ANALYSE : L’aide apportée à Assad par les « amis-ennemis » kurdes à Alep
Alors que des milliers de civils fuient l’est d’Alep à la suite de la progression simultanée du gouvernement syrien et des forces dirigées par les Kurdes, les groupes rebelles accusent les Unités de protection du peuple, ou YPG, d’être en coordination étroite avec l’armée syrienne dans son opération visant à reprendre la ville.
Les forces kurdes et les rebelles se sont affrontés à plusieurs reprises à Alep pendant la guerre civile autour du quartier stratégique de Cheikh Maqsoud, contrôlé par les Kurdes.
Mais ces derniers jours, alors que les forces gouvernementales syriennes accentuent leur progression vers l’est, les combattants kurdes ont pris le contrôle de zones abandonnées par les forces rebelles et ont permis aux civils pris au piège pendant plusieurs mois de siège de passer dans leur territoire.
« Ce que nous voyons, c’est que le régime et les YPG collaborent à Alep. Ils ne peuvent pas combattre directement ensemble, mais ils travaillent ensemble », a indiqué Zouhair al-Shimale, journaliste basé à Alep.
« Les forces kurdes sont venues de Cheikh Maqsoud et le régime est arrivé de Haydariye. Ils se sont rencontrés au milieu. [Les Kurdes] ont aidé le régime à avancer. »
Le quartier de Cheikh Maqsoud est sous contrôle kurde depuis de nombreux mois et de sérieux affrontements opposent les rebelles alignés avec l’ASL aux forces des YPG.
La Coalition nationale syrienne, principale entité d’opposition, ainsi que le gouvernement syrien s’opposent aux exigences des Kurdes, qui souhaitent un État fédéral et une autonomie totale pour les zones kurdes.
Suite à la récente offensive du gouvernement, les YPG se sont emparés de plusieurs nouveaux secteurs : Bustan al-Basha, Baïdin, Hollok et Ein al-Tal sont passés sous leur contrôle lundi dernier.
Des photos montrant le drapeau national syrien et le drapeau jaune des YPG flottant au-dessus de bâtiments de Bustan al-Basha ont été largement diffusées sur les médias sociaux, laissant entendre que les forces dirigées par les Kurdes et l’armée syrienne combattaient effectivement ensemble.
Traduction : « Situation militaire à Alep. Gains de l’Armée_syrienne et de ses alliés du 25 novembre au 28 novembre. »
« Contrôle conjoint des positions prises entre l’Armée syrienne et les YPG. »
Les YPG ont cependant déclaré que les photos étaient fausses et ont nié toute coopération avec l’armée syrienne. Néanmoins, des sources sur le terrain estiment que les YPG ont contribué à affaiblir les groupes rebelles à Alep.
« Les affrontements qui ont commencé il y a une semaine entre les rebelles et le régime se sont transformés en de nouveaux affrontements contre les YPG », a affirmé Roj Mousa, journaliste basé à Cheikh Maqsoud.
« Les rebelles ont été attaqués par l’armée syrienne d’une part tout en affrontant les YPG près de Cheikh Maqsoud d’autre part », a-t-il ajouté, expliquant que les combattants rebelles se sont retirés pour réduire leurs pertes après avoir compris qu’ils ne pouvaient pas combattre sur deux fronts simultanément.
Zouhair al-Shimale, contributeur pour MEE qui s’est entretenu avec un combattant de l’Armée syrienne libre à Alep, a indiqué qu’avec l’avancée des forces kurdes, les combattants rebelles n’avaient pas d’autre choix que de se rendre.
« Les frappes aériennes du régime étaient très lourdes pendant que les Kurdes entraient. Les rebelles se sont rendus parce qu’ils n’avaient nulle part où aller. »
« Sauver les civils »
Toutefois, selon les Forces démocratiques syriennes (FDS), le groupe de coordination sous lequel les YPG combattent dans le nord de la Syrie, les factions kurdes sont entrées dans de nouveaux secteurs d’Alep uniquement pour protéger les habitants et aider les civils à atteindre des zones sûres sous leur protection.
Dans un communiqué publié lundi dernier, les FDS ont annoncé : « Notre priorité est de protéger les habitants de Cheikh Maqsoud et de tout l’est d’Alep. À mesure que les attaques du régime se sont intensifiées, nous sommes entrés dans les secteurs de Bustan al-Basha et Hollok et nous avons mis en place un couloir humanitaire afin d’aider les civils à se déplacer vers des zones sûres. »
Nasir Haji Mansour, conseiller du commandement général du SDF, a indiqué à MEE que les affrontements entre les rebelles et l’armée syrienne ont poussé les groupes rebelles à se retirer de plusieurs quartiers, laissant les civils sans protection.
« Environ sept ou huit quartiers ont été laissés vides lorsque les rebelles se sont retirés en raison d’affrontements avec le régime, a affirmé Mansour. C’est seulement à ce moment-là que les YPG sont entrés dans ces quartiers pour protéger les habitants et les aider à parvenir en lieu sûr. »
Mansour a nié que cette manœuvre avait été planifiée en coordination avec l’armée syrienne, affirmant que « les YPG sont entrés en réaction à l’escalade d’événements et des affrontements ».
Ahmad Araj, haut responsable de la Coalition démocratique nationale syrienne, une organisation d’opposition qui fait partie des FDS, est allé encore plus loin, indiquant à l’agence AP lundi dernier qu’il y avait « quelque chose » de semblable à un accord visant à céder les régions du nord-est d’Alep aux forces des FDS dirigées par les Kurdes en l’échange de garanties pour protéger les civils sous leur égide.
Il a ajouté qu’il était probable que les FDS absorbent les combattants arabes et les factions modérées dans leurs rangs : « Nous nous coordonnerons avec [les modérés] de sorte que nous ayons un front commun. »
Toutefois, selon Mousa, le corridor humanitaire ouvert à Bustan al-Basha en direction du quartier de Cheikh Maqsoud est passé sous le contrôle des YPG après de violents affrontements avec des groupes rebelles qui contrôlaient la zone.
« Il n’y a pas eu de négociations, ni aucun accord entre les rebelles et les YPG », a indiqué Mousa.
Zouhair al-Shimale a confirmé ces informations après avoir discuté avec des combattants rebelles à Alep.
« Les rebelles n’ont ni négocié, ni coopéré avec les forces kurdes, ni au sujet de l’ouverture d’un corridor humanitaire, ni au sujet d’une union de leurs forces pour combattre côte à côte », a indiqué Shimale.
Des activistes sur le terrain ont toutefois rapporté que parallèlement, les civils choisissaient de se diriger vers les zones contrôlées par les Kurdes, estimant qu’ils seraient plus susceptibles d’être en sécurité sous les YPG que dans les zones contrôlées par le gouvernement.
« Les habitants d’Alep fuient vers Cheikh Maqsoud et d’autres régions contrôlées par les Kurdes parce qu’ils estiment pouvoir faire confiance aux Kurdes plutôt qu’au gouvernement », a indiqué Najmeldin Khaled, journaliste basé à Alep, à l’agence de presse Shahba.
L’ONU a rapporté mardi que 16 000 personnes avaient fui Alep, dont au moins 8 000 étaient parties vers des zones contrôlées par les Kurdes, selon des sources des FDS.
Amis ou ennemis ?
Les forces dirigées par les Kurdes et le gouvernement syrien ne devraient pas vouloir faire affaire ensemble, puisque les Kurdes se sont toujours opposés aux gouvernements syriens successifs et ont enduré des années de marginalisation par le régime d’Assad.
Cependant, l’opposition syrienne a continuellement accusé les Kurdes de coopérer avec le gouvernement syrien par le biais de son alliée, la Russie, où le PYD a ouvert des bureaux en février pour établir des relations diplomatiques avec Moscou.
Les relations kurdes avec Assad et ses alliés ont toutefois été compliquées.
Au cours des cinq dernières années, les Kurdes se sont taillé une région dans le nord au milieu du chaos qui règne en Syrie, en luttant contre des groupes tels que l’État islamique avec leur milice des YPG tout en évitant une confrontation directe avec les forces gouvernementales syriennes.
La résistance des Kurdes contre l’État islamique a gagné la faveur des États-Unis, qui sont tout d’abord intervenus aux côtés des YPG avec des frappes aériennes en septembre 2014, lorsque les militants semblaient sur le point d’envahir la ville frontalière de Kobane.
Depuis lors, la coopération entre les deux camps s’est approfondie, les États-Unis soutenant les Kurdes dans le cadre des Forces démocratiques syriennes dans leur ensemble.
Toutefois, plus tôt cette année, l’ancien secrétaire britannique aux Affaires étrangères Philip Hammond a annoncé que « des preuves troublantes » avaient révélé que les YPG travaillaient en coordination avec le régime syrien et les forces aériennes russes.
De même, Buthaina Shaaban, conseiller politique et médiatique du gouvernement syrien, a affirmé dans une déclaration du 20 février que les forces kurdes se coordonnaient avec le gouvernement syrien et la Russie.
Dans les premiers jours du soulèvement, Assad a retiré la plupart de ses forces des zones kurdes pour se concentrer sur la lutte contre les rebelles, laissant un petit contingent de soldats pour tenir les bases du gouvernement à Hassaké et Kameshli.
En dépit d’affrontements persistants entre l’armée et les forces kurdes dans différentes parties de la Syrie, les experts ont fait état d’une coordination accrue entre les deux camps depuis juillet.
Fabrice Balanche, professeur agrégé et directeur de recherche à l’université de Lyon, a affirmé qu’une certaine coordination existait depuis quelque temps entre les forces kurdes et les forces gouvernementales syriennes à Alep.
Il a souligné que le « rôle de soutien » des forces kurdes a été crucial pour que l’armée syrienne puisse couper la route du Castello, qui reliait l’est d’Alep aux zones à l’extérieur de la ville en juillet de cette année.
Dans un article publié par le Washington Institute en juillet, il a écrit : « Depuis Cheikh Maqsoud, les YPG ont tiré sur les rebelles défendant la route du Castello. Les YPG ont aussi attaqué le quartier de Bani Zaid, à l’ouest de Cheikh Maksoud, forçant les rebelles à battre en retraite pour éviter d’être pris entre l’armée syrienne et les forces kurdes. »
« Alors que les YPG auraient pu rester neutres dans cette bataille, le groupe a clairement indiqué sa préférence à travers ses actions, contribuant à sa stratégie globale de coopération avec la Russie visant à relier les enclaves kurdes d’Afrin et de Kobane. »
Toutefois, selon Alexander Clarkson, maître de conférences en études internationales au King’s College de Londres, toute coopération pourrait davantage être motivée par des questions de commodité que par des objectifs partagés.
« La relation entre le régime et les YPG n’est pas stable. Il n’y a pas de sentiment particulier qui relie les deux », a-t-il expliqué à MEE.
Le journaliste Roj Mousa, à Cheikh Maqsoud, a estimé que cette coopération apparente n’allait probablement pas durer. « Même s’ils sont amis, ils sont ennemis dans le même temps. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation
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