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Une réponse différente à Daech s’impose

Loin d’être atténuée, cette crise, déjà si préoccupante, se trouve aggravée par la stupidité belliqueuse de François Hollande, qui déclare la « guerre » à Daech

Les horribles attentats de Paris, le 13 novembre, défient l'Occident bien plus profondément encore que les attaques du 11 septembre, 14 ans plus tôt.

Les attaques contre le Pentagone et les Tours Jumelles perpétrées par Al-Qaïda étaient dirigées contre les deux piliers de la puissance américaine : domination militaire mondiale, et surtout déploiements à grande échelle des forces armées américaines à proximité du plus sacré des sites religieux islamiques en Arabie Saoudite.

Frapper les Tours Jumelles était dans le droit fil de la logique terroriste. Or, il est clair que cet acte a déclenché une réponse unifiée de l'Occident et lui a servi de prétexte à se donner mandat d’intervenir en Afghanistan et en Irak.

Ces guerres ont eu un effet boomerang majeur : elles ont engendré Daech, une menace redoutable, surtout du fait que cette organisation n’hésite pas à envoyer des kamikazes contre des « cibles faciles » : des gens ordinaires, assis dans un stade, une salle de concert et aux tables de plusieurs restaurants de quartier.

En d'autres termes, l’EI a lancé contre l'Occident une campagne de guerre totale et sans merci, d’une plus grande envergure que ce qu’avait été le manifeste d'Oussama Ben Laden ; et Daech semble bien avoir la volonté, et les moyens, de poursuivre ses ambitions, quelle que soit l’ampleur des représailles.

Loin d’être atténuée, cette crise, déjà si préoccupante, se trouve aggravée par la stupidité belliqueuse de François Hollande, qui vient de déclarer la « guerre » à Daech, et promet des représailles aussi acharnées qu’impitoyables.

Hollande a déclaré au Parlement français : « Les actes commis vendredi soir à Paris et au Stade sont des actes de guerre. Ils constituent une agression contre notre pays, contre ses valeurs, contre sa jeunesse et contre son mode de vie. »

Retour à Bush

En formulant ainsi la réponse de la France, Hollande retombe dans les mêmes erreurs que George W. Bush. Comment ne pas avoir compris désormais que ces mouvements ne souhaitent justement rien d’autre que la guerre ? Antérieurement, la violence non-étatique d’extrémistes politiques était abordée comme des « actes criminels » et c’est ainsi qu’on doit la traiter aujourd’hui encore.

Le vice-président américain Joe Biden a donné l’impression de se détacher de cette rhétorique de « guerre contre le terrorisme », arguant, sans grande conviction il est vrai, que la ligne de conduite adéquate consiste à augmenter le niveau de violence des interventions à l’encontre d’EI. Joe Biden a déclaré, « tout le monde sait ce qu’il convient de faire et la victoire ne fait aucun doute, mais il faut faire infiniment plus. Nous devons tous intensifier notre niveau d'engagement : des renforts de troupes au sol, plus d'avions et plus d'argent. On en aura pour des années si nous nous contention de faire moins ».

Il est déprimant de constater qu’Hilary Clinton, le seul espoir des Démocrates de remporter la présidentielle, a déclaré la même chose, voilà quelques semaines, au Conseil des relations étrangères.

Tous ces points de vue, même s’ils diffèrent un peu les uns des autres quant aux mesures tactiques, ont en commun une définition militariste de la réponse à apporter à la menace de l’EI. En outre, leurs réponses se fondent toutes exclusivement sur le recours à des tactiques offensives et des armes, censées détruire cet ennemi insaisissable.

Personne ne parle de défendre les minorités qui sont menacées par « les bottes qui sévissent sur le terrain », ni d’explorer les options politiques susceptibles d’être raisonnablement envisagées.

Gardons toujours à l’esprit que Daech doit l’essentiel de ses capacités à la teneur anti-sunnite de la réaction menée par l’Amérique : occupation de l’Irak, destinée à détruire le régime alors en place. Sans oublier qu’avant cela, un régime de sanctions lui avait été imposé pendant plus de 10 ans, qu’on peut incontestablement rendre responsable de plusieurs centaines de milliers de victimes civiles irakiennes.

Les racines d'un crime aussi énorme sont certes transnationales ; mais cela ne saurait en minimiser la gravité. Élever le statut de Daech à celui d'un belligérant contre lequel s’impose la mobilisation de toute la société ciblée a pour effet pervers de faire le jeu de l’agresseur, l’encourageant ainsi à en faire toujours plus.

Si ces attaques étaient étiquetées « version la plus dangereuse de la criminalité », menace fondamentale pesant sur la sécurité des citoyens et de l'État, la société serait tout autant mobilisée pour passer à l’action, et d'autres gouvernements feraient volontiers tout leur possible pour coopérer à l’application du droit pénal.

Si l'ampleur du crime pouvait être reconnue en condamnant les attentats de Paris comme autant de crimes internationaux contre l’humanité, le monde entier partagerait le même intérêt à les réprimer, comme c’est déjà le cas de la piraterie. On constate en outre que les criminels qui ont commis les attentats de Paris ont passé toute leur jeunesse au cœur de l'Europe : il devient alors d’autant plus évident qu’extérioriser le mal en localisant la menace dans le monde arabe est une erreur, car c’est accorder une importance excessives aux criminels en les élevant au statut d’adversaires dignes d’être combattus par une déclaration de guerre officielle.

Déni de griefs

La réaction partagée par Bush et Hollande est également nuisible à deux autres égards fondamentaux : elle détourne l’attention des causes profondes, tout en refusant de reconnaître que les motivations des extrémistes puissent être liées à des griefs légitimes.

Le meilleur remède à la violence terroriste c’est de s’attaquer aux causes profondes. Faute de quoi, et de nombreuses personnalités politiques conservatrices et militaristes l’ont admis elles-mêmes (Rumsfeld et Moubarak y compris), le recours à la guerre, qu’elle prenne la forme d’une campagne concertée (en Irak par exemple) ou d’assassinats ciblés (au moyen de drones, par exemple) génère probablement beaucoup plus de fanatiques qu’il n’en élimine.

Une chose est sûre : le filet de la dévastation s’étend sur des territoires toujours plus vastes, provoquant des déplacements massifs et menaçants des flux de réfugiés, qui débouchent sur une forme d’aliénation si profonde qu’elle fournit aux causes extrémistes une nouvelle génération de recrues.

Réduire les attentats de Paris à une simple confrontation entre le bien et le mal a une autre conséquence néfaste : la diplomatie est exclue, alors qu’elle pourrait servir à obtenir un compromis. Combien de conflits réputés insolubles au cours de l’histoire, dont la Révolution américaine, ont été résolus en acceptant de s’assoir avec les terroristes à la table des négociations ?

En l’état actuel des choses, je n’irai pas jusqu’à dire que c’est là une option plausible avec Daech, mais s’interdire d’exclure cette possibilité, toute lointaine et répugnante qu’elle puisse paraître, c’est démontrer qu’on sait tirer les « leçons de l'histoire ».

Plus important encore, éviter de faire son autocritique revient à se priver d’un excellent moyen de discréditer les prétextes que se donnent les extrémistes pour justifier leurs agressions contre l'Occident.

Il est important de comprendre que l’extrémisme ne peut prospérer s’il est dépourvu d’un terreau politique et moral.

La politique des États-Unis et d’Israël

On peut certes estimer que Daech a émergé en réaction au triste sort des palestiniens ou au chaos enduré par les Iraquiens. Cependant, sans ce sentiment généralisé d'injustice devant le rôle régional d'Israël et le million, voire plus, de morts, victimes des choix géopolitiques des États-Unis, jamais Al-Qaïda, al-Nusra et Daech n’auraient existé, en tout cas pas sous la forme actuelle de l’EI.

On tire d’autant plus facilement cette conclusion si l’on comprend que les gouvernements arabes, qui dépendent de la protection américaine, se sont avérés impuissants et, finalement réticents à protéger les intérêts et les valeurs, même les plus minimes, des populations musulmanes et arabes.

Certes, les conditions ne sont pas comparables, mais les attentats du 11 mars 2004 dans les trains de Madrid ont donné lieu à une réaction fondée sur une approche bien différente, plus prometteuse et créative.

L’Espagne s’est attachée à poursuivre les criminels, sans relâche et pour finir avec succès, tout en mettant discrètement un terme à sa participation à la guerre en Irak, où elle jouait dans l'occupation EU / UK le rôle d’un partenaire de second plan.

Ce changement de politique a été facilité par la bonne fortune d'une élection nationale espagnole mettant au pouvoir un leadership plus progressiste, remplaçant Jose Maria Aznar, le seul autre leader européen important, outre Tony Blair, à avoir soutenu en Irak la réaction international aux attentats du 11 septembre 2001.

D’autant plus facile que la politique irakienne d’Aznar était impopulaire aux yeux de son peuple, qui avait bien compris qu'il n’avait « rien à faire dans cette galère ».

- Richard Falk est un universitaire spécialiste en droit et relations internationales. Il enseigne depuis 40 ans à l'Université de Princeton. En 2008, il a également été nommé par l'ONU Rapporteur spécial sur les droits humains des Palestiniens, pour un mandat de six ans.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo: des soldats français prennent position pour répondre à l’une des opérations terroristes à Saint-Denis, dans la banlieue nord de Paris, le 18 novembre 2015 (AA).

Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies.

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