Les bombardements israéliens en Syrie pourraient provoquer une confrontation plus large
La frappe israélienne sur la Syrie de la semaine dernière représente une escalade importante qui, si elle se répète, pourrait provoquer une confrontation plus large entre l’autoproclamé « axe de résistance » et Israël.
Alors que depuis 2012, Israël a violé l'espace aérien syrien à plusieurs reprises et mené de multiples frappes, cette dernière infraction se distingue des autres pour des raisons tactiques, opérationnelles, politiques et diplomatiques.
La profondeur de la frappe (près de Palmyre) marque un changement radical par rapport aux précédentes, qui ciblaient principalement des zones proches de Damas. Cette incursion a été suffisamment grave pour susciter une réponse crédible de la part de la défense aérienne syrienne, ce qui constitue un autre écart par rapport à la norme, les frappes antérieures n’ayant pratiquement suscité aucune réponse.
Aux niveaux politique et diplomatique, les frappes ont placé l'allié de la Syrie, la Russie, dans une situation difficile et embarrassante, notamment parce que les systèmes russes de défense aérienne couvrent totalement l'espace aérien syrien et qu’aucune force aérienne ne peut y opérer sans au moins un accord tacite de la Russie.
Israël s’expose également au risque d’un déploiement excessif en raison d’une lecture erronée des développements stratégiques plus larges. En dépit de regains de tension localisés, le conflit en Syrie est en train s’essouffler, accroissant la détermination de l'État syrien à affirmer sa souveraineté à tous les niveaux, principalement en défendant ses frontières contre les puissances étrangères hostiles.
Plus inquiétant pour Israël, le Hezbollah et ses alliés iraniens représentés par le Corps des gardiens de la révolution islamique sont maintenant disposés à prendre davantage de risques en matière d’engagement militaire et cherchent à se venger des pertes infligées par Israël au cours des cinq dernières années.
La frappe de trop ?
Les frappes de la semaine dernière étaient inhabituelles en ce qu’elles visaient des cibles proches de Palmyre, au plus profond du territoire syrien. Bien que le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou ait donné une description routinière des frappes comme visant une expédition d'armes « avancées » destinées au Hezbollah au Liban, les spéculations abondent quant à la nature et à la valeur réelle des cibles.
Alors que, dans des circonstances normales, toute violation israélienne de l'espace aérien syrien, et encore plus un bombardement, est une cause suffisante pour une réponse robuste de la défense aérienne syrienne, le fait est que l'ampleur et la complexité du conflit syrien ont donné carte blanche à l'aviation israélienne pour attaquer des cibles en Syrie.
Toutefois, cette normalisation des violations routinières de la souveraineté syrienne semble avoir pris fin, comme en témoigne la vive réaction des opérateurs de la défense aérienne syriens. Bien que les détails soient incomplets et contradictoires, il semble que la défense aérienne syrienne ait engagé le combat avec quatre jets israéliens, prétendant même avoir abattu l’un d’entre eux.
Les pertes israéliennes revendiquées par la Syrie n’ont pas été vérifiées, mais l'intensité de la réaction a suscité une réponse des systèmes de défense antimissiles d'Israël, qui a envoyé un intercepteur Arrow 2 abattre un missile sol-air syrien se dirigeant vers le territoire israélien.
Le lancement de l’Arrow 2, couplé aux sirènes de raid aérien entendues dans la vallée du Jourdain, ont forcé les dirigeants israéliens à reconnaître le raid aérien sur la Syrie, un autre écart par rapport à la norme.
Au niveau diplomatique, l'incident a finalement attiré une réponse de la Russie, l'allié le plus puissant de Damas, qui a convoqué l'ambassadeur israélien à Moscou pour fournir des explications.
Ces attaques éveillent également des soupçons sur les objectifs stratégiques de Moscou dans le conflit syrien
Malgré un accord israélo-russe sur la déconflictualisation dans le ciel syrien, le cynisme de Moscou face à la répétition des raids israéliens commençait à mettre sérieusement à l'épreuve la patience des alliés plus naturels de Damas, à savoir le Hezbollah et la force al-Qods des Gardiens de la révolution islamique.
En effet, depuis l'entrée de l'armée de l'air russe dans le conflit syrien à la fin du mois de septembre 2015, pas moins de neuf frappes israéliennes vérifiées ont été recensées sur le territoire syrien (deux frappes entre septembre et décembre 2015, cinq frappes en 2016 et au moins deux frappes cette année, y compris la frappe de vendredi), la plupart visant apparemment des expéditions d'armes sophistiquées à destination du Hezbollah.
Les attaques aériennes visant à dégrader la capacité militaire du Hezbollah, sapant ainsi les performances de ce dernier dans les zones de conflit en Syrie et, par extension, renforçant le moral des rebelles et des djihadistes syriens, remettent non seulement en question la tolérance des agressions israéliennes par la Russie, mais, à un niveau plus profond, éveillent également des soupçons sur les objectifs stratégiques de Moscou dans le conflit syrien.
Escalade rapide
On ignore encore si Moscou cherche sérieusement à contenir les opérations israéliennes en Syrie. Ce que l’on sait, c’est qu’une retenue de la part d’Israël est peu probable, comme en témoigne sa position agressive suite au dernier incident, notamment la menace du ministre de la Défense Avigdor Liberman de détruire les systèmes de défense aérienne syriens.
L’Iran a atteint un stade où il est prêt à compliquer sa coopération stratégique avec la Russie pour se venger de son ennemi israélien
La détermination israélienne a été illustrée deux jours seulement après le raid aérien de Palmyre avec une frappe de drones dans la province de Quneitra, laquelle a tué un vétéran des Forces de défense nationale syriennes. Et, signe supplémentaire de la montée des tensions, un drone israélien aurait été abattu au-dessus de Quneitra par les forces syriennes ou celles du Hezbollah.
Les Israéliens mènent également une offensive sur le front de la guerre psychologique, en affirmant que le Hezbollah avait organisé l'assassinat de son propre commandant, Mustafa Badreddine. Cette histoire extrêmement peu plausible coïncide avec une opération identique de guerre psychologique menée par les Saoudiens.
Le comportement et la rhétorique israéliens aux niveaux militaire, diplomatique et de la propagande pointent tous vers une trajectoire d'escalade rapide. En ce qui concerne les représailles, deux facteurs ont limité jusqu'à présent la liberté d'action des Iraniens et du Hezbollah, à savoir les préoccupations liées au conflit syrien et les craintes de bouleverser la Russie.
Alors que le conflit syrien s’essouffle, les Iraniens et leur allié libanais se sentent plus enhardis à répondre adéquatement aux actions militaires israéliennes. En outre, le bilan des frappes et opérations spéciales israéliennes est si lourd – notamment l'assassinat de commandants de premier plan tels que Badreddine, Jihad Mughniyah et l'icône de la résistance, Samir Kuntar – que l'Iran a atteint un stade où il est prêt à compliquer sa coopération stratégique avec la Russie pour se venger de son ennemi israélien.
La question n'est pas si, mais quand une confrontation militaire de grande envergure éclatera.
- Mahan Abedin est un analyste spécialiste de la politique iranienne. Il dirige le groupe de recherche Dysart Consulting.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : de la fumée s’élève du village syrien de Jubata al-Khashab, bombardé par l’aviation israélienne suite à une frappe syrienne plus tôt dans la journée, le 10 septembre 2016, sur le plateau du Golan annexé par Israël (AFP).
Traduit de l’anglais (original).
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