EXCLUSIF : Le plan secret des pays arabes pour évincer le dirigeant palestinien Mahmoud Abbas
Les Émirats arabes unis (EAU), l’Égypte et la Jordanie prévoient une ère post-Mahmoud Abbas qui laisserait à son grand rival du Fatah, Mohammed Dahlan, le contrôle de la présidence palestinienne, de l’Organisation de libération palestinienne et de l’Autorité palestinienne, a appris Middle East Eye.
Des sources palestiniennes et jordaniennes haut-placées ont chacune de leur côté averti MEE de ce projet. Bien qu’elles aient insisté sur des aspects différents – la source jordanienne a ajouté des mises en garde au sujet des faiblesses connues de Dahlan – ils ont indépendamment corroboré l’existence d’un plan d’action commun.
Mahmoud Abbas est une personnalité majeure de la politique palestinienne depuis les années 1990 et président depuis 2005.
Mohammed Dahlan est un ancien responsable du parti politique palestinien Fatah, il est exilé de Gaza et de Cisjordanie et entretient des relations étroites avec la monarchie des EAU.
Les EAU ont déjà discuté avec Israël de la stratégie pour introniser Dahlan et les trois parties informeront l’Arabie saoudite, dès qu’ils seront parvenus à un accord sur sa forme finale.
Les principaux objectifs du plan sont les suivants :
· unifier et renforcer le Fatah pour les prochaines élections avec le Hamas ;
· affaiblir le Hamas en le divisant en factions rivales ;
· conclure un accord de paix avec Israël, avec le soutien des États arabes ;
· prendre le contrôle des institutions palestiniennes souveraines : l’Autorité nationale palestinienne (ANP), la présidence de l’OLP et le leadership du Fatah ;
· chorégraphier le retour de Dahlan comme la personne tenant les rênes du Fatah et de l’Autorité palestinienne (AP)
L’un des moteurs instigateurs du plan est Mohammed ben Zayed, le prince héritier d’Abu Dhabi, qui a clairement fait comprendre à la Jordanie que les divergences sur le président palestinien Abbas ont affecté les relations bilatérales.
Les Émiratis ont, à un moment donné, demandé l’arrestation d’Abbas ainsi que l’interdiction pour lui de pénétrer en Jordanie ou d’utiliser la Jordanie pour voyager à l’étranger.
« Les Émiratis, en particulier Mohammed ben Zayed, rejettent totalement Abbas sur le plan personnel, ils ont été jusqu’à dire explicitement aux Jordaniens que la raison pour laquelle les EAU sont négatifs à propos de la Jordanie tient au fait que la Jordanie n’a pas pris position contre Abbas », a déclaré la source palestinienne à MEE.
Les trois pays arabes ont énuméré les étapes nécessaires à la mise en œuvre de ce plan et ont attribué des rôles à chaque acteur.
Avant que des élections présidentielles et législatives puissent avoir lieu cette année au cours desquelles Abbas pourrait être renversé, un remplaçant nommé et un accord conclu avec Israël, une série de mesures devront être prises.
La première est de parvenir à une réconciliation au sein du Fatah.
« Dahlan estime que le Hamas est plus faible que le Fatah à Gaza et que le Fatah est plus faible que le Hamas en Cisjordanie, le Fatah pourrait gagner s’il s’unifiait alors que le Hamas est susceptible de gagner si le Fatah reste désuni », a déclaré notre source palestinienne.
« Dahlan voit deux options pour y parvenir : soit Abu Mazen [Abbas] démissionne, ce qui est peu probable, soit la Jordanie conduit la réconciliation entre Dahlan et Abbas sous prétexte de renforcer le Fatah. »
La deuxième étape serait de trouver un accord avec le Hamas sur la tenue d’élections présidentielles et législatives. La troisième serait de « remodeler » l’AP pendant la période pré-électorale.
« Les différentes parties [les Émirats arabes unis, la Jordanie et l’Égypte] sont persuadées que Mahmoud Abbas a expiré sur le plan politique et qu’elles devraient essayer d’empêcher toute surprise de la part d’Abbas au cours de la période où le Fatah restera sous sa direction jusqu’à ce que les élections aient lieu », selon la même source.
« C’est dans ce cadre qu’elles soulignent “la nécessité de pousser Abu Mazen à nommer un remplaçant“. »
N’envisageant pas de se présenter comme candidat à la présidence « à ce stade », Dahlan chercherait selon ces sources à accéder au poste de président du Parlement, une position à partir de laquelle il croit pouvoir contrôler la présidence.
Mohammed Dahlan veut voir l’ancien ministre palestinien des Affaires étrangères Nasser al-Qudwa au poste de président, bien que les Israéliens préfèrent Ahmed Qurei (Abu Alaa). Dahlan prétend être en mesure d’influencer les deux.
« Dahlan estime que les postes de leader peuvent être divisés en trois : le chef du Fatah, le président de l’Autorité palestinienne et le président de l’OLP. Il ne s’oppose pas à ce que la Jordanie nomme ceux qu’elle juge appropriés pour ces postes », a expliqué la source.
« Après avoir soumis ses options et préférences personnelles, Dahlan estime que la question est ouverte au dialogue et à la discussion avec les Jordaniens et les Émiratis et qu’il serait possible de s’arranger avec les noms proposés par la Jordanie. »
Dahlan veut des élections législatives et présidentielles menées au nom de « l’État de Palestine » plutôt qu’à celui du Conseil législatif palestinien (qui est dominé par le Hamas) ou de l’AP. Aux yeux de Dahlan, cela renforcerait l’OLP par rapport à l’Autorité palestinienne et contournerait la question de la Charte palestinienne.
La quatrième étape de ce plan consiste à « soumettre le Hamas ».
De l’avis de Dahlan, cela pourrait être réalisé de diverses manières : en divisant le Hamas en une faction nationale à l’intérieur de Gaza et en une faction internationale liée à l’Organisation internationale des Frères musulmans ; en contenant le Hamas à l’intérieur de l’AP ; et en mettant en place une « pression douce » sur le Hamas, comme un plan émirati visant à installer une usine de dessalement dans le Sinaï qui desservirait Gaza tout en donnant aux Égyptiens et à leurs alliés la possibilité de couper l’approvisionnement.
« Dahlan estime qu’il serait possible de travailler avec la direction du Hamas à Gaza. Il affirme qu’il a été celui qui a convaincu les Égyptiens de rencontrer la délégation du mouvement dans ce contexte », a déclaré la source.
« Les Égyptiens ont parlé au Hamas de leurs trois conditions pour la réconciliation, à savoir que le Hamas cesse tout comportement hostile à l’intérieur de la bande de Gaza ; que le Hamas travaille à pacifier la situation au Sinaï ; et que le Hamas remette à l’Égypte ceux qu’elle recherche et qui se trouvent à Gaza. Dahlan insiste sur le fait qu’il a été celui qui a ajouté la dernière condition, en particulier pour faire “pression sur le Hamas“. »
D’autres moyens de contenir Gaza sont des tentatives de lier le Jihad islamique palestinien, un mouvement rival du Hamas dans l’enclave, aux Émirats arabes unis, en misant sur le sentiment que l’Iran les a abandonnés.
Une délégation du Jihad islamique est arrivée mardi dernier au Caire et a mené des entretiens avec les responsables de la Direction générale du renseignement égyptien.
Les EAU ont « assigné des rôles » à Tony Blair, l’ancien envoyé spécial au Moyen-Orient pour le Quartet et l’actuel envoyé de l’ONU, Nicolai Mladinov. Les Émirats arabes unis veulent également rencontrer Rached Ghannouchi, le leader du parti tunisien Ennahdha.
Ce plan a été corroboré par une source jordanienne haut-placée qui en a informé MEE après la visite de Dahlan à Amman le 31 mars de cette année, la première en cinq ans.
Au plus fort du conflit entre Abbas et Dahlan en 2012, la Jordanie a saisi les actifs du frère de Dahlan sur les instructions de l’Autorité palestinienne.
Le motif apparent de la visite de Dahlan était qu’il venait assister à un mariage, mais son objectif était de demander l’intervention de la Jordanie dans le but d’une réconciliation avec Abbas.
La Jordanie, selon cette source, se méfie de Dahlan.
Ses points forts sont ses liens étroits avec les Émirats arabes unis, Israël et les États-Unis. Dahlan a également des liens étroits avec les principaux politiciens palestiniens tels que Yasser Abd Rabbuh, Salam Fayyad et Nasser al-Qudwa. En outre, il a la capacité d’augmenter son influence en Cisjordanie et à Gaza avec de l’argent.
Les faiblesses de Dahlan
Mais la liste de ses points faibles, dans les milieux jordaniens bien renseignés, est plus longue.
Il est considéré comme impopulaire parmi les Palestiniens et est accusé de corruption et d’avoir des liens avec les services de sécurité israéliens.
Sa relation « à somme nulle » avec Abbas, qui voit Dahlan comme la principale menace à sa présidence, est également jugée problématique, comme le fait qu’il travaille en dehors du territoire contrôlé par l’Autorité palestinienne.
Les Jordaniens estiment que la décision prise par Abbas de remplacer Yasser Abd Rabbuh comme secrétaire de l’exécutif de l’OLP par Saeb Erekat montre qu’Abbas est conscient de la possibilité d’un coup d’État et pourrait travailler contre les intérêts jordaniens à Jérusalem.
Cependant, il a été noté que Dahlan avait de l’influence dans les camps de réfugiés palestiniens en Jordanie et pouvait constituer « une carte maitresse pour imposer l’ordre dans les camps ».
Pesant les avantages et les inconvénients de l’offre de Dahlan, la Jordan a choisi d’essayer de gagner du temps, selon la source.
La politique était de continuer à renforcer les contacts avec Dahlan, comme preuve d’intérêt pour la réconciliation du Fatah, mais de lui dire d’attendre après les élections présidentielles américaines et de demander l’aide américaine afin de pousser Abbas vers une réconciliation.
La Jordanie dirait à Dahlan que le terrain devait être préparé avant une telle démarche, mais en même temps « testerait la sincérité et la véracité de Dahlan » en lui demandant de soutenir le rôle de la Jordanie à Jérusalem de manière concrète.
La Jordanie a vu des avantages évidents à travailler avec Dahlan : par exemple, un rapprochement au sein du Fatah l’aiderait à exercer une influence en Cisjordanie. Cependant, elle a également vu des pièges potentiels.
Parmi ceux-ci figurent l’importance pour le roi Abdallah de rester au-dessus de la mêlée palestinienne ; le risque pour la Jordanie de s’impliquer dans le conflit en cours au sein du Fatah ; et le risque de mettre en péril les bonnes relations dont Abbas continue de jouir avec la Jordanie.
« Le roi de Jordanie ne devrait pas mener une initiative susceptible d’échouer. Considérant l’implication de Dahlan, le roi pourrait être considéré comme quelqu’un qui prend parti et soutient un côté contre l’autre. Voilà comment Abbas voit le rôle joué par Sissi et les EAU », selon la source jordanienne.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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