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Les Kurdes après le cessez-le-feu en Syrie

Les accords russo-turcs sur le terrain et la marginalisation des États-Unis compromettent les plans kurdes pour étendre leur contrôle en Syrie du nord
Mars 2016 : combattants kurdes dans un camp d'entraînement à Rmeilane, ville syrienne au nord de la Syrie (AFP)

Si l’annonce du fragile cessez-le-feu du 30 décembre a apporté quelque répit à la majorité des habitants dans toute la Syrie, le vent a tourné et pris une direction différente pour plusieurs groupes présents dans ce pays déchiré de la guerre.

La trêve, soutenue par la Turquie et la Russie dans leur rôle de garants, implique la reprise à Astana des négociations entre les adversaires, après presque six ans de combats et avant celle, le 8 février, du processus de paix de Genève.

Ce cessez-le-feu implique aussi un accord passé entre la Russie et la Turquie et le resserrement de leurs liens, et des conséquences pour les groupes rebelles : la perte du soutien d’Ankara. Cependant, les grands perdants semblent être les Kurdes au nord de la Syrie.

Rapprochement entre Turquie et Russie

Depuis juin 2016, Turquie et Russie ont œuvré à normaliser leurs liens, puisque Moscou a tenté d’accroître son influence dans la région, et parce que de son côté, le président turc Recep Tayyip Erdoğan, cherche une politique alternative plus en accord avec les intérêts stratégiques fondamentaux de son pays en Syrie : contenir les exigences kurdes en faveur d’un État séparé et leur influence le long des frontières de la Turquie.

Jusqu’à récemment, Russie et Turquie étaient adversaires dans ce conflit. La Russie soutient le président syrien, Bachar al-Assad, alors que la Turquie souhaite le voir partir. Pendant que la Russie apportait son appui militaire à Assad, la Turquie, en collaboration avec les États du Golfe, fournissait aux rebelles armes et soutien.

Mais certains développements récents, le plus important étant le cessez-le-feu, ont changé la donne.

« Le cessez-le-feu implique que Russie et Turquie ont passé un accord : la Turquie fermerait ses frontières aux rebelles et ne leur fournirait plus d’aide. En échange, la Russie s’engagerait à faire exploser l’unification des territoires kurdes », explique Fabrice Balanche, professeur associé et directeur de recherche à l’Université Lyon 2.

Suite aux soulèvements syriens en 2011, les Kurdes ont créé aux confins nord du pays trois entités fédérales, rassemblées au sein d’une enclave politique appelée Rojava. Les trois cantons de Cizre, Kobané et Afrin sont majoritairement kurdes, mais comptent aussi des communautés arabes et assyriennes.

Le Parti d’union démocratique (PYD), parti majoritaire kurde en Syrie, a déclaré mi-mars que la région était une entité fédérale à l’intérieur des frontières syriennes. Les groupes rebelles, Damas, Washington ainsi que la Turquie ont rejeté cette déclaration. Les États-Unis ont exigé le retrait de la milice kurde, YPG, des positions qu’elle détient à l’ouest de l’Euphrate, pendant qu’Assad qualifiait ce mouvement d’« action illégale compromettant l’intégrité territoriale du pays ».

Mais les Kurdes ont un rapport compliqué avec Assad. L’opposition syrienne n’a de cesse d’accuser les Kurdes de coopérer avec le gouvernement syrien par le truchement de son allié russe, où le PYD a en février ouvert des bureaux  ouvert des bureaux, en vue de nouer des relations diplomatiques avec Moscou.

La Russie remplace les États-Unis

Le renforcement des liens entre Russie et Turquie et le récent cessez-le-feu ont affaibli le rôle des États-Unis comme acteurs clés dans la région.

La Maison Blanche a été exclue de la trêve. Cela a été interprété comme le signe de la marginalisation des États-Unis dans la région, et le président américain sortant, Barack Obama, a été taxé de « perdant » pour ne pas en avoir fait assez en faveur des rebelles anti-Assad.

En septembre 2015, le président russe, de plus en plus présenté comme grand vainqueur du conflit syrien, a dépêché son aviation pour soutenir Assad et lui a permis en décembre de reprendre l’est d’Alep aux rebelles.

Les analystes affirment que les Kurdes se retrouvent devant une nouvelle carte politique et repensent leurs plans par rapport à une Syrie fédéralisée.

« Les Kurdes ont essayé de maintenir de bonnes relations avec les États-Unis et la Russie. Cependant, ils appréhendent aujourd’hui de collaborer avec la Russie, parce qu’ils se méfient d’Assad. En même temps cependant, ils se demandent si les États-Unis seront toujours en capacité de les protéger d’Erdoğan », poursuit Fabrice Balanche, qui est aussi chargé de cours à l’Institut Washington.

L’YPG (milice kurde), extension du groupe militant kurde PKK, en guerre avec la Turquie depuis des décennies, a perpétré plusieurs attentats dans le pays et le dernier en date, la semaine dernière, ciblait Izmir.

Privés de leur puissant allié américain – Washington a soutenu les Unités du projet kurdes (YPG), aile armée du PYD – les Kurdes se retrouvent en position de plus grande faiblesse.

« Un énorme débat secoue actuellement les instances du PYD. Les Kurdes pourraient choisir de se rapprocher de la Russie parce qu’après la chute d’Alep, tous les acteurs ont bien compris que Poutine est désormais le maître du jeu, dont les États-Unis se sont retirés », anticipe le chercheur.

« Position privilégiée »

Sihanok Dibo, conseiller auprès des chefs du PYD, estime néanmoins que la situation n’a pas radicalement changé.

« Devant le vide actuel dans l’administration américaine, il ne faudrait pas croire que la Russie a pris la place des États-Unis », prévient-il. « Nous en sommes convaincus : tant les États-Unis que Moscou continueront à s’impliquer pour garantir l’émergence d’une solution à la crise ».

Le 31 décembre, les groupes kurdes syriens et leurs alliés ont approuvé le « contrat social » – plan élaboré lors de la réunion d’un conseil de 151 membres dans la ville de Rmeilane. Cet accord prévoit de cimenter l’autonomie des régions kurdes en Syrie du nord – bien que les leaders kurdes affirment que l’objectif n’est pas de créer un État indépendant.

« Les Kurdes sont dans une situation privilégiée », précise le conseiller à Middle East Eye. « C’est le fruit de cinq ans de dur labeur. Notre projet [de faire de la Syrie un État fédéral] recueille un soutien populaire grandissant et encore plus nombreux sont ceux qui y voient la seule solution à la crise. »

Les Forces démocratiques syriennes (SDF), dirigées par les kurdes et dont l’YPG compte parmi les plus important partenaires, ont pris vendredi le contrôle de Jabar Castle (dans l’arrière-pays à l’ouest du gouvernorat de Raqqa, suite à leur rapide avancée le long de la rive occidentale de l’Euphrate, qui les a conduits à proximité du lac al-Assad, dans la partie occidentale de Raqqa.

Sinahok Dibo estime que le rapprochement russo-turc ne changera rien aux régions kurdes autogérées en Syrie du nord, ni à leur lutte contre l’EI, parce que « les Kurdes ont de bonnes relations avec la Russie ».

« Les véritables victimes »

Or, Ahmed Araj, membre du Conseil démocratique syrien (bras politique du SDF), pense que la réconciliation turco-russe pourrait s’avérer un accord destiné à  empêcher les Kurdes d’avancer sur la Syrie du nord.

Fabrice Balanche convient qu’après le cessez-le-feu, la position des Kurdes en Syrie du nord est inquiétante, et en bien des points semblable à celle qu’ils ont subie en août 2016, suite à l’intervention de la Turquie à Manbij.

« Les Kurdes sont les véritables victimes du cessez-le-feu », assure Fabrice Balanche à Middle East Eye.

« Les Kurdes sont les véritables victimes du cessez-le-feu »

- Fabrice Balanche, expert en affaires syriennes

« Le discours officiel du PYD consiste à affirmer que tout va pour le mieux mais, sur le terrain, les combattants ont la même impression qu’à Manbij : un profond sentiment d’avoir été trahis par les États-Unis et une forte appréhension quant à leur avenir. »

Les responsables militaires syriens ont annoncé en décembre que le gouvernement devait retrouver le contrôle des régions contrôlées par les Kurdes, puisque la lutte contre les rebelles et l’EI est entrée dans de nouvelles phases.

Ces informations sont arrivées en même temps que l’armée syrienne annonçait aux YPG qu’ils devaient évacuer l’enclave de Sheikh Maqsoud à Alep d’ici la fin du mois, puisque le gouvernement avait en décembre repris la ville aux rebelles.

Le 21 décembre, les militaires turcs ont également annoncé que les rebelles syriens, soutenus par les Turcs, avaient pris le contrôle total de l’autoroute reliant al-Bab à Alep, grâce à un soutien aérien et un feu nourri à terre.

La ville, à 25 kilomètres de la frontière turque, est devenue la cible principale de l’opération Bouclier de l’Euphrate, lancée il y a quatre mois afin d’expulser État islamique (EI) et combattants kurdes de la zone frontalière entre Syrie et Turquie.

« Si les rebelles soutenus par les Turcs réussissent à reprendre al-Bab, ils entreront dans Manbij, ce qui privera les Kurdes de toute possibilité de relier les régions entre Afrin et Kobané », conclut Fabrice Balanche.

Traduit de l’anglais (original) par [email protected].

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