Pourquoi Dahlan pourrait polariser les Palestiniens s’il devenait président de l’AP
Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi semble être proche de manigancer le retour de l’homme politique palestinien controversé, Mohammad Dahlan, au sein du mouvement actuellement au pouvoir en Cisjordanie, le Fatah. Dahlan, qui vit en exil à Abu Dhabi, pourrait grâce à cette manœuvre succéder à Mahmoud Abbas à la tête de l’Autorité palestinienne (AP).
Des réunions et navettes intensives ont récemment eu lieu tant au Caire qu’à Amman pour combler le fossé entre Abbas et Dahlan, qui sont rivaux. Une délégation de cinq membres du comité central du Fatah a tenu une réunion au Caire pour discuter de la réforme du Fatah sous les auspices de quatre pays arabes, à savoir l’Égypte, les Émirats arabes unis, la Jordanie et l’Arabie saoudite.
Tant Israël que les pays arabes s’inquiètent de la trajectoire future de la Palestine suite au départ d’Abbas. Certains voient Dahlan comme la solution
Jibril Rajoub, membre de la délégation et l’un des opposants les plus virulents à Dahlan, a ensuite proclamé dans une interview pour la chaîne de télévision égyptienne ONTV que son mouvement prendrait des mesures concrètes pour réorganiser et réformer sa structure. Il a ajouté que le Fatah considèrerait soigneusement la réadmission d’associés et de membres expulsés afin de contrer les menaces imminentes auxquelles il fait face.
Ceci peut sembler se référer au retour d’exil de Dahlan. Le journal officiel jordanien al Rai a affirmé que le comité central du Fatah avait voté en faveur du retour de personnes proches de Dahlan et qu’il y avait même des tentatives pour faire revenir Dahlan lui-même.
Le 10 mars 2014, le président Mahmoud Abbas a accusé Dahlan, ancien chef des forces de la sécurité préventive dans la bande de Gaza, de corruption, assassinats et association traîtresse avec Israël. En 2011, le comité central du Fatah a publié une résolution irrévocable à l’encontre de Dahlan. Puis suite à une enquête pour corruption, il a été expulsé sans réserve du mouvement.
Dahlan : populaire en Occident et dans les capitales de la région
Tant Israël que les pays arabes s’inquiètent de la trajectoire future de la Palestine suite au départ d’Abbas. Certains voient Dahlan comme la solution.
Avigdor Liberman, le ministre de la défense israélien ultra-nationaliste, est lui-même enthousiaste au sujet de Dahlan. Se basant sur l’expérience passée, il considère que ce dernier se soumettrait avec docilité aux désirs d’Israël, à condition qu’il préside le Fatah et l’AP.
Pour l’Égypte et les monarchies du Golfe (essentiellement les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite), Dahlan est un chef impitoyable avide de pouvoir qui pourrait réussir à contrer, ou plutôt éliminer, le Hamas, ramification des Frères musulmans. Ces derniers sont officiellement considérés par les leaders du coup d’État égyptien comme une organisation terroriste et perçus par les États du Golfe comme une menace existentielle mettant en péril leur survie même.
Même au sein de la structure organisationnelle du Fatah, Dahlan est le candidat le plus solide pour remplacer Abbas
Pour l’administration américaine, la durabilité du dénommé processus de paix est une mission qui a besoin d’être revigorée. Il semble que Dahlan soit la personne qui corresponde explicitement à l’empressement de Washington à accomplir ce but.
Même au sein de la structure organisationnelle du Fatah, Dahlan est le candidat le plus solide pour remplacer Abbas. Mais il n’est pas nécessairement le plus populaire. En début d’année, dans un sondage demandant quel serait le leader du Fatah susceptible de succéder à Abbas, Marouane Barghouti – et non pas Dahlan – a été le seul à devancer Ismaël Haniyeh, le chef du Hamas dans la bande de Gaza.
Barghouti, qui est considéré comme le leader de la seconde Intifada, purge une quintuple condamnation à perpétuité assortie de 40 années d’emprisonnement dans une geôle israélienne. De manière tout à fait exceptionnelle, il jouit du soutien et du respect de toutes les factions palestiniennes, mais n’a pas la popularité de Dahlan dans les capitales régionales et occidentales.
Pourquoi le Hamas se méfie de Dahlan
Il est vrai que Dahlan fait l’objet d’une admiration significative parmi certains membres du Fatah, spécialement dans la bande de Gaza. Il est intéressant de noter que lors des élections parlementaires de 2006, il a remporté une victoire écrasante contre le principal candidat du Hamas, Yunis al-Astal, dans la ville de Khan Younès. Cela dit, il est vraiment difficile d’estimer l’étendue de son influence parmi les membres du Fatah en Cisjordanie.
Dahlan a aussi la réputation d’avoir une influence considérable au sein de la diaspora palestinienne, notamment dans les camps de réfugiés en Jordanie et au Liban. Ses réseaux financiers lui ont permis de maintenir ses relations et son influence au sein des institutions de ces communautés. Néanmoins, le plan de succession est menacé par divers facteurs décisifs.
Au sein du Fatah, il est inconcevable que Dahlan puisse revenir aisément tant qu’Abbas demeure au pouvoir. Cela dit, Abbas vieillit et les puissances régionales et internationales ont leurs propres plans et préoccupations. Grâce à leur influence, Dahlan pourrait être capable de réparer ce qui était une relation à « somme nulle » avec Abbas tandis que ses adversaires directs, particulièrement en Cisjordanie, ferment les yeux sur les charges susmentionnées ainsi que sur leur décision irrévocable de suspension.
Avec leur opportunisme politique, leur pragmatisme immoral et leur malice trompeuse, ils pourraient accepter leur ancien ennemi corrompu comme président à condition que leurs intérêts soient préservés et que le Hamas soit vaincu. (Bizarrement, Rajoub a offensé les chrétiens palestiniens en les traitant moqueusement de « communauté du Joyeux Noël » pour avoir voté pour le Hamas.)
Il ne fait aucun doute que les manœuvres de Dahlan sont empreintes d’incertitude, tout simplement parce que la région dans son ensemble bouillonne toujours de colère
Au niveau national, le nom de Dahlan évoque l’hégémonie de ses agents du renseignement et les intrusions et abus de l’appareil de sécurité qu’il a dirigé, lequel collaborait en outre avec la CIA et les renseignements israéliens.
D’autre part, le Hamas, bien qu’il ait récemment approuvé le travail d’associations caritatives dirigées par l’épouse de Dahlan dans la bande de Gaza, ne cesse d’associer Dahlan à l’agitation délibérée qui a suivi l’inauguration de son gouvernement élu démocratiquement en 2007. Le Hamas a publiquement accusé Dahlan d’avoir orchestré le chaos artificiel qui a débouché sur l’impasse meurtrière et la division politique néfaste et tragique entre les deux mouvements rivaux, le Fatah et le Hamas.
Le résultat est que toute possible convergence, ou modus vivendi, qui pourrait non sans hésitation être atteinte entre le Hamas et Dahlan n’apaisera pas les peurs notoires du Hamas, qui craint que Dahlan ne conspire à nouveau pour chercher à le renverser.
D’autre part, il ne fait aucun doute que les manœuvres de Dahlan sont empreintes d’incertitude, tout simplement parce que la région dans son ensemble bouillonne toujours de colère. Il semble qu’il se soit lourdement appuyé sur le régime du coup d’État en Égypte, lequel, jusqu’à présent, n’est pas parvenu à établir sa propre légitimité.
La démocratie ne signifie pas toujours un changement pour le mieux
Dahlan est notoirement connu pour être un protégé des Américains, faire ami-ami avec des officiels israéliens, être hostile à des rivaux politiques issus de son propre peuple, soutenu par des ennemis régionaux et internationaux des Palestiniens, et accusé d’avoir orchestré un putsch contre des élections nationales démocratiques.
Toutes ces qualifications satisfont sans doute les prérequis du plan qui vise à liquider la cause palestinienne et à lui donner à la place une patrie de substitution sous le patronage d’un « axe arabe de modération » nouvellement ragaillardi et dont les efforts pour régler partiellement la cause palestinienne sont toujours aussi intenses.
Il ne fait aucun doute que les Palestiniens accueilleraient massivement une élection démocratique qui mènerait à une nouvelle phase leurs aspirations à la liberté et à l’auto-détermination. Cependant, le dilemme des Palestiniens est que même si des élections démocratiques et transparentes étaient organisées, les perspectives d’un changement authentique demeureraient faibles.
Hypothétiquement, si Dahlan se porte candidat à la présidence et est élu, le drame palestinien continuera d’être une tragédie
La raison fondamentale de ceci est que la démocratie occidentale ne fonctionne tout simplement pas dans les pays du Moyen-Orient, non pas parce que les populations de cette région n’y sont pas prêtes, mais parce que les puissances internationales demandent une démocratie sur mesure qui ne fera que porter au pouvoir des autocrates obséquieux. Tout résultat électoral qui ne satisferait pas les références occidentales serait confronté soit au destin de Mohamed Morsi en Égypte, soit au blocus du Hamas.
Hypothétiquement, si Dahlan se porte candidat à la présidence et est élu, le drame palestinien continuera d’être une tragédie. Mais s’il échoue, ce sera une « tragédie encore plus noire ». Dans les deux cas, le Hamas ne renoncera pas facilement à ses réalisations dans la bande de Gaza et ne donnera à aucune partie une chance de l’écraser.
L’émergence de Dahlan pourrait conduire à une nouvelle phase de polarisation politique qui pourrait déboucher sur une guerre civile susceptible indéniablement de distraire les Palestiniens de leurs objectifs convoités d’indépendance et de liberté.
- Ahmed al-Burai est maître de conférences à l’Université Aydın d’Istanbul. Il a travaillé avec la BBC World Service Trust et le LA Times à Gaza. Actuellement basé à Istanbul, il se focalise principalement sur les questions relatives au Moyen-Orient. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @ahmedalburai
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Mohammed Dahlan, un responsable du Fatah, se tient à proximité d’un portrait de l’ancien dirigeant palestinien Yasser Arafat lors d’une interview réalisée dans son bureau à Abu Dhabi en septembre 2015 (AFP).
Traduit de l’anglais (original).
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