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La France peut s’attendre à toujours plus de violence si elle n’intègre pas les musulmans français

Il est impossible de mener une guerre sans menacer la vie de votre propre population civile

Lorsque vivre au Kurdistan irakien, à seulement 50 kilomètres de Mossoul, est moins dangereux qu’à Paris, c’est le signe infaillible que la France est confrontée à un sérieux problème. Ma sœur a passé toute la nuit de vendredi dans le bruit des sirènes, parce que des hommes armés venaient de tuer 19 personnes dans la rue voisine. Elle se demande maintenant ce qui a mal tourné et comment tout cela a pu arriver. Comme beaucoup d'autres en France, il va également lui venir à l’esprit le genre de réponse à laquelle on pense typiquement suite à un acte de terrorisme : « y a qu’à tous les oblitérer avec une bombe atomique ». Mais il ya un hic : que fait-on quand les « terroristes » sont issus de votre propre société?

Lorsque des journalistes français ont été abattus dans leurs bureaux en janvier dernier, ma sœur postait des « Je suis Charlie » sur les médias sociaux. À l'époque, la société française et le reste du « monde civilisé » ont déploré l'assassinat de journalistes courageux qui ont combattu pour la liberté d'expression avec leur stylo. La violence n’est jamais une bonne réponse, et les actes de terrorisme sont inacceptables. Seulement voilà, en France, la liberté d'expression est un menu à la carte. Alors que l'islamophobie est rarement punie par les tribunaux, beaucoup ont l’impression que les lois sur la propagande haineuse ne sont appliquées que lorsque d’autres religions en sont la cible.

Beaucoup ont trouvé que le mouvement « Je suis Charlie » de janvier dernier fonctionnait en mode « deux poids deux mesures » et incarnait le rejet pur et simple d'une partie cruciale de la société française : sa population musulmane, laissée pour compte, à qui on demande de s’excuser non pas d’être qui ils sont mais de ce qu'ils représentent, encore et toujours.

Exige-t-on des Français de présenter leurs excuses pour les Croisades ? Au lieu de faire des attentats de Charlie Hebdo une occasion de reconstruire la cohésion sociale collective de la société française, le mouvement « Je suis Charlie » a encore plus aliéné la jeunesse musulmane désenchantée ; il a fait le jeu des mouvements radicaux qui exploitent ces sentiments de marginalisation tout en promouvant ce qu’ils appellent l’Etat islamique, société soit disant idéale où règnerait la plus parfaite égalité.

Bien que l'islamophobie soit encore endémique dans la société française, le gouvernement français s’obstine depuis quelques temps à s’ingérer dans les affaires du Moyen-Orient. Sous l'administration Jacques Chirac (années 1990 et début des années 2000), le ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, a prononcé devant l'ONU son célèbre discours rejetant  l'implication de la France dans la guerre en Irak. Ce qui, pendant de nombreuses années, a valu à la France de bénéficier dans cette région d’une aura de neutralité - qui vola en éclats lorsque les gouvernements de Nicolas Sarkozy et François Hollande sont devenus encore plus va-t-en guerre que le Président américain George W. Bush.

Il est impossible de mener une guerre sans menacer la vie de votre propre population civile. Cette équation toute simple ne saurait être négligée quand on décide de privilégier la guerre au Moyen-Orient, au dépends de solutions politiques. Tous les pays qui ont fait ce choix ont été ciblés : la Russie récemment, les États-Unis en 2001, l'Espagne en 2003 et la Grande-Bretagne en 2005.

Les médias français jouent les experts en politique Moyen-Orientale en préférant sans cesse appeler Daesh l'État islamique, mais ne posent pas les bonnes questions quant aux origines sociopolitiques de cet Etat dit islamique : la marginalisation ressentie par une moitié de la population par rapport à l’autre, ainsi que le conflit entre sunnites et chiites. La France n’a pas remédié à cette marginalisation, conséquence directe de l'invasion américaine de l'Irak : ce qui n’est pas seulement un oubli mais reflète également l'incapacité de la société française à accomplir sa propre introspection.

Les Français marginalisés qui sont séduits par l'État islamique rejettent un système qui ne leur offre pas autre chose qu’une citoyenneté au rabais, dans laquelle ils sont confinés à cause de leur couleur et parce qu’ils ne sont pas chrétiens. Tout récemment, une députée ordinaire, Nadine Morano, a fait valoir que la France était un pays « judéo-chrétien » de « race blanche ». Son propre parti politique, « Les Républicains » de Nicolas Sarkozy, l’ont immédiatement lâchée, non pour le contenu de sa déclaration, mais pour avoir dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas.

La France n’est donc plus blanche et chrétienne ; il faudra qu’elle s’y fasse. Les politiques d'immigration antérieures ont changé les données démographiques du pays ; il est maintenant temps de prendre conscience du racisme rampant au sein de la société française et qu’elle se décide à intégrer pleinement tout le monde : il n'y a guère d’autre alternative pour un Etat comme la France. Pour ce qui est de la question actuelle des « migrants », il est important de comprendre que ces « migrants » ne font pas partie du problème : dans leur pays, ils sont victimes du terrorisme tout comme les résidents de Paris aujourd'hui. Ils voulaient désespérément vivre en Europe pour fuir les actes de terrorisme ; ils ne doivent donc pas devenir notre bouc émissaire.

Pour ceux qui affirment que fermer nos frontières et nous livrer au profilage racial suffira àsécuriser la France, je peux vous assurer que c’est bien ce qui permet à ma maison au Kurdistan d’être protégée aujourd'hui -- mais pour combien de temps ? Les radicaux du cru ont perpétré l’attentat récent d’Erbil (au début de cette année). Dans un discours émouvant, le président Hollande a réagi instinctivement en décidant de fermer les frontières de la France, mais dans quelle mesure est-ce faisable ?

En France, ce qu’on désigne comme l’ennemi se trouve déjà à l'intérieur : nous avons été notre pire ennemi. Toujours plus de sécurité, de stigmatisation des laissés pour compte en les appelant les « autres », et d’autres mouvements comme « Je suis Charlie », ne serviront qu’à jeter les bases de nouvelles attaques. Il est temps que la société française s’avoue ses propres insuffisances. Si elle choisit de continuer de faire la guerre au Moyen-Orient, si elle persiste à traiter sa population musulmane comme des citoyens de second ordre, elle n’aura plus le droit de verser des larmes de crocodile quand des civils innocents subiront les conséquences de sa politique désastreuse. Impossible désormais de « tous les oblitérer », directement par des frappes aériennes ou, au figuré, par toujours plus d’aliénation sociale.

- Victoria Fontan est directrice du Centre pour la paix et la sécurité humaine à l'Université américaine du Kurdistan ; elle est aussi candidate au doctorat en études sur la guerre au King College de Londres.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo: la police française a été massivement déployée suite aux attaques de vendredi soir (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies.

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