Que pourrait espérer la Palestine d’un nouveau président socialiste ?
La politique étrangère ne semble pas tenir le haut de l’affiche de la campagne pour les élections présidentielles, les Français étant naturellement préoccupés en premier lieu par des questions qui les affectent directement au quotidien, l’emploi notamment, ou encore les services de santé.
Concernant les questions internationales, il est probable que les Français, qui ont été touchés par plusieurs attentats meurtriers ces dernières années, s’intéressent surtout à ce que les candidats offrent en matière de « lutte contre le terrorisme » sur le territoire national et au-delà.
Il y a toutefois une question de politique étrangère qui revêt une importance fondamentale pour de nombreux électeurs de gauche : le conflit israélo-palestinien. Celui-ci suscite depuis longtemps des passions en France, où vivent les plus grandes populations juive et musulmane d’Europe, et a souvent des répercussions directes dans le pays, au point qu’on ait parfois pu parler d’« Intifada française ».
Alors que les sympathisants du Parti socialiste tendent davantage à soutenir une solution respectueuse des droits des Palestiniens, notamment ceux de confession musulmane, qui voteraient majoritairement à gauche, le socialiste Benoît Hamon saurait-il satisfaire leurs aspirations s’il venait à gouverner la France ? Contre toute attente, les enseignements du passé ne sont pas de très bon augure. Petite rétrospective.
Le rôle décisif de la France socialiste dans la création d’Israël
Dès l’exorde de la question de Palestine, les dirigeants socialistes français ont adopté une politique favorable à Israël. Ainsi, c’est un gouvernement socialiste qui, avant même la déclaration Balfour, a exprimé son soutien pour l’établissement d’un État juif en Palestine.
C’est un gouvernement socialiste qui, avant même la déclaration Balfour, a exprimé son soutien pour l’établissement d’un État juif en Palestine
Dans une lettre adressée le 4 juin 1917 à Nahum Sokolov, président du comité exécutif de l’Organisation sioniste mondiale, le secrétaire général du ministère français des Affaires étrangères, Jules Cambon, déclarait : « […] ce serait faire œuvre de justice et de réparation que d’aider à la renaissance […] de la nationalité juive, sur cette terre d’où le peuple d’Israël a été chassé il y a tant de siècles ».
Plus qu’une adhésion au sionisme, l’objectif des autorités françaises à l’époque était surtout de conserver les droits historiques de la France en tant que protectrice des lieux de culte et des communautés chrétiennes en Palestine.
Après la Seconde Guerre mondiale en revanche, le soutien de la France au sionisme se fait plus explicite, en raison notamment du profond sentiment de culpabilité suscité par l’implication du gouvernement de Vichy dans l’Holocauste auprès de la population et de ses dirigeants, y compris à gauche, où le sionisme est alors vu comme une sorte d’incarnation des idéaux socialistes.
Par exemple, le socialiste Léon Blum, président du Gouvernement provisoire à la sortie de la guerre, est totalement gagné au sionisme et se fait l’ardent défenseur d’un vote de la France en faveur du plan de partage de la Palestine à l’ONU en 1947.
Lorsque les sionistes commencent à se retourner contre les autorités mandataires britanniques en Palestine, le gouvernement socialiste de Guy Mollet saisit l’opportunité pour affaiblir l’ennemi juré de la France en aidant à renforcer le Yishuv (la communauté juive de Palestine précédant l’État d’Israël) tant sur le plan démographique que militaire à travers la canalisation de l’immigration clandestine, le transfert d’armes et l’entraînement des combattants sionistes.
Cette alliance atteint son apogée en 1956 avec la guerre de Suez, lorsque le gouvernement de Guy Mollet s’unit aux Israéliens et aux Britanniques, devenus des alliés contre un ennemi commun : l’Égypte de Gamal Abdel Nasser, honni en France pour avoir encouragé l’indépendance algérienne.
Mitterrand, ou l’illusion de l’équilibre
Si le général de Gaulle, qui accède à la présidence de la République en 1959, opérera un remarquable rapprochement avec les Palestiniens à partir de la guerre de 1967 – une politique qui sera poursuivie par ses successeurs, Pompidou et Giscard d’Estaing –, le retour d’un socialiste au pouvoir en 1981 marque un nouveau virage pro-israélien de la diplomatie française.
L’élection de François Mitterrand est d’ailleurs accueillie chaleureusement en Israël, où le Premier ministre de l’époque, Menahem Begin, salue l’arrivée au pouvoir de l’« ami, du grand ami [d’Israël], François Mitterrand ».
Les sympathies de Mitterrand envers Israël sont évidentes dès le début de sa carrière politique
De fait, les sympathies de Mitterrand envers Israël sont évidentes dès le début de sa carrière politique. Ce membre fondateur du comité parlementaire pour l’Alliance France-Israël, qui deviendra l’un des principaux lobbies pro-israéliens en France, s’est montré particulièrement critique de l’opposition de de Gaulle à Israël pendant la guerre de 1967.
Sa réaction au vote de l’Assemblée générale de l’ONU assimilant le sionisme au racisme en novembre 1975 est symptomatique de sa position : pour lui, la résolution onusienne ne mérite que du « mépris ».
Une fois au pouvoir, le président socialiste inverse totalement la conception de ses prédécesseurs sur la question palestinienne, en soutenant par exemple des négociations séparées entre Israël et l’Égypte, alors que les gaullistes insistaient sur la nécessité d’une solution globale en Palestine, ou en bloquant la progressive légitimation de l’OLP débutée sous Valéry Giscard d’Estaing.
Le discours que Mitterrand prononce à la Knesset en mars 1982, lors de la première visite officielle en Israël d’un président français en exercice, illustre ce changement de cap : le chef de l’État évite notamment de condamner toute violation des droits des Palestiniens, y compris l’occupation, qui avait pourtant été considérée par de Gaulle comme un facteur d’instabilité dans la région, mais aussi reléguant l’OLP au rôle de représentant des simples « combattants » plutôt que du peuple palestinien, et lui refusant le droit de s’asseoir à la table des négociations.
Alors que certains soutiennent que ce discours, et plus généralement la position de Mitterrand sur la question israélo-palestinienne, a été un parangon d’équilibre – faisant référence notamment à son sauvetage des fedayin et de leur chef à Beyrouth en août 1982 et à Tripoli en décembre 1983, et au fait qu’il ait été le premier président français à recevoir officiellement Yasser Arafat en 1989 –, d’autres avancent que ses actions étaient motivées non pas par le désir d’aider la cause palestinienne mais par la nécessité de protéger les intérêts commerciaux français dans le monde arabe. Quant à sa réception d’Arafat à Paris, Mitterrand l’aurait acceptée à contrecœur, après avoir longtemps refusé cette demande du dirigeant palestinien, et saisira l’occasion pour exercer une forte pression sur ce dernier afin qu’il amende la charte nationale de l’OLP – ce que ce dernier accepte enfin, annonçant à la télévision française qu’elle est devenue « caduque ».
Hollande et Israël : « la vie en rose »
L’actuel président socialiste est probablement celui qui aura marqué la plus grande cassure entre la base du parti et ses élites dirigeantes. L’affaire Boniface en est particulièrement révélatrice.
Lorsque qu’en 2001, l’universitaire Pascal Boniface, alors conseiller pour les affaires stratégiques au PS, envoie une note à François Hollande en sa qualité de président du parti sur la nécessité de modifier la position de ce dernier sur le conflit au Proche-Orient de façon à ce qu’elle devienne conforme aux aspirations d’une grande partie des sympathisants socialistes, observant que « dans une telle situation, un humaniste, et encore plus un libéral, condamnerait la puissance occupante », l’intense campagne de dénigrement menée à son encontre par les cercles pro-israéliens incite Hollande et ses collaborateurs à retirer à Boniface tout rôle officiel au sein du PS.
L’actuel président socialiste est probablement celui qui aura marqué la plus grande cassure entre la base du parti et ses élites dirigeantes
Dix ans plus tard, François Hollande semble toutefois avoir écouté les recommandations de son ancien conseiller lorsqu’il publie – quelques mois seulement avant la présidentielle – une déclaration officielle du Parti socialiste exhortant la France de Nicolas Sarkozy à reconnaître un État palestinien à l’ONU. L’espoir suscité chez les électeurs sera cependant vite déçu, Hollande opérant une véritable volte-face une fois à la tête de l’État.
En août 2012, lors de son premier discours de politique étrangère à la Conférence annuelle des ambassadeurs, Hollande adopte en effet une position jugée par de nombreux observateurs comme étant encore plus alignée sur Israël que son prédécesseur. Non seulement l’appel à l’établissement d’un État palestinien a disparu, mais Hollande demande la reprise des négociations « dès que les Palestiniens ont abandonné un bon nombre de leurs préconditions », ainsi que l’exige la partie israélienne.
Si François Hollande décide fin novembre 2012, à la dernière minute, de voter en faveur d’un rehaussement du statut de la Palestine à l’ONU d’« entité observatrice » à « État non-membre », il l’aurait fait à contrecœur, contraint par la dégradation de la situation sur le terrain avec la montée des tensions à Gaza, et sans donner suite à ce vote en reconnaissant l’État de Palestine sur une base bilatérale comme le font plus de 130 pays dans la foulée du vote.
La réaction de la France à la guerre contre Gaza à l’été 2014 est une autre source de déception pour les pro-Palestiniens. Non seulement la France défend initialement le « droit d’Israël à se défendre » suite à des démarches insistantes du gouvernement israélien et s’abstient lors du vote d’une résolution du Conseil des droits de l’homme de l’ONU demandant l’ouverture d’une enquête sur les violations commises à Gaza, mais elle va jusqu’à interdire les manifestations de solidarité en France.
De fait, François Hollande, qui en novembre 2010 est signataire d’un appel publié dans Le Monde intitulé « Le boycott d’Israël est une arme indigne », poursuit la répression judicaire initiée par Nicolas Sarkozy à l’encontre des militants pro-Palestiniens à travers la reconduction de la circulaire Alliot-Marie, qui fait de la France l’un des rares pays à criminaliser l’appel au boycott, le considérant une « incitation à la haine raciale ».
Hollande évite en fait d’exercer toute pression significative sur Israël. Par exemple, contrairement à la Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas, la France refuse de publier des directives demandant aux détaillants d’utiliser un étiquetage différencié pour les produits des colonies (ce qu'elle finit par faire un an après que la Commission européenne en fait finalement une obligation), et aurait agi en coulisses pour saper une timide démarche de l’Union européenne visant à interdire la coopération avec les institutions et sociétés israéliennes qui opèrent dans les territoires occupés.
En résumé, malgré la tentative – infructueuse – de relancer le processus de paix, ou plutôt de « maintenir l’illusion d’un processus de paix », avec l’organisation d’une conférence pour la paix à Paris en janvier dernier, la politique d’Hollande, notamment son approbation d’une coopération militaire renforcée entre la France et Israël et l’adoption de la même position belliciste que Netanyahou sur le dossier iranien, incite certains commentateurs à postuler que les relations entre les deux pays sont retournées au niveau de ce qu’elles avaient été au moment de la crise de Suez.
Ainsi que le président français le déclare lui-même à Netanyahou la nuit précédant son discours à la Knesset en novembre 2013, lors d’un dîner officiel à la résidence du Premier ministre israélien durant lequel Hollande affirme être prêt à chanter son « amour pour Israël et ses dirigeants », les deux pays « ne [peuvent] voir que la vie en rose ».
Hamon oserait-il porter la fronde sur le terrain israélo-palestinien ?
L’actuel candidat du Parti socialiste à la présidentielle est réputé être un soutien de longue date de la cause palestinienne. En 2010, lors de l’arraisonnement par Israël de la flottille humanitaire pour Gaza, durant lequel neuf militants avaient perdu la vie, Benoît Hamon, alors porte-parole du PS, avait accusé Israël d’avoir commis « un bain de sang ».
Celui que certains cercles de droite accusent d’« islamo-gauchisme » ou d’être le « candidat des Frères musulmans » s’est surtout fait remarquer pour avoir à plusieurs reprises appelé à la reconnaissance par la France de l’État palestinien. En octobre 2014, en sa qualité de député des Yvelines et membre de la commission des Affaires étrangères, il avait été l’un des instigateurs d’une résolution non contraignante du groupe socialiste à l’Assemblée nationale invitant le gouvernement à reconnaître la Palestine.
Celui que certains cercles de droite accusent d’« islamo-gauchisme » s’est surtout fait remarquer pour avoir à plusieurs reprises appelé à la reconnaissance par la France de l’État palestinien
Il a réitéré cet appel en tant que candidat, déclarant lors du dernier débat télévisé opposant les prétendants à l’investiture socialiste le 25 janvier 2017 : « Je ne crois pas à la résolution du conflit israélo-palestinien si la colonisation des territoires par Israël continue. Il faut reconnaître la Palestine ».
Au début du mois, sur un autre plateau de télévision, il était allé jusqu’à laisser entendre qu’Israël ne pouvait bénéficier d’un régime d’exception lui permettant de ne pas respecter le droit international, et avait affirmé qu’afin de favoriser son insertion régionale de manière pacifique, il était prêt à reconnaître l’État palestinien. Hamon a confirmé cet engagement en personne au président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas à l'occasion de la visite de ce dernier à Paris le 7 février, qualifiant cette reconnaissance de « préalable indispensable au processus de paix ».
Le candidat de la gauche avait également eu des mots durs sur ce sujet en mai 2016 envers son ancien Premier ministre et rival de la primaire socialiste Manuel Valls, lorsque celui-ci avait une nouvelle fois refusé d'évoquer une reconnaissance de l'État palestinien avant la tenue d’une conférence pour la paix sous l’égide de Paris, l’accusant de « batt[r]e si facilement en retraite […] céde[r] à la demande du gouvernement conservateur israélien et [de] condamne[r] par avance l'initiative française à n'être qu'un nouveau théâtre d'ombres pour constater l'impasse du processus de paix ».
Toutefois, les détracteurs accusent Benoît Hamon de n’être qu’un opportuniste motivé par des considérations électoralistes. Selon des révélations du Canard Enchainé datant de novembre 2014, il aurait en effet déclaré que sa résolution à l’Assemblée nationale sur la reconnaissance de la Palestine était « tout à fait opportune sur le plan électoral […] Il s’agit du meilleur moyen pour récupérer notre électorat de banlieue et des quartiers, qui n’a pas compris la prise de position pro-israélienne de Hollande, et qui nous a quittés au moment de la guerre à Gaza ».
Si le fait que le candidat socialiste prenne en compte les attentes de son électorat ne soit pas un mal en soi, certains lui reprochent néanmoins de tenir un double langage, déclarant loin des plateaux télévisés son opposition au boycott d’Israël, qualifiant ce pays de démocratie – « même si ce n’est pas facile à défendre » – victime d’une « stigmatisation », et jugeant que la France ne fait pas assez pour lutter efficacement contre « l’antisémitisme, et notamment cet antisionisme qui abrite de l’antisémitisme ».
Il est certes quelque peu troublant que Benoît Hamon soit le grand absent d’une lettre ouverte envoyée le 25 février dernier à François Hollande par 153 députés et sénateurs pour demander au président français de reconnaître l’État de Palestine avant la fin de son mandat.
Ce détail pour le moins curieux pour un homme qui a si souvent porté cette revendication, de même que sa participation au dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), principal lobby pro-israélien, font vite déduire à certains que le candidat du PS n’est lui non plus pas si imperméable aux pressions des relais d’Israël en France. Il est vrai que ses prises de position sont loin de plaire à ces derniers, comme l’illustre le vœu du vice-président du CRIF, Gil Taïeb, de « stopper » Benoît Hamon dans sa course à la présidentielle.
Ainsi, bien que le candidat frondeur, qui se positionne à la gauche du parti socialiste, ait le mérite de s’être intéressé à la cause palestinienne et d’avoir multiplié les déclarations en faveur d’une reconnaissance de la Palestine, ces zones d’ombre, couplées à la tradition plutôt pro-israélienne de son parti, laissent dubitatifs sur sa volonté de véritablement agir dans l’intérêt des Palestiniens s’il venait à être élu. À lui de prouver le contraire.
- Elodie Farge est rédactrice pour l’édition française de Middle East Eye depuis sa création en janvier 2015. Elle vit depuis plusieurs années au Moyen-Orient, où elle a travaillé pour des ONG locales de défense des droits de l'homme et comme chercheuse pour PASSIA (Palestinian Academic Society for the Study of International Affairs). Elle est l'auteure, notamment, de France & Jerusalem. “Holy” Conquests, Colonial Encounters & Contemporary Diplomacy (PASSIA, 2015).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le candidat socialiste à la présidentielle française Benoît Hamon s’entretient avec le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas à Paris le 7 février 2017 (Twitter @benoithamon).
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