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La question palestinienne, entre illusions juridiques et marginalisation géopolitique

Ni le droit ni l’état des rapports de force ne sont favorables à la « cause palestinienne », une formule devenue surannée pour une question aujourd’hui menacée de disparition

Peut-on encore parler de « cause palestinienne » sans susciter des railleries ou du dédain ? Entre les soulèvements dans le monde arabe, la guerre syrienne et l’arrivée au pouvoir aux États-Unis de Donald Trump, la question palestinienne semble noyée, délaissée, malmenée.

Après la défaite des armées arabes dans la guerre des Six Jours (1967), la figure du combattant palestinien est venue se substituer à celle du dirigeant nationaliste arabe, le président égyptien Nasser a cédé la place du héros des opinions publiques arabes à Yasser Arafat.

L’Organisation de libération de la Palestine (OLP), évincée du Liban au début des années 1980, a peu à peu délaissé la lutte armée et s’est s’engagée dans un processus politique qui est d’abord passé par une déclaration d’indépendance en 1988 (après l’Intifada de décembre 1987), puis par d’importantes concessions lors des accords d’Oslo (1993). A alors émergé une Autorité palestinienne aux pouvoirs limités sur un territoire discontinu.  

Entre les soulèvements dans le monde arabe, la guerre syrienne et l’arrivée au pouvoir aux États-Unis de Donald Trump, la question palestinienne semble noyée, délaissée, malmenée

À son tour, et dès les années 1980, l’OLP a cédé sa place, sur le terrain de la résistance à Israël, à des groupes d’obédience islamique, du Hezbollah libanais (né entre 1982 et 1985), propulsé par la République islamique d’Iran, au Hamas palestinien (né fin 1987), issu des Frères musulmans. De son côté, l’Autorité palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas a fait le choix d’un combat juridique dont le bilan est mitigé.

Les limites du recours au droit international

Depuis la déclaration d’indépendance de 1988, traduisant notamment la volonté de faire reconnaître un État palestinien, l’OLP a décidé de mener un combat juridique et diplomatique dont nous proposons de rappeler les résultats et les limites.

Pris comme un outil de soft power, le droit international devient dans les années 2000 le cheval de bataille de l’Autorité palestinienne. Les Palestiniens obtiennent dans ce domaine deux grandes victoires symboliques.

La première est l’avis consultatif rendu par la Cour internationale de justice (CIJ) en 2004, sollicitée par l’Assemblée générale des Nations unies sur la licéité du mur israélien en Cisjordanie. La Cour le juge contraire au droit international.

Le dirigeant palestinien Mahmoud Abbas prend la parole devant le Conseil de sécurité des Nations unies, le 20 février 2018 (AFP)

La seconde victoire palestinienne est l’obtention en 2012 du statut d’« État observateur non membre » des Nations unies, grâce à un vote de l’Assemblée générale. La menace d’un veto américain au Conseil de sécurité rendant impossible l’accession au statut d’État membre, les Palestiniens ont dû se contenter de ce compromis, considéré en Israël comme une véritable déclaration de guerre.

Les Palestiniens ne sont pas confrontés à un acte « illégal », mais à un droit inique. Telle est la nature de l’impasse

C’est notamment dans le domaine de la justice pénale internationale que ce nouveau statut constitue une avancée pour les Palestiniens. Echaudés par la pusillanimité de son premier procureur Luis Moreno Ocampo (qui disait buter sur le statut d’État de la Palestine, pourtant membre depuis 2011 de l’UNESCO), ils peuvent désormais saisir la Cour pénale internationale (CPI).

En 2015, la Palestine adhère en effet au Statut de Rome, le traité fondateur de ladite Cour. La nouvelle procureure en est toujours au stade symbolique de l’examen préliminaire des crimes dénoncés, tandis que les Israéliens rejettent à la fois la compétence de la Cour (Israël n’ayant pas signé le Statut de Rome) et le droit de l’Autorité palestinienne de la saisir (pour Israël, ce n’est pas un État).

À LIRE ► Les Palestiniens devraient-ils demander justice devant la Cour pénale internationale ?

Cette confiance aveugle dans le droit a poussé les Palestiniens, leurs amis et leurs partenaires à juger la décision de Donald Trump de transférer à Jérusalem l’ambassade américaine en Israël – et de reconnaître Jérusalem capitale d’Israël – « illégale ». Nous ne pouvons hélas que déplorer ici une double aporie : cela traduit à la fois une lecture inconséquente du droit et une idéalisation de celui-ci (comme si le pire ne pouvait pas être tout à fait « légal »).

Si les Américains – au nom de leur consentement souverain et de leur puissance – ont le droit d’empêcher au Conseil de sécurité la moindre condamnation d’Israël (et ainsi de couvrir l’occupation et la colonisation israéliennes), alors il est absurde de penser que ce droit (qui n’est autre chose que le droit du plus fort) devrait les empêcher d’en tirer simplement les conséquences dans leurs relations bilatérales.

En apparence, l’action américaine se fait au mépris de résolutions passées du Conseil de sécurité, certes, mais elle est fondée sur les mêmes principes qui encadrent l’action américaine dans ledit Conseil de sécurité (le consentement souverain et la puissance). Les Palestiniens ne sont pas confrontés à un acte « illégal », mais à un droit inique. Telle est la nature de l’impasse.

Un contexte géopolitique défavorable aux Palestiniens

Poser le problème palestinien en termes juridiques, quand on connaît l’état du droit international, est donc vain. Le droit constate les États qui émergent, il ne les fait pas naître.

Israël n’est pas le fruit d’une résolution onusienne (le plan de partage de la Palestine de 1947), mais d’une déclaration unilatérale d’indépendance (1948). De ce point de vue, les Palestiniens ont désespérément besoin d’un rapport de force favorable et nous sommes bien obligés de concéder que nous en sommes loin.

L’axe géopolitique Washington-Tel Aviv-Riyad-Abou Dabi, qui a pris forme ces dernières années, menace directement certaines revendications palestiniennes

L’hostilité des Américains n’est pas le seul problème auquel les Palestiniens doivent faire face. L’axe géopolitique Washington-Tel Aviv-Riyad-Abou Dabi, qui a pris forme ces dernières années (en dépit de l’isolement temporaire de Mohammed ben Salmane à la suite de la sordide affaire Khashoggi), menace directement certaines revendications palestiniennes.

Le fameux « accord du siècle » souhaité par le président américain, soutenu par ses alliés saoudien et émirati, annonce une succession de concessions humiliantes pour les Palestiniens. Ces derniers sont notamment invités à renoncer à l’idée d’un territoire palestinien dans les frontières de 1967 et au partage de Jérusalem. Les Saoudiens et leurs alliés disposent d’un moyen de pression non négligeable : l’aide financière.

Des Palestiniens s’apprêtent à incendier un drapeau israélien et des portraits de Donald Trump et Mohammed ben Salmane lors d’une manifestation dans la bande de Gaza, le 13 avril 2018 (AFP)

Les Émirats arabes unis parrainent un important rival de Mahmoud Abbas : l’ancien chef de la force de Sécurité préventive à Gaza sous Arafat, Mohammed Dahlan. Ce chef de file des « réformateurs » du Fatah a récemment tendu la main à ses anciens adversaires du Hamas et du Djihad islamique.

Mais il s’est distingué en promouvant la solution d’un État unique binational, jugeant que Donald Trump avait tué la solution à deux États. C’est une autre manière d’en finir avec la question palestinienne.

À LIRE ► EXCLUSIF : Le plan secret des pays arabes pour évincer le dirigeant palestinien Mahmoud Abbas

De son côté, le Hamas semble se remettre de quelques années difficiles. Après le pari perdu en Syrie (le soutien apporté à la rébellion contre ses alliés de « l’axe de la Résistance », à savoir Téhéran, Damas et le Hezbollah) et l’éviction des Frères musulmans égyptiens, sa situation semble s’améliorer aujourd’hui.

Il bénéficie du soutien de deux axes géopolitiques dans la région : « l’axe de la Résistance », enclin à oublier le différend dans le dossier syrien, ainsi que l’axe Ankara-Doha.

Financièrement, il a bénéficié – avec l’autorisation des Israéliens – d’une aide décisive du Qatar qui a récemment payé les salaires des fonctionnaires gazaouis. Militairement, après d’âpres affrontements à Gaza à la suite d’une énième intervention militaire israélienne, il a poussé le ministre israélien de la Défense à la démission après un cessez-le-feu que celui-ci a jugé humiliant.

Il est possible d’affirmer que la lutte armée semble encore payante et que le Hamas marque des points face à Mahmoud Abbas

Ces événements permettent plusieurs niveaux d’analyse. À chaud, il est possible d’affirmer que la lutte armée semble encore payante et que le Hamas marque ainsi des points face à Mahmoud Abbas (peut-être même sous l’œil bienveillant de Mohammed Dahlan). Il est aussi possible de voir dans ces concessions israéliennes une exigence américaine de retenue. Toutefois, cette retenue et ce répit apparents à Gaza ne doivent pas faire oublier les menaces qui pèsent sur la question palestinienne.

Adlene Mohammedi est docteur en géographie politique et spécialiste de la politique arabe de la Russie et des équilibres géopolitiques dans le monde arabe. Il dirige Araprism, site et association consacrés au monde arabe. Il travaille, par ailleurs, sur la notion de souveraineté et sur les usages actuels du droit international. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AdleneMo

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un manifestant masqué est assis sur le mur de séparation israélien en Cisjordanie le jour de la Nakba (AFP).

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