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La menace d’un autre génocide en Bosnie est réelle. Et personne ne semble disposé à l’empêcher

Le président de la Republika Srpska adopte une rhétorique islamophobe similaire à celle qui a précédé le massacre de Srebrenica en juillet 1995, sous le regard d’une communauté internationale apparemment indifférente

Milorad Dodik, le président de la Republika Srpska, l’entité administrative à majorité serbe de Bosnie-Herzégovine, n’est pas un fan de l’appel à la prière islamique. « Les imams en Bosnie qui émettent l’adhan braillent », a-t-il récemment déclaré lors d’une émission télévisée serbe populaire.

Dodik est un habitué des discours de haine à l’encontre des Bosniaques – les musulmans bosniens – depuis plusieurs années maintenant. Ses déclarations sur la dissolution de la Bosnie, sa glorification des criminels de guerre, son déni du génocide et ses références au « trop grand nombre de mosquées » sont devenus des traits réguliers de la vie politique dans les Balkans.

En 2017, il a même accusé les Bosniaques, qui ont été contraints de quitter leurs foyers d’origine pendant la guerre, d’« occuper de nouveau la vallée de la Drina ».

Expulsion génocidaire

Les Bosniaques vivent dans la région depuis des siècles et reviennent après une expulsion génocidaire dans une zone qui a été le théâtre de crimes de guerre commis par les forces serbes pendant la guerre des Balkans, en particulier le génocide de Srebrenica.

Le chef des Serbes de Bosnie-Herzégovine, Milorad Dodik, à Banja Luka, capitale de la Republika Srpska, le 18 avril 2018 (AFP)

Jusqu’à présent, les politiciens bosniaques et la communauté internationale n’ont pas réagi de manière adéquate aux déclarations fascistes de Dodik. Harun Karcic, d’Al Jazeera Balkans, pense que celles-ci sont manifestement islamophobes.

« La dernière fois que nous avons vu ce niveau d’islamophobie, c’était au début des années 1990, juste avant l’anéantissement des musulmans bosniens »

- Harun Karcic, Al Jazeera Balkans

« Le pire, c’est le silence absolu des militants des droits de l’homme de Bosnie, des organisations internationales et même des politiciens bosniaques », a-t-il déclaré. « C’est comme s’ils étaient de mèche avec Dodik. La dernière fois que nous avons vu ce niveau d’islamophobie, c’était au début des années 1990, juste avant l’anéantissement des musulmans bosniens. »

Il y a dix ans à peine, Dodik était considéré comme un politicien modéré par la communauté internationale. Pourtant, il n’y a aucune différence entre ce qu’il dit aujourd’hui et ce que les criminels de guerre condamnés que sont Radovan Karadžić, Ratko Mladić ou Biljana Plavšić avaient coutume de déclarer avant et pendant la guerre.

Les déclarations de Dodik violent par ailleurs les accords de Dayton qui ont mis fin à la guerre en Bosnie. L’annexe 7 précise en effet que « tous les réfugiés et personnes déplacées ont le droit de retourner librement dans leurs foyers d’origine » et que les autorités politiques ont l’obligation d’assurer un retour en toute sécurité « sans risque de harcèlement, d’intimidation, de persécution ou de discrimination ».

Une menace constante

Non seulement les autorités serbes n’ont pas assuré les conditions de leur retour en toute sécurité, mais elles constituent elles-mêmes une menace constante pour les Bosniaques qui sont effectivement revenus. Emir Suljagić, professeur adjoint à l’Université internationale de Sarajevo et auteur de Postcards from the Grave, un récit à la première personne du génocide de Srebrenica, estime qu’il n’y a pas de différence entre la rhétorique officielle serbe actuelle et la rhétorique responsable du génocide.

Plus dangereux encore est le fait que les déclarations et les actions de Dodik semblent être soutenues par une majorité significative de Serbes de Bosnie-Herzégovine, indiquant que le processus de réconciliation n’a pas encore commencé

« Il ne s’agit pas seulement de la rhétorique ou du discours de haine de Milorad Dodik ; il s’agit de la déshumanisation des musulmans que nous avons vue au début des années 1990 », explique-t-il. « Avant lui, seuls Radovan Karadžić et Biljana Plavšić parlaient de cette manière. Il n’y a aucune différence entre sa déclaration – ‘’les imams braillent depuis les mosquées’’ – et celle de Biljana Plavšić – ‘’les musulmans sont des déchets génétiques’’. »

Depuis des années, Dodik répète que la Republika Srpska se séparera de la Bosnie et rejoindra peut-être la Serbie. Mais même lui sait que son régime ne pourra pas se séparer sans un nouveau conflit. La police serbe de Bosnie a acheté des milliers d’armes cette année et a établi de solides relations avec le président russe Vladimir Poutine, qui se sont notamment traduites par l’entraînement militaire de la police et des paramilitaires de Dodik par la Russie.

Bida Smajlović, 64 ans, survivante du massacre de Srebrenica en juillet 1995, montre le nom de son mari gravé parmi les autres victimes du massacre, au centre commémoratif de Potočari, le 24 mars 2016 (AFP)

« Le type de rhétorique employé par Dodik est celui qui précède la violence physique, et compte tenu du risque de violence, y compris les milliers d’armes et apparemment de missiles antiaériens que son régime a récemment achetés, je suis sûr que cela annonce une nouvelle vague de violence contre principalement la majorité musulmane de Bosnie-Herzégovine », a déclaré Suljagić.

Pendant ce temps, la communauté internationale et l’Union européenne ont laissé la Bosnie-Herzégovine se débrouiller seule. Malgré les évidents mouvements séparatistes, la rhétorique dangereuse, la discrimination et la stigmatisation dont fait preuve le régime de Dodik, ce dernier – ainsi que ses alliés russes – a bénéficié d’abondamment de temps et d’espace pour se préparer à son but ultime. 

Soutien populaire

Plus dangereux encore est le fait que les déclarations et les actions de Dodik semblent être soutenues par une majorité significative de Serbes de Bosnie-Herzégovine, indiquant que le processus de réconciliation n’a pas encore commencé. Selon une étude d’Al Jazeera publiée en juillet, seul un petit nombre de Serbes de la Republika Srpska considèrent Karadžić et Mladić comme des criminels de guerre (15 % et 13 % respectivement), malgré les multiples verdicts de l’ONU sur le génocide.

La rhétorique est la même, la cible est la même, la communauté internationale est la même. Les acteurs sont différents, mais l’histoire pourrait bien se répéter

Ce résultat n’est pas surprenant dans la mesure où les autorités serbes considèrent ces criminels de guerre comme des héros et en font la promotion dans les médias, les écoles et lors d’événements publics – tout cela sous les yeux de la communauté internationale.

Ce que l’Europe croyait impossible, la répétition de l’horreur de l’Holocauste, s’est produit à peine 50 ans plus tard en Bosnie, au cœur du continent.

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Aujourd’hui, il semble inimaginable qu’un autre Srebrenica ou Sarajevo puisse avoir lieu, mais personne ne fait quoi que ce soit pour l’empêcher. La dernière fois que la communauté internationale a minimisé la menace d’un Slobodan Milošević, d’un Radovan Karadžić ou d’un Ratko Mladić, nous avons été témoins de l’une des plus grandes crises de l’après Seconde Guerre mondiale.

La rhétorique est la même, la cible est la même, la communauté internationale est la même. Les acteurs sont différents, mais l’histoire pourrait bien se répéter.

- Ismail Ćidić est le président du Parlement étudiant de l’Université internationale de Sarajevo. Il est le coordinateur du Forum des jeunes bosniaques, qui défend les causes et les intérêts bosniaques dans les médias internationaux.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le président de la Republika Srpska, Milorad Dodik, rend hommage à ses partisans lors d’un rassemblement dans la ville de Pale, en Bosnie-Herzégovine, le 25 septembre 2016 (AFP).

Traduit de l’anglais (original).

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