Pendant que l'opposition syrienne évalue ses options, Alep tombe
Alep est presque tombée. La zone contrôlée par l'opposition syrienne, également connue sous le nom de « rebelles », se réduit comme peau de chagrin. Les forces d'opposition syriennes pourraient subir une nouvelle défaite stratégique, ce qui porterait un nouveau coup à leur campagne contre Assad.
La chute d'Alep est en cours depuis un certain temps maintenant, mais est-ce la force militaire brute de la Russie et du régime syrien qui est derrière ce développement significatif ? La réponse est non, tout simplement.
Les guerres ne sont pas gagnées par les armes. L'incapacité des forces d'opposition syriennes à se coordonner entre elles et le soutien limité apporté par leurs partisans représentent les deux causes fondamentales de la chute d'Alep. Ces deux facteurs sont, par ailleurs, intrinsèquement liés.
Un soutien « inconsistant » à l'opposition
Depuis le début de la révolution, l'engagement des « partisans » des forces d'opposition syriennes a été inconsistant. Les restrictions placées par l'UE et l'Occident sur les forces de l'opposition avant 2014 ont tout juste évité un embargo sur les armes.
En conséquence, la révolution s'est appuyée sur des technologies de bas niveau et des armes anciennes et limitées acquises par le biais de divers partenaires régionaux. L'incertitude publique de l'administration Obama à l'égard de l'opposition, à l’instar de ses règles auto-restrictives (pas de troupes sur le terrain), a rendu le régime syrien conscient de la capacité militaire et du soutien limités dont bénéficie l'opposition – et il en a pleinement profité.
L'incapacité et la réticence de l'Occident ont entravé les forces d'opposition syriennes et affaibli le soutien des alliés régionaux qui s’en sont remis aux États-Unis pour apporter une aide. Cela a eu pour conséquence que l'Armée syrienne libre (ASL) s’est fracturée puis s’est dissoute en plusieurs groupes.
Or, encore une fois, les guerres ne sont pas gagnées par les seules armes. L’erreur cruciale des « partisans » était leur manque total d'intérêt à soutenir suffisamment les forces de l'opposition de manière à favoriser une vision stratégique.
Alors que l'opposition savait ce qu'elle voulait à long terme [l’éviction d'Assad], elle n’a pas développé ses intérêts stratégiques à court et moyen termes.
Les « partisans » de l'opposition (en particulier en Occident) auraient pu fournir une large gamme de conseils et de formations sur la gouvernance, la gouvernance transitoire, la reconstruction post-conflit, la gestion des conflits, la discipline, le commandement, le contrôle et la diplomatie, mais ils ne l’ont pas fait.
La formation dispensée était limitée et s’est concentrée uniquement sur l’affaiblissement et la défaite du groupe État islamique (EI).
Dès lors, un vide dangereux s'est matérialisé. Au début du conflit, il a été rempli par des groupes djihadistes, dont l’EI et al-Qaïda, qui eux avaient une vision stratégique claire pour la Syrie, disposaient d'une structure de commandement et de contrôle ayant fait ses preuves, possédaient des armes efficaces et bénéficiaient d’une expérience militaire acquise en Irak et en Afghanistan.
Plus tard, dans le contexte de ce vide et de la menace croissante à laquelle faisait face le régime syrien, la Russie s’est engagée dans le théâtre du conflit.
Les inévitables affrontements de l'opposition
Nous devons garder à l'esprit que les forces d'opposition syriennes se composent principalement de transfuges de l'armée et de civils ayant peu d'expérience de combat et de vision stratégique.
L'aile politique de l'opposition syrienne, composée de diplomates et d'universitaires ayant fait défection et vivant dans la diaspora, était également mal équipée pour la tâche à accomplir. Les affrontements internes et les schismes entre factions étaient inévitables.
Il incombait aux « partisans » des forces d'opposition syriennes en Occident de fournir les ressources permettant à la structure organisationnelle et à la vision de l'opposition de se développer.
La chute d'Alep est le résultat direct de cet échec stratégique plutôt que de la force supérieure des armements de la Russie et du régime syrien. Alors que l'opposition syrienne aurait pu être l’instigatrice de sa transformation effective, l'énormité de la situation, la rapidité du conflit et son « internationalisation » ont dépassé ses compétences politiques et militaires.
Par conséquent, l'opposition syrienne a été affaiblie, battue stratégiquement et surpassée en matière de puissance de feu.
Aucune stratégie claire
Si et quand Alep tombera, les options de l'opposition seront réduites. À ce jour, il n'y a pas de stratégie claire pour la suite. Diverses factions tiennent actuellement des réunions afin d’élaborer une stratégie.
Sur le plan militaire, l'opposition estime qu'elle peut rester à Alep comme elle l'a fait à Homs même après la capture de la ville par le régime. On parle aussi de relier les forces d'opposition restantes et leurs alliés aux forces turques (opération « Bouclier de l’Euphrate »).
Sur le plan politique, le commandement de l'opposition revoit sa stratégie pour faire face à la politique syrienne de l'administration Trump à venir et participe à la diplomatie de l'envoyé de l'ONU pour la Syrie Staffan De Mistura.
Mais les options tant politiques que militaires ont de sérieuses limites.
Militairement, s’accrocher à Alep deviendra une entreprise coûteuse, tandis que la liaison avec les forces turques ne pourrait être qu'un effort à court terme, l’éviction d’Assad n'étant pas dans l'intérêt actuel de la Turquie.
Politiquement, l'initiative de De Mistura a déjà été rejetée par le régime syrien, et l'opposition syrienne n’a plus confiance en ses intentions. Enfin, compte tenu du désir de l'administration Trump de se rapprocher de la Russie et du régime syrien, la marge de manœuvre diplomatique de l'opposition est limitée.
La détermination de l'opposition demeure intacte
Pourtant, la détermination de presque tous les dirigeants politiques et militaires que je connais demeure intacte. Ils ne veulent en aucune circonstance abandonner la lutte. L’opposition semble avoir pris conscience qu’elle doit se retrancher sur ses positions à long terme.
Les guerres ne sont pas gagnées sur le plan militaire. Elles sont gagnées par ceux qui combattent et par leur détermination. Toutefois, les ressources doivent correspondre à cette détermination.
Dans l'ensemble, les éléments politiques et militaires de l'opposition syrienne souhaitent une solution politique à l’amiable qui verrait l’éviction d'Assad et la fin de la guerre.
Néanmoins, l’opposition comprend qu'elle doit maintenir son engagement militaire et sa position politique si elle veut s’assurer un siège à la table des négociations quand le moment viendra de prendre une décision sur l'avenir de la Syrie.
- Usama Butt est le fondateur et directeur de l'Institut des affaires stratégiques islamiques, un groupe de réflexion basé à Londres qui est axé sur les questions stratégiques du monde islamique.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : un combattant rebelle regarde de la fumée s’élever en arrière-plan pendant des affrontements avec les forces pro-gouvernementales au sud de la ville d'Alep, au nord de la Syrie, le 19 octobre 2015 (AFP).
Traduit de l’anglais (original).
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