Skip to main content

Pour les jeunes Israéliens, les armes à feu sont des accessoires sexy, pas des objets de destruction

La prolifération en ligne d'images qui sexualisent les soldates israéliennes aide à normaliser la violence et l'occupation militaires

Les armes à feu et les selfies ne vont généralement pas de pair. En Israël, cependant, on voit souvent des adolescentes poser non seulement avec des lèvres boudeuses et des sourires parfaitement pratiqués – mais aussi avec une arme négligemment jetée sur leurs épaules.

Il est difficile de trouver une Israélienne dans sa vingtaine ayant servi dans l'armée qui n’ait pas au moins une photo d’elle en uniforme et arme publiée en ligne. Il peut s’agir d’un selfie pris dans le bus ou entre amis, ou même d’un cliché de l'ombre d'un pistolet, juste pour l'esthétique.

Lorsque l’on est inondé de photos comme celles-ci, il peut être facile d'oublier que les armes ne sont ni sexy, ni cool, et que ce sont des objets violents destinés à tuer des gens

Souvent, les photos représentent des moments de tous les jours, accompagnées de légendes telles que « je m’ennuie » ou « un autre samedi sur la base » et des hashtags comme #IDF (armée de défense d’Israël) #Israël #Armée #Soldat #Vie. Il est coutumier de publier une photo au moment de l’enrôlement et une autre au moment où l’on déchire la carte d'identité de l'armée à la fin du service.

Ces photos sont omniprésentes en ligne et sont devenues banales dans le contexte de la culture de la jeunesse israélienne. Les soldats israéliens sont tenus de porter des uniformes et souvent des armes à feu pour aller et revenir de leur base, et sont intégrés dans la société civile.

Les Israéliens sont donc habitués à voir des armes sur les autobus, dans les rues animées, les cafés et les parcs. En général, leur ubiquité les rend souvent insignifiantes.

La culture selfie de l'armée israélienne

Des comptes Instagram comme « hotisraeliarmygirls » (filles sexy de l’armée israélienne) et « girlsdefense » (filles de la défense) ne sont que quelques-uns de ceux spécifiquement consacrés à afficher des images à caractère sexuel de soldates, où les femmes sont montrées en uniforme et bikini. Même une recherche sur Google de « femmes israéliennes » aura pour principal résultat des images de soldates.

L'idée que poser de façon séductrice avec une arme à feu est intrinsèquement politique n’apparaît pas comme une évidence dans la mesure où l'action est normalisée. Cependant, même l'armée israélienne interdit à certaines unités de publier des photos en uniforme ou d'exprimer des opinions politiques en ligne.

Images de soldates de l’armée israélienne via le compte instagram @hotisraeliarmygirls

Lorsque l’on est inondé de photos comme celles-ci, il peut être facile d'oublier que les armes ne sont ni sexy, ni cool, et que ce sont des objets violents destinés à tuer des gens. Sur ces photos, les armes sont décontextualisées, présentées comme des objets complètement indépendants des machineries de la mort qu’elles sont en vérité. Elles sont fétichisées, exposées comme des symboles de pouvoir et d’orgueil, ou tout simplement comme un accessoire sans importance.

Les armes sont-elles sexy ?

Ces dernières années, un certain nombre d’incidents impliquant des images particulièrement scandaleuses de soldates israéliennes ont fait sensation sur internet, attirant l'attention sur cet aspect de la culture de l'armée.

En 2012, la photo d'une jeune fille en bikini se tenant de façon provocante sur la plage avec une arme en bandoulière a été amplement partagée sur les réseaux sociaux. Un incident similaire s'est produit en 2013, lorsque quatre jeunes femmes de l'armée portant seulement strings et mitraillettes se sont photographiées et ont publié les photos sur Facebook pour plaisanter.

Les médias internationaux ont également contribué à la sexualisation des soldates israéliennes en publiant des titres comme « Ces bombes israéliennes pourraient vous tuer au premier coup d’œil » ou « Les teignes d’Israël ne vont pas à la plage sans leurs fusils d'assaut ».

En 2007, le magazine masculin Maxim a publié un article, intitulé « Les femmes des forces de défense d’Israël », qui présentait des soldates en sous-vêtements, encouragé en cela par le consulat israélien à New York qui voyait dans cette campagne un moyen d’améliorer l'image d'Israël à l'étranger.

Dans chacun de ces cas, se focaliser sur la grivoiserie de ces photos ne fait que détourner l’attention du fait qu’elles constituent aussi un produit du complexe industrialo-militaire israélien. Cela, à son tour, nous désensibilise à la violence de l'armée et à celle du fusil en tant qu’arme.

Images de soldates de l’armée israélienne via le compte instagram @hotisraeliarmygirls

Le monde a été choqué lorsqu’a émergé une vidéo du soldat Elor Azaria en train d’assassiner un Palestinien alors que celui-ci était étendu au sol, blessé. Toutefois, l'apathie totale du soldat envers la violence infligée à l'autre est inscrite dans la culture de la jeunesse israélienne à travers la normalisation de l'armée et des armes, qui apparaissent dans une multitude de feeds Instagram et Facebook auprès de visages souriants.

Le soldat apolitique

Des artistes comme la photographe israélienne Mayan Toledando et la photographe hollandaise Rineke Dijkstra ont fait des soldates israéliennes leur sujet, mais en l’abordant sous un angle moins frontal, mettant l'accent sur l'innocence de ces jeunes femmes.

Les Israéliens sont habitués à voir des armes sur les autobus, dans les rues animées, les cafés et les parcs. En général, leur ubiquité les rend souvent insignifiantes

Dans ces deux projets photographiques, l'objectif est d'humaniser le soldat, et ainsi de le dépolitiser. Le but de la série de photographies de soldates israéliennes de Toledando était de montrer l’individualité de ces femmes face à l'uniformité de l'armée, en vue de restaurer leur autonomie.

« Elles brillent doucement dans leur singularité », écrit Maayan Goldman dans une présentation des photos pour Vice. « C'est leur ennui de gamine et d’adolescente qui reflète une protestation passive et endormie contre la violence. »

À LIRE : L’armée israélienne a tenté de se racheter avec le procès d’Elor Azaria. C’est un échec

L’idée qui sous-tend le travail de Toledando est que l'uniforme, le soldat et l'armée devraient être humanisés, et qu’il ne s’agit pas nécessairement d’un sujet politique. De même, les photos en ligne sur les médias sociaux exigent d'être perçues comme apolitiques.

L'aspect inquiétant de la culture selfie en ligne de l'armée n'est pas nécessairement l’affirmation d’une forme particulière de fierté ou de politique nationaliste, mais sa revendication comme apolitique et l'insistance sur l’idée que l'on puisse être un individu tout en étant un soldat en uniforme avec une arme.

L’apathie totale du soldat envers la violence infligée à l'autre est inscrite dans la culture de la jeunesse israélienne

Poser de manière aguicheuse avec une arme est peut-être le parangon de la déconnexion vis-à-vis de la véritable fonction de ces objets. Ces photos sont alarmantes dans leur ordinarité, dans leur ubiquité, dans leur propre exigence de s’afficher comme apolitiques.

Elles sont l’emblème d'une culture qui récompense une dissociation de la violence et, ce faisant, la propagent davantage. En fin de compte, ces photographies reflètent à quel point la société israélienne est déconnectée de son occupation militaire.

- Leeron Hoory est une journaliste indépendante basée actuellement à New York. Son travail est paru dans Slate, Quartz, Salon et d’autres publications.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : soldates israéliennes lors d'un entraînement sur le terrain le 4 décembre 2006 (Flickr).

Traduit de l’anglais (original).

New MEE newsletter: Jerusalem Dispatch

Sign up to get the latest insights and analysis on Israel-Palestine, alongside Turkey Unpacked and other MEE newsletters

Middle East Eye delivers independent and unrivalled coverage and analysis of the Middle East, North Africa and beyond. To learn more about republishing this content and the associated fees, please fill out this form. More about MEE can be found here.