite concernant la disparition et le meurtre de Khashoggi sur le sol turc sera bien accueilli par de nombreux régimes de la région, en particulier par l’Iran et le Qatar, ennemis jurés de l’Arabie saoudite. Les Saoudiens pourraient bientôt se retrouver sans le semblant de relations diplomatiques normales avec la Turquie qui avait jusqu’à présent survécu, malgré la tension latente qui régnait en raison du soutien d’Ankara aux Qataris.  

Si le régime saoudien a assassiné Jamal Khashoggi, il devra faire face aux répercussions, qui risquent d’être fâcheuses. Outre les dommages causés à l’image du régime, cela confirmera que Mohammed ben Salmane est le chef d’un État voyou qui déploie des stratégies meurtrières à l’extérieur de ses frontières.

Washington pourrait ne pas écouter, mais les autres gouvernements occidentaux devraient prendre conscience de ce tournant dramatique bien trop proche de chez eux.

Note de la rédaction : des responsables saoudiens ont insisté sur le fait que Jamal Khashoggi avait quitté le consulat peu après son arrivée et qu’ils s’inquiétaient de son sort. Ils n'ont toutefois présenté aucune preuve corroborant leurs dires et affirment que les caméras du consulat n’enregistraient pas à ce moment-là.

- Madawi al-Rasheed est professeure invitée à l’Institut du Moyen-Orient de la London School of Economics. Elle a beaucoup écrit sur la péninsule arabique, les migrations arabes, la mondialisation, le transnationalisme religieux et les questions de genre. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @MadawiDr

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des manifestants tiennent des photos du journaliste disparu Jamal Khashoggi pendant une manifestation devant le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, le 5 octobre 2018 (AFP).

Traduit de l’anglais (original).

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