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Le référendum kurde menace de faire exploser la lutte des nationalismes dans la région

Les catalyseurs – et les conséquences – du référendum kurde prennent racine dans la création des États-nations de la région après la Première Guerre mondiale. Pour éviter un nouveau conflit, cet ordre doit être reconçu

Dans une de ses apparitions les plus provocatrices, Devlet Bahçeli, président du Parti d’action nationaliste (MHP) en Turquie, a déclaré récemment que le projet de référendum du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) pouvait être une raison suffisante pour que la Turquie déclare la guerre à la région autonome.

Compte tenu de la gravité de la situation, il n’est pas surprenant que les propos de Bahçeli – tout comme la position du MHP au sujet du référendum – aient suscité de nombreuses réactions, en Turquie comme à l’étranger. Il n’est pas utile d’entrer dans les détails de ces réactions.

Ce qui importe, c’est que le Premier ministre turc Binali Yıldırım ait rapidement compris à quel point ses remarques étaient dangereuses. Il a répondu en soulignant que la Turquie n’envisageait pas d’entreprendre une action hostile contre Erbil et a demandé à Bahçeli de se calmer.

Devlet Bahçeli, président du MHP, déclare aux journalistes, le 24 août dernier, que le référendum kurde pourrait bien pousser la Turquie à déclarer la guerre à la région autonome (AFP)

Cela ne signifie pas, bien évidemment, que la Turquie adopte une position neutre vis-à-vis du référendum. En réalité, de Téhéran à Ankara en passant par Bagdad, l’opposition au référendum semble être un dénominateur commun à toutes les capitales de la région, ainsi qu’aux principales capitales occidentales, dont Washington, sponsor principal du GRK.

Tous comprennent que si le référendum progresse, cela constituera un pas en avant vers l’indépendance du Kurdistan vis-à-vis de l’Irak, car toutes les parties concernées pressentent que le « oui » à l’autodétermination sera très probablement majoritaire.

Massoud Barzani, le président du GRK, n’exclut pas la probabilité d’une telle issue. Mais dans le même temps, il affirme qu’un vote majoritaire en faveur de l’autodétermination ne signifie pas une séparation directe de l’Irak. La région, soutient-il, jouit actuellement de pouvoirs étendus qui dépassent ceux dont bénéficient des administrations autonomes dans d’autres pays, mais elle demeure privée d’indépendance.

Quelle que soit la raison pour laquelle Barzani fait pression en faveur du référendum, l’indépendance juridique du Kurdistan pose des problèmes de degrés divers pour l’Irak et pour les pays voisins où vivent des Kurdes

Malgré les liens financiers existant entre Erbil et Bagdad, qui continuent d’être source de litiges, le Kurdistan irakien jouit de pleins pouvoirs dans les domaines de l’éducation, de la sécurité, de l’armée, de la fiscalité et même de la représentation diplomatique à l’étranger.

En d’autres termes, la région semble être largement indépendante comparée, par exemple, à n’importe laquelle des républiques autonomes de Russie. On pourrait soutenir que le référendum n’est pas nécessaire et qu’à une période où la présidence de Barzani souffre d’un manque de légitimité constitutionnelle et où des ennemis kurdes l’entourent de toutes parts, la pression qu’il exerce en faveur du vote est davantage liée à des questions personnelles qu’à d’autres considérations.

Quoi qu’il en soit, l’indépendance juridique du Kurdistan pose des problèmes de degrés divers pour l’Irak et pour les pays voisins où vivent des Kurdes.

Des répercussions de toutes parts

La séparation officielle du Kurdistan serait une très mauvaise nouvelle pour l’Irak, non seulement en raison de l’existence de territoires contestés entre Bagdad et Erbil, mais aussi parce qu’une telle séparation pourrait encourager d’autres tendances séparatistes à un moment où le nationalisme irakien vit les pires heures de son histoire.

La Turquie, qui abrite la plus grande proportion de Kurdes par rapport aux autres pays voisins et qui connaît une confrontation sanglante avec les séparatistes kurdes depuis les années 1980, craint que l’indépendance du Kurdistan irakien ne constitue un précédent historique qui remettrait en question toutes les frontières établies à l’issue de la Première Guerre mondiale.

Et tandis que l’Iran a essayé au cours des dernières années de jouer la carte kurde en Turquie et en Irak, le retour des groupes nationalistes kurdes à la lutte armée en Iran a replacé la question kurde au sommet de la liste des préoccupations de Téhéran comme de ses ennemis.

Si l’on ajoute au référendum du GRK la fragmentation de la Syrie et l’effort déployé par les Kurdes pour établir leur propre entité dans le nord de ce pays, on comprend que les répercussions régionales pourraient s’avérer importantes.

Le conflit à venir

Avec le chevauchement considérable de groupes arabes, turkmènes et kurdes dans le nord de l’Irak et de la Syrie, il ne fait aucun doute que les efforts séparatistes déployés en Irak et en Syrie engendreraient des conflits sanglants qui pourraient durer des décennies et ouvrir la région à des interventions internationales illimitées.

En outre, il est probable que les divisions profondes et anciennes entre Kurdes se poursuivent de manière largement similaire à ce que le Soudan du Sud traverse depuis son indépendance.

Les efforts séparatistes déployés en Irak et en Syrie engendreraient des conflits sanglants qui pourraient durer des décennies et ouvrir la région à des interventions internationales illimitées

Ceux qui sont versés dans les affaires de la région savent très bien tout cela. Pourtant, ce que l’on mentionne rarement, c’est que le mouvement nationaliste kurde en Irak prend racine dans les prémices de l’ordre régional post-Première Guerre mondiale. Le problème kurde en Irak n’a pas seulement été la raison la plus importante de l’instabilité de l’État irakien moderne, il constitue également un très lourd fardeau pour l’État et son peuple depuis près d’un siècle.

Contrairement à la Turquie, où la majorité des Kurdes vivent en dehors des provinces majoritairement kurdes et où il est également difficile de trouver une majorité kurde séparatiste, contrairement à la Syrie, où il n’existe pas de région majoritairement kurde significative, mais aussi contrairement à l’Iran, où la violence excessive de l’État et les divisions sectaires ont entravé les tendances nationalistes kurdes, il existe en Irak trois provinces abritant une majorité kurde décisive.

Ces trois provinces connaissent une autonomie étendue depuis au moins deux décennies. La transition du Kurdistan irakien de cette autonomie à une entité nationaliste indépendante semble logique, surtout si les Kurdes d’Irak votent en faveur de cette option. En plus d’accorder aux Kurdes leur État-nation, cette étape libérerait l’Irak d’un très lourd fardeau.

Un Kurde d’Irak marche avec un drapeau kurde dans la citadelle d’Erbil (AFP)

Habituellement, les mouvements nationalistes sont des entités qui ne sont ni sages ni rationnelles. Ils sont obsédés par des mythes et des illusions de gloire et ont tendance à inventer leurs propres notions sacrées et à exagérer leurs ambitions et leurs objectifs. Ils exagèrent aussi leurs ennemis.

Néanmoins, si le mouvement nationaliste kurde a tiré les enseignements des tragédies répétées de son passé récent (que, soit dit en passant, les dirigeants kurdes ont infligées à leur peuple autant que l’ont fait leurs ennemis), celui-ci doit être devenu plus sage, plus rationnel et plus humble. En l’espace de quelques années, le Kurdistan irakien pourrait en effet obtenir son indépendance après avoir mené des négociations satisfaisantes avec Bagdad et rassuré les pays voisins. Cette indépendance peut être obtenue à un coût minimal si elle se limite uniquement aux trois provinces majoritairement kurdes.

Toutefois, s’ils essaient de prendre le contrôle de Kirkouk et de la moitié des provinces de Diyala, Salah ad-Din et Ninive et de transformer le Kurdistan irakien en incubateur d’organisations terroristes, les Kurdes d’Irak ne récolteront pas l’indépendance, mais une guerre impliquant de nombreuses parties et destinée à durer très longtemps.

Une autre option

Mais avant que cela ne se produise – ou au lieu de cela –, il faudrait au moins tenter de formuler une nouvelle vision pour la région qui permettrait de répondre aux ambitions séparatistes, à la fois kurdes et non kurdes, dans les quatre pays où vivent les Kurdes et où il existe également une pluralité d’ethnies et de cultures.

La création de la Turquie, de l’Irak, de l’Iran et de la Syrie après la Première Guerre mondiale – que ce fût par la volonté des peuples de ces États ou en vertu d’une décision étrangère – était une invitation explicite à la naissance du mouvement nationaliste kurde et aux appels au séparatisme. Il ne fait aucun doute que la vision nationaliste a causé dans la région autant d’appréhensions que de promesses de renouveau et de prospérité.

En fin de compte, pourrait-on se demander, si les Arabes, les Turcs et les Iraniens ont eu le droit de créer leur propre État-nation, pourquoi les Kurdes devraient-ils se voir refuser ce même droit ?

Cependant, une conception différente de la région, qui refoulerait l’arrogance et ouvrirait les frontières pour une libre circulation des personnes, des biens, des richesses et des idées, pourrait en soi concrétiser les aspirations nationales de tous les habitants de la région et de ses groupes ethniques et culturels.

Ce n’est qu’alors que les appels à la séparation nationaliste dans tel ou tel État deviendraient insignifiants, injustifiables ou dénués d’avenir.

Basheer Nafi est chargé de recherche principal au Centre d’études d’Al-Jazeera.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un homme passe devant une voiture dont le pare-brise est orné d’une affiche représentant le dirigeant kurde irakien Massoud Barzani et soutenant l’indépendance, en prévision du référendum de septembre 2017, à Erbil (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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