Skip to main content

Macron, le Golfe et l’impossible diplomatie de l’équilibre

« La politique arabe de la France est morte, vive la politique du Golfe de la France ! » Mais dans quelle mesure Paris pourrait-il suffisamment influencer les évolutions régionales pour qu’un horizon plus prometteur s’esquisse ?

De Nicolas Sarkozy à Emmanuel Macron en passant par François Hollande, les orientations diplomatiques – et commerciales – de la France dans la région ont été claires : Qatar, Arabie saoudite et Émirats arabes unis ont formé, d’une manière ou d’une autre, les piliers de l’approche française du Moyen-Orient. Symboliquement, des lustres nous séparent de l’époque où, en 1996, Jacques Chirac, depuis Jérusalem, menaçait de reprendre son avion pour protester contre le comportement des soldats israéliens qui empêchaient journalistes et Palestiniens de l’approcher.

Des lustres nous séparent de l’époque où, en 1996, Jacques Chirac, depuis Jérusalem, menaçait de reprendre son avion pour protester contre le comportement des soldats israéliens

On avait ainsi vu Nicolas Sarkozy choyer le Qatar, tandis que son successeur François Hollande faisait plutôt la part belle à l’Arabie saoudite. Qu’en sera-t-il cependant d’Emmanuel Macron, président encore relativement « vierge » sur le terrain de la diplomatie ?

À la recherche du bon « timing »

La « diplomatie Macron » fait encore montre de bien des zones d’ombre concernant beaucoup des fondements de politique étrangère sur lesquels ce quinquennat se bâtira. Si les orientations et les visions du président français sont plutôt claires concernant le renforcement du G5 Sahel comme condition pour assurer la sécurité dans le Sahel, son positionnement vis-à-vis des pays du Golfe continue à susciter des interrogations.

Un éclaircissement de cet aspect serait-il en cours d’aboutissement ? Les déplacements opérés par le président Macron dans cette région du monde ces derniers jours pourraient donner quelques éclairages en la matière. 

C’est ainsi lors d’une visite de Macron aux Émirats arabes unis qu’a retenti un certain séisme régional, caractérisé par l’annonce par le Premier ministre Saad Hariri de sa démission depuis Riyad. Cette révélation soudaine, intervenue sur fond d’intenses rivalités saoudo-iraniennes – et, par là, saoudo-hezbollahies –, et justifiée en partie par la « mainmise » de l’Iran et du Hezbollah libanais sur le Liban, s’avérait potentiellement assez inquiétante pour justifier que la France y prête une attention particulière.

Le président français Emmanuel Macron regarde une œuvre d'art lors de l’inauguration du musée du Louvre Abou Dabi le 8 novembre 2017 (AFP)

Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a parfaitement résumé la position française sur la situation libanaise lorsque, rappelant l’attachement de la France au Liban pour des raisons historiques notamment, il en a appelé, le lundi 13 novembre 2017, lors d’une réunion avec ses homologues de l’Union européenne à Bruxelles, à la non-ingérence dans les affaires de ce pays. Dans le même temps, les déclarations de Jean-Yves Le Drian selon lesquelles Saad Hariri « déclare être libre de ses mouvements, nous n’avons pas de raison de ne pas le croire » indiquaient aussi l’absence de certitudes de la diplomatie française sur la réalité du sort du Premier ministre libanais, à propos duquel toutes sortes de spéculations ont pu circuler. Et pour cause : la situation en Arabie saoudite a gagné en opacité concernant les intentions réelles du pays devant cette apparente démission forcée du Premier ministre libanais.

Selon un bon connaisseur du dossier, dès l’accès du roi Salmane au pouvoir en 2015, le mot d’ordre avait déjà été donné pour que rien ne soit épargné à l’Iran, quitte pour cela à aller jusqu’à la confrontation 

Si les purges récemment opérées par le prince héritier Mohammed ben Salmane sont une indication forte de la nature des méthodes qu’il privilégie sur le plan interne, ses conceptions sur le plan des orientations régionales ne sont pas moins source d’interrogations – voire d’inquiétudes – pour quiconque veut éviter un embrasement de la situation régionale.

Selon un bon connaisseur du dossier, un proche de la famille royale saoudienne qui souhaite garder l’anonymat, dès l’accès du roi Salmane au pouvoir en 2015, le mot d’ordre avait déjà été donné pour que rien ne soit épargné à l’Iran, quitte pour cela à aller jusqu’à la confrontation ; les évolutions en cours, caractérisées par l’obsession anti-iranienne – justifiée ou non – de Riyad, donnent du relief à cette affirmation.

Emmanuel Macron était ainsi conscient de l’importance qu’il y avait à tout mettre en œuvre pour éviter une escalade des tensions régionales. C’est pourquoi, depuis les Émirats arabes unis où il se trouvait pour confirmer l’intérêt de la France pour des perspectives culturelles en partie, économiques par ailleurs, sans oublier l’important volet militaire y afférent, il décidera de faire une brève escale saoudienne, durant laquelle il s’entretiendra directement avec le prince héritier Mohammed ben Salmane.

Médiation illusoire

Il ne fait aucun doute que la France a perçu une gravité dans la situation prévalant en Arabie saoudite et dans le reste de la région. Il suffit pour cela de constater le ton sérieux par lequel l’Élysée a rapporté les termes de la visite éclair d’Emmanuel Macron dans le royaume, dont les échanges avec ses homologues saoudiens ont porté sur la nécessité de « préserver la stabilité de la région, lutter contre le terrorisme et surtout travailler à la paix » ; s’ajoute à cela le constat du président français, qui aurait entendu « des positions très dures » de la part de l’Arabie saoudite vis-à-vis de l’Iran, positions dont il rappelle qu’elles « ne sont pas conformes » à ce qu’il pense.

Croire en la possibilité pour la France, aujourd’hui, d’avoir un levier d’action déterminant sur l’Arabie saoudite et ses actions régionales, même au nom d’une éventuelle « plus-value Le Drian », ne paraît plus vraiment réaliste

L’une des questions de fond consiste cependant à savoir dans quelle mesure la France pourrait suffisamment influencer les évolutions régionales pour qu’un horizon plus prometteur s’esquisse.

On ne saurait négliger la valeur ajoutée apportée, ces dernières années, à la France par le carnet d’adresses, l’expérience et le savoir-faire d’une personne en particulier, à savoir le ministre des Affaires étrangères – et précédemment ministre de la Défense –, Jean-Yves Le Drian ; son statut d’efficace VRP pour la vente du savoir-faire et de la technologie militaire de la France a été prouvé, et il s’est d’ailleurs exercé pour une part importante auprès des pays du Golfe en général et de l’Arabie saoudite en particulier, avant cependant que le volet saoudien ne connaisse ensuite une baisse en 2016

Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian (AFP)

L’efficacité du tour de magie de Le Drian pourrait ainsi éprouver des limites devant le sérieux des tensions qui se profilent dans les orientations politiques et stratégiques de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis.

Dès lors, croire en la possibilité pour la France, aujourd’hui, d’avoir un levier d’action déterminant sur l’Arabie saoudite et ses actions régionales, même au nom d’une éventuelle « plus-value Le Drian », ne paraît plus vraiment réaliste. Certes, le prince héritier saoudien – homme fort du royaume – semble prendre en compte sérieusement la France ; mais ce n’est pas pour autant qu’il la hisse au rang de partenaire stratégique de premier ordre.

Si, en 2016, Mohammed ben Salmane avait pu s’entretenir à Paris avec François Hollande, quelques mois après avoir passé des vacances dans le sud de la France, cela ne s’avérait pas pour autant synonyme d’un tropisme fort en faveur de l’Hexagone. Par extension, tandis que certains observateurs n’hésitaient pas à affirmer fin 2016 déjà que l’Arabie saoudite avait « tourné la page de François Hollande », ce même constat rejaillit en partie aujourd’hui – tous égards gardés – sur la perception saoudienne de la France d’Emmanuel Macron.

La force de l’ascendant saoudien

En déclarant, depuis Abou Dabi, que les Émirats arabes unis étaient un « partenaire essentiel » pour la France, Emmanuel Macron n’a en rien placé les Émiratis sur le haut du piédestal des partenaires de la France dans le Golfe, contrairement à ce que l’on pourrait parfois penser ; ainsi, le tropisme pro-qatari d’un Sarkozy ou celui pro-Saoudien d’un Hollande ne l’ont pas pour l’heure cédé à un biais pro-émirati franc de la part de Macron.

Le tropisme pro-qatari d’un Sarkozy ou celui pro-Saoudien d’un Hollande ne l’ont pas pour l’heure cédé à un biais pro-émirati franc de la part de Macron

Mais quand bien même cela serait le cas, on aurait tort d’en déduire que l’Arabie saoudite serait en attente d’une déclaration d’amour de Paris à Riyad susceptible de bousculer les orientations diplomatiques saoudiennes et, partant, une partie des équilibres – ou déséquilibres – régionaux découlant de ce cette politique.

La nature des choix politiques et stratégiques saoudiens est d’ores et déjà évidente, et elle se calibre plus en fonction des mastodontes de la diplomatie internationale – États-Unis et Russie – que suivant les volontés françaises. Et ce même si les Saoudiens demeurent attentifs à la nature de leurs relations avec Paris, comme en témoigne notamment la rencontre de Macron à Riyad avec Mohammed ben Salmane.

Les Saoudiens, dont la diplomatie s’inscrit sur le temps long, savent qu’ils seraient de toute façon mal inspirés de faire preuve d’un manque de considération vis-à-vis d’un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, qui pourrait s’avérer particulièrement utile en temps de polémiques et/ou de quête par Riyad de soutien à ses actions sur les dossiers syrien, iranien ou encore yéménite.

À LIRE : INTERVIEW – Pierre Conesa : la France et l’Arabie saoudite entretiennent « une relation perverse »

Mais il ne faut pas pour autant se tromper sur la réalité de fond des orientations saoudiennes. Trois capitales prennent le dessus quant aux positionnements diplomatiques du royaume, à savoir, par ordre d’importance : Washington, Moscou et Pékin. Et si tant est que la France réussisse à se hisser à leur rang, ce ne pourrait être qu’au prix d’un endossement des conceptions saoudiennes des questions régionales. Ce qui, dans le fond, reviendrait à ne pas vraiment avoir d’influence, adaptation ne pouvant rimer avec domination.

Une impossible diplomatie de l’équilibre

C’est ainsi que, pour l’heure, le positionnement de la diplomatie française ne présente aucune capacité de pression particulière, rejoignant en quelque sorte le mou que l’on avait reproché au président Hollande sur cette même question.

Pour l’heure, le positionnement de la diplomatie française ne présente aucune capacité de pression particulière, rejoignant en quelque sorte le mou que l’on avait reproché au président Hollande sur cette même question

Il est évident que Paris s’était retrouvé dans une position quelque peu inconfortable, en juin 2017, lorsqu’il assistait à la montée soudaine des tensions entre l’Arabie saoudite et ses alliés d’un côté, et le Qatar de l’autre. Pour louables qu’elle soient, sa politique de l’équidistance, suivie par la nomination en septembre 2017 d’un médiateur français de renom pour tenter de désamorcer cette crise, ne peuvent cependant être plus fortes que les choix politiques pensés et engagés, précisément, par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis au nom de leurs propres intérêts.

On pourra ainsi assister, le long du quinquennat Macron, à des tentatives similaires de réorientation des évolutions régionales, mais il ne faut pas exagérer nos attentes devant la réalité des capacités diplomatiques françaises dans le Golfe.

Sur la forme, c’est la déférence qui continuera très probablement à caractériser les contours du dossier français dans le Golfe ; sur le fond, lorsque la confrontation saoudo-iranienne marquera des signes d’envenimement supplémentaires, la France n’aura très probablement d’autre choix que de suivre, sans beaucoup de leviers d’actions, des évolutions pour lesquelles d’aucuns ne manqueront pas de rappeler combien les marchés du Golfe ont eu valeur de débouché – et continueront probablement en ce sens – pour le marché français de l’exportation en armement.

 Barah Mikaïl est directeur de Stractegia, un centre basé à Madrid et dédié à la recherche sur la région Afrique du Nord – Moyen-Orient ainsi que sur les perspectives politiques, économiques et sociales en Espagne. Il est également professeur de géopolitique et de sécurité internationale à l’Université Saint Louis – Campus de Madrid. Il a été auparavant directeur de recherche sur le Moyen-Orient à la Fundación para las Relaciones Internacionales y el Diálogo Exterior (FRIDE, Madrid, 2012-2015) ainsi qu’à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS, Paris, 2002-2011). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et publications spécialisées. Son dernier livre, Une nécessaire relecture du « Printemps arabe », est paru aux éditions du Cygne en 2012.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane reçoit le président français Emmanuel Macron dans la capitale Riyad le 9 novembre 2017 (AFP).

New MEE newsletter: Jerusalem Dispatch

Sign up to get the latest insights and analysis on Israel-Palestine, alongside Turkey Unpacked and other MEE newsletters

Middle East Eye delivers independent and unrivalled coverage and analysis of the Middle East, North Africa and beyond. To learn more about republishing this content and the associated fees, please fill out this form. More about MEE can be found here.