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Les enfants sont en danger : bienvenue au Guantánamo « pour enfants » d’Égypte

Bien que le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi soutienne que les jeunes sont l’espoir et l’avenir de l’Égypte, les faits disent autre chose, et le disent bien plus fort

« Vous savez ce que ça fait d’être l’une des raisons pour lesquelles une personne est derrière les barreaux ? »

C’est ainsi que m’accueille un avocat égyptien avant de me raconter sa dernière affaire. Mohamed Abdelsayed, un garçon de 14 ans, a été inculpé pour protestation et possession d’explosifs après qu’un chauffeur de taxi l’a emmené dans un commissariat et dénoncé sur la base d’un soupçon de participation à une manifestation. Il est resté en prison pendant un mois puis a été libéré quand son cas a été transféré au tribunal. Ne se faisant aucune illusion sur le système judiciaire, Mohamed craignait d’assister à l’audience mais a été convaincu de s’y rendre par son avocat, pour au final se retrouver condamné à cinq ans d’emprisonnement.

Telle est la réalité vécue par la jeunesse égyptienne aujourd’hui. Bien que le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi soutienne que les jeunes sont l’espoir et l’avenir de l’Égypte, les faits disent autre chose, et le disent bien plus fort. Alors que Sissi a commencé à célébrer l’anniversaire de ses deux ans officiels à la présidence, la liste des accomplissements de l’Égypte est riche de promesses vides et d’esprits brisés.

Servilement flatté par les médias d’État égyptiens au cours de sa campagne présidentielle, le maréchal autoproclamé est resté avare vis-à-vis de ses promesses, n’offrant rien de tangible ou susceptible d’être passé en examen et se contentant de vagues réponses rappelant étrangement l’Américain Donald Trump, comme par exemple celle consistant à dire que l’Égypte redeviendra un jour un grand pays.

Quand il a été poussé à répondre à des questions concernant l’économie, il s’est montré austère, demandant aux citoyens d’être plus économes et de « se serrer la ceinture ». Plus tard, lorsqu’on l’a interrogé sur les détentions arbitraires, Sissi a admis que certaines personnes avaient peut-être été emprisonnées à tort au cours de la répression enthousiaste de l’opposition par Le Caire, et a promis de les libérer.

Deux ans plus tard, les statistiques de l’Égypte concernant les détenus continuent de s’élever à des niveaux plus qu’inquiétants. Selon une estimation prudente, 50 000 prisonniers politiques sont détenus dans le pays. « Nous vivons l’impossible, l’impensable », m’a confié le parent de Mohamed Imad, 15 ans.

Électrocuté, fouetté, frappé au visage, au dos… ; la liste des horreurs que son père, luttant pour que sa voix ne tremble pas, me raconte, est sans fin. « Mon fils est né au Japon, vous savez, j’ai écrit à l’ambassadeur japonais, si [l’envoyer au Japon] est ce qu’il faut faire pour le mettre à l’abri, je renoncerai à lui. Le Japon peut le prendre comme l’un des siens – les enfants ici sont en danger. »

Détenu pendant plus de deux ans sur la base de dix chefs d’accusations, allant de la participation à des protestations au meurtre, Mohamed est encore dans l’attente de sa condamnation. « Tout ce que mon fils connaîtra de ce pays, ceux sont ses cachots. Il a vu plus que tout adolescent de 15 ans devrait avoir vu. »

Enlevées à leur domicile tôt le matin, ramassées à la sortie de l’école à la fin de leurs examens, retrouvées morts, en prison – ou, dans certains cas, jamais retrouvées –, les victimes de la campagne impitoyable du gouvernement égyptien contre les dissidents a atteint des sommets jamais connus dont les enfants sont la cible. 

Le jour où Hisham Naser est tombé par hasard sur trois jeunes adolescentes en train de se faire tabasser dans la rue par des voyous qui les soupçonnaient de participer à des protestations, il a essayé de s’interposer. Les voisins, au lien de l’aider, ont appelé la police et l’ont dénoncé. Au commissariat, il a été accueilli par un passage à tabac puis a été détenu pendant des mois, avant d’être envoyé à la maison de correction pour mineurs de Kom el-Dikka, puis au tristement célèbre centre de détention d’al-Aqabiya, que les enfants et leurs familles se sont mis à surnommer le « Guantánamo pour enfants ».

« Ils nous ont promis que nos enfants ne seraient pas renvoyés là-bas. D’innombrables organisations et défenseurs des droits de l’homme nous ont promis que les enfants ne devraient pas retourner à ce Guantánamo. Mais ils les y ont remis », m’a raconté d’un ton triste la mère d’Hisham.

Quand les enfants ont découvert qu’ils allaient être renvoyés à al-Aqabiya, ils ont refusé de bouger. Les officiers les ont alors jetés au sol visage contre terre, les ont frappés sur le dos et leur ont piétiné la tête avec leurs bottes. L’un d’eux a sauté sur le bras d’Hisham, le cassant sur le coup (et l’immobilisant pendant six mois), puis ils lui ont refusé tous soins médicaux. L’aggravation de son état de santé a provoqué une série de crises convulsives, auxquelles la réponse des gardiens de prison a été d’asperger Hisham d’eau bouillante.

« Je lui ai rendu visite trois jours plus tard, je ne le reconnaissais plus », a témoigné sa mère.

Il a été forcé à rester allongé sur le sol et à essuyer son sang avec son propre corps, puis contraint de rester des heures durant sur la pointe de ses orteils, risquant de se faire battre s’il osait bouger.

Les officiers s’en remettent aux détenus incarcérés pour des motifs criminels pour frapper et torturer les prisonniers politiques.  

« C’est vrai », a confirmé l’avocat. « Ce que vous disent les familles n’est qu’une petite partie de ce qui se passe effectivement là-bas. » Fracassée par le viol, la torture et les passages à tabac, la vie n’a plus de sens pour les enfants détenus à al-Aqabiya, entraînant un grand nombre de tentatives de suicide.

Les témoignages de mauvais traitements ne s’arrêtent pas là : ils sont plus monstrueux les uns que les autres. Par exemple, il est arrivé que des officiers de l’armée disent à des jeunes filles qu’étant donné que les balles, le gaz et les arrestations n’ont pas fonctionné, la seule façon de les briser sera de faire en sorte qu’elles quittent les lieux enceintes. Après leur arrestation – et des tests de grossesse invasifs –, les officiers les tourmentent en leur disant qu’elles passeront la nuit dans leurs sous-vêtements, les empêchant de fermer l’œil de la nuit.

De la disparition forcée d’Anas Badwy, 12 ans, qui a été détenu pendant un an à la prison d’Alazooly avant que quiconque ait des nouvelles de lui, à Isam Aldin, un adolescent de 15 ans souffrant de douleurs thoraciques qui a été enlevé dans la rue et hospitalisé à quatre reprises depuis son arrestation, d’innombrables témoignages font leur apparition chaque jour, dépeignant une image sombre de l’enfance perdue d’Égypte. Toutefois, comme l’a dit un père, c’est le silence assourdissant du monde qui donne au régime carte blanche pour maltraiter les enfants et continuer de les déposséder de leur sécurité et de leur vie. 

« Mon fils n’est qu’un cas parmi des centaines. Avant, vous aviez une excuse ; vous ne saviez pas. Mais maintenant… maintenant, vous savez. »

- Noor El-Terk est une ardente défenseuse de la justice sociale ayant un intérêt particulier pour la région Moyen-Orient Afrique du Nord. Elle est titulaire d’un master en ingénierie chimique et tweete à @kelo3adi.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un membre des services de sécurité égyptiens monte la garde devant l’académie de police de la capitale, Le Caire, le 21 avril 2015 (AFP). 

Traduit de l’anglais (original).

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