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La Turquie et la Russie peuvent-elles repousser l’Iran en Syrie ?

Il n’y a pas si longtemps, la question que beaucoup avaient en tête était de savoir qui des Kurdes ou des Turcs les États-Unis choisiraient comme partenaires pour libérer la ville d’al-Bab, dans le nord de la Syrie, des griffes des combattants de l’État islamique.

Depuis, cette question a reçu une réponse à au moins deux reprises. Les forces terrestres turques bénéficient d’une couverture aérienne des Russes ainsi que de leurs propres forces aériennes, et les États-Unis ou leurs anciens alliés au sein des YPG kurdes ne peuvent guère faire quoi que ce soit à ce sujet.

Sputnik, qui a succédé à RIA Novosti en tant que voix officielle de la Russie et qui a été interdite à un moment donné en Turquie, a rendu compte des trois premières frappes aériennes russes autour d’al-Bab de la manière suivante :

« Bouclier de l’Euphrate, une opération turque visant à défendre sa frontière contre les terroristes, a reçu un coup de pouce notable de la part de Moscou. Les autorités militaires turques ont annoncé que des chasseurs russes avaient éliminé douze militants de Daech dans des frappes aériennes [...] Les États-Unis se sont montrés évasifs quant à l’idée de soutenir la Turquie car Washington a apporté son soutien aux YPG kurdes, un groupe qui cherche depuis longtemps à créer sa propre nation indépendante d’Ankara. »

Sputnik a omis de mentionner que Moscou a soutenu les Kurdes syriens en nourrissant cette ambition, leur permettant d’ouvrir leur premier bureau international à Moscou. Bien entendu, depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts.

« Nous ne sommes plus intéressés »

Bienvenue dans le nouvel ordre mondial – du moins en ce qui concerne la Syrie. La chute d’Alep a marqué une forme de changement de régime parmi les États qui ont tiré les ficelles de l’opposition politique et militaire syrienne. Au revoir les États-Unis et l’Arabie saoudite, bonjour la Turquie.

Bienvenue dans le nouvel ordre mondial – du moins en ce qui concerne la Syrie. Au revoir les États-Unis et l’Arabie saoudite, bonjour la Turquie

Il n’y a pas si longtemps, les Saoudiens chorégraphiaient les moindres mouvements de l’opposition syrienne. Lorsque les dirigeants de l’opposition syrienne se sont retirés de la dernière série de pourparlers de paix à Genève, des appels en provenance de Riyad leur indiquaient quand ils devaient quitter l’hôtel.

En décembre, le roi Salmane s’est adressé à son nouveau Conseil de la Choura, le parlement non élu, dans ce qui pouvait être considéré comme un discours sur l’état du royaume. C’était quelques jours avant la chute d’Alep. Salmane n’a pas fait la moindre allusion à la Syrie dans la section de son discours consacrée aux affaires étrangères, tandis que dans un passage consacré à l’action humanitaire, à peine une phrase faisait l’éloge de la campagne saoudienne de secours aux réfugiés syriens.

Cette omission était délibérée. Le message envoyé par Salmane aux rebelles syriens qu’il avait financés et armés auparavant était simple : « Nous ne sommes plus intéressés. » Cela a manifestement eu des répercussions sur la Turquie.

La cour auprès de la Turquie

Le désenchantement de la Turquie à l’égard de l’administration sortante d’Obama s’était intensifié régulièrement jusqu’à atteindre un sommet après le coup d’État manqué de l’année dernière. Pendant des années, elle a demandé une zone d’exclusion aérienne en Syrie qu’elle n’a pas obtenue. Pendant des années, elle a demandé des armes qui auraient permis à l’Armée syrienne libre de changer le cours de la guerre. Obama y a également opposé son veto.

Théorie du complot ou non, la majorité du gouvernement en Turquie estime que Washington a joué un rôle dans la tentative de coup d’État de juillet ou en a eu la prescience. Les relations avec l’Europe sont tout aussi glaciales, l’UE n’ayant pas accordé d’exemption de visa pour les citoyens turcs. C’est l’une des raisons qui ont contraint Ahmet Davutoğlu à démissionner de son poste de Premier ministre.

Gouvernement syrien ; État islamique ; Opposition, YPG

Cette situation est en grande partie une manne tombée du ciel pour l’homme qui est devenu le plus proche allié d’Erdoğan, Vladimir Poutine. Le dossier turc est devenu très important aux yeux de Moscou, trop important pour capoter, même après l’assassinat d’un ambassadeur russe. La Turquie est la deuxième plus grande armée au sein de l’OTAN, l’alliance militaire dont l’expansion vers l’est a sapé une grande partie de la force géopolitique de la Russie. La possibilité – encore faible – de voir Erdoğan se détourner de l’OTAN serait un accomplissement majeur pour Poutine.

Poutine a obtenu ce qu’il voulait de son intervention en Syrie. Il a sa base, l’État syrien a été sauvé et les rebelles ont été si affaiblis qu’ils sont prêts – du moins comme l’estiment les Russes – à accepter un accord sur un gouvernement de transition qui maintiendrait Assad au pouvoir.

Le risque de retour de flamme

La Russie n’a aucun intérêt à anéantir les rebelles syriens à Idleb, ni à retourner la grande majorité de la population musulmane sunnite contre elle. Le déploiement de 400 officiers de police militaire tchétchènes – qui sont des musulmans sunnites – à Alep était un autre produit du pacte turco-russe, effectué à la demande de la Turquie.

La dernière chose que Poutine souhaite est de répéter l’erreur que George W. Bush a commise en Irak ou même celle des Soviétiques en Afghanistan, deux pays où les forces envahissantes ont gagné la guerre mais perdu la paix

Si Donald Trump sent qu’il a un problème avec ses musulmans, qui représentent moins d’un pour cent de la population américaine, les minorités musulmanes – principalement des Tatars, des Bachkirs et des Tchétchènes – forment jusqu’à 14 % de la population de la Fédération de Russie. Un million de musulmans vivent dans la seule ville de Moscou, où a été organisée l’une des plus grandes célébrations de l’Aïd du monde. Le risque de retour de flamme de la situation en Syrie dans les rues de Moscou est réel, avec ou sans les menaces par vidéo émanant de cellules dormantes du groupe État islamique dans la capitale russe.

L’intérêt de la Russie est de mettre un terme au conflit syrien plutôt tôt que tard. La dernière chose que Poutine souhaite est de répéter l’erreur que George W. Bush a commise en Irak ou même celle des Soviétiques en Afghanistan, deux pays où les forces envahissantes ont gagné la guerre mais perdu la paix.

Ici, les intérêts russes et iraniens divergent. La Russie n’a jamais eu de problème avec les frappes aériennes israéliennes contre les lignes d’approvisionnement du Hezbollah dans le sud de la Syrie. Contrairement à la Russie, les motivations de l’Iran en Syrie sont idéologiques.

L’Iran est le cerveau d’un projet visant à redessiner la carte ethnique de la Syrie centrale. L’Iran veut vraiment les zones sous contrôle sunnite entre Damas et la frontière libanaise. L’Iran a amené 300 familles chiites d’Irak pour repeupler Daraya, un bastion de l’opposition dans la banlieue de Damas qui a capitulé en août. Des familles chiites ont également été amenées pour protéger le mausolée de Zaynab. La planification de l’Iran est stratégique, à long terme et profondément sectaire.

L’Iran a farouchement soutenu une offensive totale contre Idleb après la chute d’Alep, en affirmant en vain que les rebelles ne devaient avoir aucun répit.

Des gagnants, des perdants et un retrait

Tel est donc l’état des lieux de la Syrie qui attend Trump le 20 janvier. Sans qu’il ait à prendre la moindre décision politique, le prochain président est taillé sur mesure pour un nouveau rapprochement américain avec Poutine et Erdoğan à la fois – le tout avec la bénédiction d’Israël.

Les perdants du pacte turco-russe béni par Trump seront les milices soutenues par les Iraniens et les YPG. Des tensions sont apparues entre l’Iran et les Kurdes irakiens, bien qu’il s’agisse d’un groupe proche du PDK de Barzani, un groupe d’opposition armé kurde iranien appelé Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI). Ils ont accusé l’Iran d’avoir effectué un bombardement à Koy Sanjaq, une ville à l’est d’Erbil, capitale du Kurdistan irakien, qui a coûté la vie à cinq de ses combattants et à un policier irakien.

L’année dernière, les premiers affrontements mortels depuis de nombreuses années ont eu lieu entre les combattants du PDKI et les Gardiens de la révolution islamique iraniens dans le nord-ouest de l’Iran. Pour le moment, les forces kurdes syriennes des FDS soutenues par les États-Unis sont toujours en marche vers Raqqa.

Le pacte de facto entre la Russie et la Turquie visant à tailler des zones d’influence en Syrie aurait la bénédiction du roi Salmane. Les Saoudiens ont été tellement terrifiés par l’intervention russe, l’accord sur le nucléaire avec l’Iran et le « Justice Against Sponsors of Terrorism Act » (JASTA) au Congrès qu’ils feraient n’importe quoi pour rester en phase avec la nouvelle administration américaine. Leur politique étrangère est fondée en premier lieu sur la peur. C’est pour cette raison qu’ils ont même empêché leur meilleur journaliste, Jamal Khashoggi, de publier le moindre tweet sur le sujet.

L’histoire ne s’arrête toutefois pas là. Ni l’Iran, ni Assad – qui souhaitent tous deux exploiter leur avantage contre les rebelles – ne seront dissuadés aussi facilement, comme le montrent les dernières violations du cessez-le-feu autour de Damas. Après avoir tellement investi dans son intervention étrangère, l’Iran ne voudra pas laisser la Turquie stabiliser et renforcer l’Armée syrienne libre sous un commandement unifié, comme elle menace désormais de le faire.

Les factions rebelles syriennes ne seront pas non plus aussi faciles à attirer ou repousser. Je ne partage pas l’état d’esprit de Moscou, qui affirme en toute confiance qu’elles s’assiéront avec Assad dans une pièce, et encore moins quant au fait qu’elles accepteront son maintien au pouvoir. Tout ce que nous avons observé n’est qu’un nouveau chapitre de la longue marche du retrait américain du Moyen-Orient.

David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Il a été éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The Guardian, où il a précédemment occupé les postes de rédacteur associé pour la rubrique Étranger, rédacteur pour la rubrique Europe, chef du bureau de Moscou et correspondant européen et irlandais. Avant de rejoindre The Guardian, David Hearst était correspondant pour la rubrique Éducation au journal The Scotsman.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : poignée de main entre le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov (au centre) et son homologue turc, Mevlüt Çavuşoğlu (à droite), sous le regard du ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif (à gauche) après une conférence de presse à Moscou, le 20 décembre 2016 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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