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La tentative saoudienne de coup d’État au Qatar a capoté – attendez maintenant le retour de flamme

En se mêlant de la politique de la familiale royale qatarie, les Saoudiens jouent avec le feu et risquent de se brûler les doigts. Doha pourrait en effet retourner contre eux le jeu tribal qu’ils ont commencé

Les coups d’État de palais – comme celui de juin 2017, lorsque le roi Salmane a renvoyé son prince héritier Mohammed ben Nayef et promu son fils Mohammed ben Salmane au poste – ne peuvent être reproduits aussi facilement au Qatar.

Plus de deux mois après le début de la crise saoudo-qatarie, Riyad n’a toujours pas réussi à déstabiliser le Qatar et à le transformer en État paria.

Par conséquent, Salmane et son fils recourent à d’anciennes intrigues tribales et cherchent à exploiter les divisions internes de la maison royale qatarie.

Le hadj, un prétexte pour les Saoudiens

Cela ressemble beaucoup à l’ancienne politique coloniale britannique dans le Golfe, qui a souvent entraîné le renvoi d’un cheikh difficile et son remplacement par un cheikh docile et obéissant.

Malheureusement pour Riyad, Doha n’est confronté à aucune opposition manifeste dont les Saoudiens pourraient s’emparer pour provoquer des ravages dans l’émirat.

Vue de la tour de l’horloge de la Mecque (Arabie saoudite), où les préparatifs sont en cours pour le hadj (AFP)

Au lieu de cela, les Saoudiens ont trouvé un obscur cheikh qatari avec des liens commerciaux et maritaux avec l’Arabie saoudite pour poursuivre l’ancienne stratégie de création d’un leadership alternatif si Tamim ben Hamad al-Thani, l’émir du Qatar, maintient sa posture de défi.

Salmane a fait venir le cheikh envoyé de Dieu, Abdallah ben Ali ben Jassem al-Thani, un membre peu connu de la famille régnante qatarie, à Tanger pour une rencontre.

Les agences de presse saoudiennes ont annoncé qu’Abdallah était un descendant d’une branche de la famille qui a été au pouvoir pendant des décennies jusqu’en 1972. Son frère Ahmad a été destitué en 1972 par le grand-père de Tamim.

Subitement, Abdallah a adopté une notoriété virtuelle sur Twitter en tant que « Voix de la raison » qui apporterait le salut au petit émirat assiégé. Il allait, semblait-il, sauver les fidèles qataris du péché qu’ils commettraient en ne participant pas au hadj – qui commence la semaine prochaine – en pleine période de sanctions et de blocus.

Cela impliquait que Tamim se rendait responsable des perturbations rencontrées actuellement pour se rendre à La Mecque en continuant de défier les Saoudiens

Cela impliquait que Tamim se rendait responsable des perturbations rencontrées actuellement pour se rendre à La Mecque en continuant de défier les Saoudiens, en refusant d’accepter leurs conditions préalables à la levée des sanctions et en se montrant indisposé à retourner dans la bergerie du Golfe sous la suprématie de Riyad.

Après la rencontre, Salmane a ordonné à son personnel de mettre en place une salle de réunion d’opérations spéciales pour s’occuper des pèlerins qataris qui se rendraient en principe à La Mecque par voie terrestre et en avion.

Mais cette année, leur voyage est plus compliqué en raison du blocus imposé par l’Arabie saoudite. Le roi veut que ce soient les compagnies aériennes saoudiennes qui prennent les pèlerins au départ de Doha ou que ces derniers soient escortés par des transporteurs saoudiens pour rejoindre l’autre côté de la péninsule arabique.

Le cheikh nouvellement promu se voit reconnaître le mérite de faciliter les négociations avec le roi saoudien, bien que non autorisées par Doha, au nom de ces pèlerins qataris qui voudraient voyager sans heurts jusqu’à La Mecque.

Salmane espérait précipiter une fissure immédiate entre Tamim et son peuple en promouvant un autre membre de la famille al-Thani en tant que protagoniste principal de ces négociations.

L’Arabie saoudite distancée par le Qatar

Mais cela ne s’est pas produit. Au lieu de cela, les Qataris se sont servis des réseaux sociaux pour réitérer leur allégeance à leur jeune cheikh. Si Abdallah nourrissait des espoirs ou des fantasmes à l’idée de remplacer Tamim, alors ceux-ci se sont sûrement évaporés à l’heure actuelle.

Un examen rapide du monde virtuel, où la plupart des affaires du Golfe se produisent, permet de se rendre compte que le coup d’État saoudien a été facilement avorté.

Abdallah a immédiatement perdu sa crédibilité lorsqu’il a tweeté des louanges à l’intention du roi saoudien et invoqué le cri de guerre historique des Saoud, « ikhwan nura » (« les frères de Noura »).

Portrait de l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, à Doha, en juillet 2017 (AFP)

Les Qataris ont simplement répondu en inondant Internet d’éloges pour leur émir, dont la branche familiale est considérée comme responsable de la prospérité, ce qui a suscité une grande jalousie des voisins saoudiens de l’État.

Lorsque le père de Tamim a doublé les salaires de ses employés, construit des villes fondées sur l’éducation et distribué des allocations généreuses, la royauté saoudienne s’est sentie mal à l’aise de ne pas accorder des ressources équivalentes à ses propres citoyens.

Les Saoudiens étaient – et sont encore – confrontés à des pénuries de logements, des hausses de prix et un État-providence de plus en plus réduit. Avant la crise diplomatique, de nombreux professeurs, jeunes diplômés et enseignantes d’Arabie saoudite aspiraient à trouver un emploi au Qatar plutôt qu’en Arabie saoudite.

La vieille méthode employée par les dirigeants saoudiens pour diviser la famille royale qatarie aurait pu fonctionner il y a cent ans, mais il n’est pas certain que cela soit le cas aujourd’hui

Hatoun al-Fassi, spécialiste de l’archéologie arabique ancienne, a enseigné à l’université du Qatar pendant plusieurs années jusqu’à sa suspension. Muhammad al-Ahmari, l’un des auteurs les plus prolifiques dont les livres sur l’islam et la démocratie sont bien documentés et soigneusement présentés, a renoncé à sa nationalité saoudienne et est devenu qatari il y a plusieurs années. Il est aujourd’hui directeur d’un centre de recherche à Doha.

Les jeunes journalistes et intellectuels saoudiens écrivaient dans des médias sponsorisés par le Qatar et sur les sites web de ses nombreux forums de recherche. Ali al-Dhafiri, journaliste saoudien, était un visage saoudien à succès et très apprécié sur Al Jazeera Arabe avant de démissionner dans les premiers jours de la crise et de rentrer chez lui. Les diplômés saoudiens espéraient trouver un emploi dans les nombreux établissements d’enseignement supérieur du Qatar, en particulier au nouveau Doha Institute for Graduate Studies.

Il est peu probable que l’Arabie saoudite réussisse sa tentative de coup d’État et finisse par voir une marionnette al-Thani régner à Doha. Il semble qu’en l’absence de véritable opposition à l’émir actuel du Qatar, la promotion d’un autre émir ne soit pas aussi simple et que, au contraire, cette entreprise ait capoté.

La vieille méthode employée par les dirigeants saoudiens pour diviser la famille royale qatarie aurait pu fonctionner il y a cent ans, mais il n’est pas certain que cela soit le cas aujourd’hui.

Le Qatar jouit d’un des plus grands miracles que les richesses issues du pétrole et du gaz peuvent garantir. Cette petite population avec d’énormes richesses s’est montrée résistante au genre d’intrigues que les Saoudiens ont fomentées à Riyad.

Le Qatar peut jouer la carte tribale

Le conflit engagé par les Saoudiens avec le Qatar ne concerne pas seulement les treize conditions que le Qatar doit remplir avant d’être ramené dans la bergerie du Golfe.

Le soutien au terrorisme et à l’islamisme et la promotion d’actualités controversées sur Al-Jazeera ne suffisent pas à expliquer la volonté saoudienne de remettre le Qatar à sa petite place.

Le président égyptien Gamal Abdel Nasser et le roi d’Arabie saoudite Saoud ben Abdelaziz au Caire, en 1956 (AFP)

Au cours des années 1950 et 1960, l’Égypte de Nasser a tenté de déstabiliser l’Arabie saoudite en employant la rhétorique anti-impérialiste et le nationalisme arabe – mais aucune de ces pistes n’a permis de renverser le régime de Riyad.

Le Qatar est différent. Pour déstabiliser Doha, l’Arabie saoudite n’avait qu’Abdallah. L’émirat a pour sa part beaucoup de bâtons à mettre dans les roues de l’arrière-cour saoudienne.

D’une armée d’islamistes mécontents à de jeunes nationalistes néo-arabes qui se décrivent comme « al-Urubiyoun al-judud » (les « nouveaux nationalistes arabes »), le Qatar héberge plusieurs tendances politiques saoudiennes modernes, comprenant notamment des jeunes intellectuels et activistes désireux de trouver un forum et un moyen d’exprimer leurs idées. Le Qatar peut facilement continuer d’improviser comme il l’a déjà fait.

Mais surtout, le Qatar peut également jouer au jeu tribal que Riyad a initié. Presque toutes les principales tribus arabes – les Ajman, les Chammar, les Mutayr et les Otaiba – ont des cousins et de la famille élargie des deux côtés de la frontière.

Par exemple, les Chammar, qui régnaient autrefois de Haïl, dans le nord de l’Arabie saoudite, à Sinjar en Irak, sont bien représentés au Qatar. Ils y ont trouvé des emplois et de meilleurs salaires que leurs cousins dans la Garde nationale saoudienne ou que ceux qui peinent en tant qu’agriculteurs dans le désert du Néfoud et autour de leur ville historique dans le nord du pays.

Il en va de même pour les autres groupes tribaux, en particulier ceux qui poursuivent une vendetta contre le régime de Riyad, qu’ils accusent de les exclure des postes gouvernementaux importants.

Beaucoup de groupes tribaux n’ont aucune affinité sérieuse avec les Saoud et pourraient facilement changer d’allégeance comme ils le faisaient par le passé. Les chefs tribaux, dont beaucoup aspirent au pouvoir, sont des acteurs politiques pragmatiques qui poursuivent leurs propres intérêts

Beaucoup d’entre eux estiment qu’on s’est servi d’eux pour créer le royaume saoudien, les faisant combattre en tant que guerriers unitaristes (« ikhwan al-tawhid »), pour finalement se voir éliminés et écartés une fois la mission accomplie.

Le gouvernement saoudien est considéré à tort comme un royaume tribal. En réalité, il a marginalisé tous les groupes tribaux et a éliminé leur leadership gênant. Il a incorporé les tribus dans la Garde nationale mais ne les a pas intégrées au gouvernement et à la classe dirigeante. Dans cette partie du monde, l’Histoire compte.

Beaucoup de groupes tribaux n’ont aucune affinité sérieuse avec les Saoud et pourraient facilement changer d’allégeance comme ils le faisaient par le passé. Les chefs tribaux, dont beaucoup aspirent au pouvoir, sont des acteurs politiques pragmatiques qui poursuivent leurs propres intérêts. Ils changent d’allégeance en fonction de leurs besoins spécifiques et suivent celui qui promet de concrétiser leurs aspirations.

Bien que leur rhétorique insiste sur un code tribal rigide, tout historien peut retracer leurs loyautés oscillantes et leurs manœuvres rusées. Seul un orientaliste peut encore considérer que les alliances tribales arabiques suivent des codes rigides tels des fossiles du passé.

Ce sont avant tout des acteurs politiques rusés qui ont survécu au passé colonial et à l’offensive des États-nations. Peut-être s’expriment-ils avec une poésie archaïque et célèbrent-ils les chameaux, les cafetières et la chevalerie d’une époque révolue, mais ils restent une force en sommeil que les gouvernements peuvent mobiliser s’ils en ont besoin.

Ils sont aujourd’hui éduqués et prêts à passer de la vieille rhétorique de la solidarité tribale et de la gloire à de nouvelles idées politiques. Le célèbre législateur et activiste koweïtien Mussalam al-Barak, qui a fait des va-et-vient en prison pour avoir défié la famille al-Sabah au pouvoir dans ce pays, est un exemple flagrant de la « modernité tribale » qui peut se mobiliser au-delà des divisions tribales. Le Qatar peut facilement lui trouver une version saoudienne qui sera sans aucun doute source de difficultés pour Riyad.

En essayant de se mêler de la politique de la familiale royale du Qatar, les Saoudiens jouent avec le feu et risquent de se brûler les doigts. Leur tentative désespérée de promotion d’un leadership qatari alternatif est une réminiscence embarrassante du passé, qui a jusqu’à présent échoué à atteindre ses objectifs.

Madawi Al-Rasheed est professeure invitée à l’Institut du Moyen-Orient de la London School of Economics.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Abdallah ben Ali ben Jassem al-Thani rencontre le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (à droite) à Djeddah, le 16 août 2017 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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