Skip to main content

Au Yémen, l’ennemi de mon ennemi est mon allié

Le gouvernement yéménite combat al-Qaïda dans certaines parties du pays mais s’y allie dans d’autres. Pourquoi donc ?
Des membres de tribu yéménites issus de la Résistance populaire tirent depuis un char, à l’ouest de la ville de Marib, en novembre 2015 (AFP)

La guerre au Yémen est un conflit alambiqué fait d’alliances changeantes et de combats par procuration.

Prenez Abu al-Abbas, commandant de la plus grande force salafiste au sein de la Résistance populaire, qui soutient le gouvernement yéménite. Depuis trois ans, ses combattants sont armés et payés par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.

Pourtant, le mois dernier, il a été désigné comme un partisan d’al-Qaïda et de l’État islamique par l’Arabie saoudite, ses alliés du Golfe, le Qatar et les États-Unis, ce qui menace de diviser la fragile alliance pro-gouvernementale.

Abu al-Abbas, de son vrai nom Adil Abduh Fari, interviewé en décembre 2016 (capture d’écran)

Cet incident souligne les intérêts délicats qui lient les partenaires dans le conflit – et le rôle d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) sur le champ de bataille en est l’illustration la plus manifeste.

Une source au ministère yéménite de l’Information, s’adressant à Middle East Eye sous couvert d’anonymat dans la mesure où elle n’en avait pas le droit, a déclaré : « Les Houthis sont les ennemis des forces pro-gouvernementales et des militants d’al-Qaïda. Ainsi, certains militants d’AQPA combattent les Houthis avec les forces pro-gouvernementales et cela sert le pays. »

Comment cela est-il arrivé ?

Un adversaire des États-Unis

Al-Qaïda est un ennemi persistant des autorités yéménites et de ses soutiens américains depuis plus de deux décennies. En 1992, le groupe a attaqué l’hôtel Gold Mohur à Aden, qui était utilisé par les troupes américaines, tuant un touriste et un hôtelier. Surtout, en octobre 2000, un bateau-suicide d’al-Qaïda a visé l’USS Cole alors qu’il était amarré à Aden, tuant 17 Américains.

Début 2009, de plus petits groupes disséminés à travers la région, y compris en Arabie saoudite, ont regroupé leurs ressources pour former al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA).

Le flanc de l’USS Cole après l’attaque perpétrée contre celui-ci en octobre 2000 à Aden (Navy Visual News Service)

Les combattants se sont cachés dans les montagnes, dans les vallées et dans d’autres zones reculées du Yémen, sortant de leur couverture pour combattre le gouvernement et assassiner des chefs militaires.

En décembre 2013, al-Qaïda a pris d’assaut l’hôpital al-Oradi dans le cadre d’une attaque à plus grande échelle contre le ministère de la Défense à Sanaa, pour un bilan de 56 morts, dont 23 militaires. Le gouvernement a riposté avec des campagnes militaires contre les bastions d’AQPA.

Mais lorsque le Yémen a sombré dans la guerre civile en 2015, les forces sunnites se sont regroupées sous l’égide de la Résistance populaire pro-gouvernementale contre les rebelles houthis, considérés comme chiites.

Al-Qaïda, comme d’autres mouvements de ce genre, a profité du chaos pour accroître sa base de pouvoir et a formé de solides alliances avec des tribus sunnites dans le sud, actuellement sous le contrôle du gouvernement.

« Nous combattons aux côtés de tous les musulmans au Yémen, avec différents groupes islamiques »

– Qasim al-Rimi, dirigeant d’AQPA

Certains membres d’AQPA se sont rapprochés des dirigeants de la Résistance populaire à travers le Yémen pour rejoindre le groupe. Une fois intégrés, ils ont ensuite reformé leurs groupes AQPA.

Qasim al-Rimi dirige AQPA depuis que son prédécesseur Nasser al-Wohaishi a été tué par un drone dans le district d’al-Moukalla, dans le gouvernorat de l’Hadramaout, en 2015.

En mai 2017, il a déclaré à al-Malahem, la branche médiatique d’AQPA : « Nous combattons aux côtés de tous les musulmans au Yémen, avec différents groupes islamiques. » Parmi ces musulmans, il a compté « les Frères musulmans, mais aussi nos frères parmi les fils des tribus [sunnites] ».

Al-Rimi n’a pas précisé ce qu’il voulait dire par « aux côtés ». De nombreux militants tribaux sunnites et de nombreux salafistes sont toutefois alliés au gouvernement yéménite exilé.

Un déni de la vérité

AQPA a apporté son soutien au gouvernement yéménite, dont le président et le Premier ministre vivent en exil en Arabie saoudite. Mais sur le plan politique, le groupe a compliqué la situation du gouvernement, qui refuse de reconnaître que des membres d’AQPA combattent aux côtés de ses forces.

Pourtant, cette relation est bien affichée en public. Des combattants d’AQPA peuvent être aperçus à pied ou dans leurs véhicules militaires dans des villes comme Ta’izz et Lahij, ou encore dans certaines zones de la province d’al-Bayda. Ils vivent parmi les habitants, achètent leurs provisions dans des magasins de proximité et mangent dans des restaurants populaires. Parfois, ils règlent des différends locaux.

Un combattant d’al-Qaïda à Ta’izz tire depuis un immeuble résidentiel (capture d’écran)

La source ministérielle a déclaré que les groupes combattant sous la direction de la Résistance populaire recevaient juste assez d’argent pour combattre.

« Ils [AQPA] n’ont pas de véhicules militaires modernes. Les groupes comme AQPA utilisent leurs propres armes pour combattre, tandis que le gouvernement les aide avec de l’argent et des munitions. »

L’ironie du sort est que ces fonds proviennent en fin de compte de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite, qui s’oppose à AQPA.

Pourquoi AQPA est à la fois un allié et un ennemi

« Le gouvernement yéménite ne veut pas reconnaître que les militants d’AQPA combattent avec les forces pro-gouvernementales afin d’éviter les sanctions internationales découlant du soutien à al-Qaïda », a déclaré Ibrahim al-Yasri, analyste politique indépendant au Yemen Media Guide for Development Center, basé à Ta’izz.

Les forces pro-gouvernementales ne combattent donc pas AQPA dans les zones urbaines telles que la ville de Ta’izz ou les provinces d’al-Bayda et Marib, entre autres, où la menace houthie est omniprésente.

Des partisans houthis armés protestent contre le soutien américain en faveur de l’Arabie saoudite, à Sanaa, en mai 2017 (Reuters)

Toutefois, elles combattent AQPA dans les zones où elles n’ont pas besoin du soutien du groupe. Ces campagnes sont soigneusement choisies.

Le gouvernement, soutenu par la coalition dirigée par l’Arabie saoudite, a lancé des campagnes militaires contre al-Qaïda dans les gouvernorats de Chabwa et de l’Hadramaout, entre autres. Début novembre, il a remporté une bataille visant à reprendre à AQPA un district du gouvernorat d’Abyan. L’objectif est de « dire au monde que le gouvernement yéménite combat al-Qaïda », a expliqué Yasri.

Dans l’autre camp, Mohammed al-Boukhaiti, membre du conseil politique houthi basé à Sanaa, a déclaré à MEE qu’al-Qaïda était un ennemi et que la lutte contre le groupe – au même titre que l’État islamique – constituait une priorité majeure.

Il a affirmé que lorsque son groupe a pris des territoires à AQPA – notamment à Marib et Ta’izz –, les combattants d’al-Qaïda ont fui vers des zones contrôlées par les forces pro-gouvernementales.

« L’Arabie saoudite veut détruire notre pays, alors elle soutient al-Qaïda et l’État islamique pour combattre les Yéménites, a déclaré al-Boukhaiti. Ensuite, elle accuse les Yéménites d’être membres d’al-Qaïda et de l’État islamique. C’est ce qui s’est passé avec Abu al-Abbas et d’autres. »

Et quand les tirs auront cessé ?

Le gouvernement est déterminé à préserver à tout prix l’unité de la Résistance populaire pendant le conflit.

La source ministérielle a souligné que les combattants d’AQPA combattaient uniquement à titre individuel dans les zones de conflit et non pas sous la direction d’AQPA. Aucun combattant d’AQPA, même à titre individuel, ne serait autorisé à rester dans les zones libérées des Houthis.

« Les Houthis exploiteront toute division entre les forces pro-gouvernementales pour servir leurs propres intérêts, de manière à pousser le gouvernement à retarder les combats avec al-Qaïda »

– Ibrahim al-Yasri, analyste politique

Selon Ibrahim al-Yasri, une fois que les Houthis auront été chassés, le gouvernement, par le biais de la Résistance populaire, s’emparera de toutes les provinces contrôlées par al-Qaïda, comme il l’a fait à Aden.

« Mais ce n’est pas facile pour les forces pro-gouvernementales », a-t-il concédé, décrivant une volonté de ne pas créer une nouvelle division entre les forces. « Les Houthis exploiteront toute division entre les forces pro-gouvernementales pour servir leurs propres intérêts, de manière à pousser le gouvernement à retarder les combats avec al-Qaïda en première ligne. »

Et à la fin de la guerre ?

« Après la libération, les forces yéménites essaieront de négocier avec eux pour oublier AQPA et revenir à une vie de citoyens normaux – ou ils seront exilés des villes. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

New MEE newsletter: Jerusalem Dispatch

Sign up to get the latest insights and analysis on Israel-Palestine, alongside Turkey Unpacked and other MEE newsletters

Middle East Eye delivers independent and unrivalled coverage and analysis of the Middle East, North Africa and beyond. To learn more about republishing this content and the associated fees, please fill out this form. More about MEE can be found here.