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Candidat aux législatives, l’Irakien qui a lancé ses chaussures sur Bush veut bannir la corruption

Mountazer al-Zaïdi, le célèbre « lanceur de chaussures », a expliqué à MEE son ambition d’éradiquer le sectarisme et la corruption en Irak s’il est élu député lors des élections de ce samedi
Mountazer al-Zaïdi participe à une foire du livre en Turquie (Facebook)

« C’est le baiser d’adieu du peuple irakien, espèce de chien ! »

Les stations de télévision ont fait résonner ce cri dans le monde entier, retransmettant l’instant où le journaliste irakien Mountazer al-Zaïdi a lancé ses chaussures à la tête de l’ex-président américain George W. Bush, lors d’une conférence de presse aux côtés du dirigeant irakien Nouri al-Maliki en 2008.

Les gardes du corps du Premier ministre l’ont aussitôt appréhendé et il a fini par passer neuf mois en prison, avant de quitter l’Irak en 2009. Mais ce lancer de chaussures – un acte symbolique de révolte contre l’occupation américaine en Irak, qui a entraîné des centaines de milliers de morts et a vu le pays sombrer dans la corruption et les affrontements ethnico-religieux – a rendu Mountazer al-Zaïdi célèbre dans le monde entier.

Plusieurs gouvernements étrangers l’ont érigé en héros, tandis qu’un magazine économique arabe l’a promu au rang de troisième Arabe le plus influent au monde.

L’incident a été immortalisé de façon satirique dans la presse comme sur scène, et même sous forme de jeux flash en ligne.

Les habitants de Tikrit, dans le nord de l’Irak, ont même sculpté un monumental soulier en bronze pour commémorer l’altercation, mais celui-ci a été démoli peu de temps après avoir été érigé.

Candidat aux élections

Aujourd’hui, les pieds fermement sur terre et à l’aise dans ses baskets, Mountazer al-Zaïdi se présente aux élections législatives qui auront lieu ce samedi 12 mai.

Au cours d’un entretien avec Middle East Eye, le journaliste a expliqué les raisons qui l’ont conduit à se lancer dans le milieu souvent chaotique de la politique parlementaire irakienne.

« J’ai passé ces dix dernières années à écrire des articles sur la corruption et les officiels corrompus. J’ai essayé de révéler les détournements de fonds publics, mais je n’ai rien pu changer sur le terrain », a-t-il déploré au téléphone, au cours d’une journée de campagne très chargée.

« J’ai lancé mes chaussures pour montrer au monde entier que les Irakiens n’ont pas accueilli l’occupation américaine avec des démonstrations de joie et une pluie de riz »

- Mountazer al-Zaïdi

« Alors, j’ai décidé de faire de la politique pour transformer le système de l’intérieur, afin de formuler de nouvelles lois et réglementations, et dénoncer les politiciens et les fonctionnaires corrompus. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de me présenter aux élections législatives. »

Mountazer al-Zaïdi se présente comme candidat de l’alliance Sa'iroun, une coalition dirigée par l’influent dignitaire chiite Muqtada al-Sadr et qui englobe le Parti communiste irakien.

La coalition a dans sa ligne de mire la corruption et le sectarisme – Muqtada al-Sadr et ses alliés ont affirmé à plusieurs reprises que les Irakiens devaient arrêter de voter selon des clivages sectaires ou ethniques et commencer à concentrer leurs efforts sur les graves problèmes économiques et sociaux du pays.

Zaïdi a affirmé qu’il « n’aurait pas pu trouver mieux » que ce groupe, qui, a-t-il ajouté, « représente toutes les confessions et couches sociales irakiennes. »

« [Muqtada al-Sadr] est une personnalité remarquable qui est parvenue à se faire connaître en Irak – il représente tous les Irakiens, tout en s’opposant aux partis chiites corrompus. »

Un sondage commandité par le site internet 1001 Iraqi Thoughts et publié le 1er mai suggère que l’alliance Sa'iroun pourrait se retrouver en deuxième position à l’Assemblée, derrière la coalition Nasr al-Iraq (« Victoire de l’Irak ») dirigée par le Premier ministre Haïder al-Abadi, mais devant la coalition al-Fatih (« la Conquête »), composée de combattants chiites soutenus par l’Iran.

Les habitants de Tikrit, dans le nord de l’Irak, ont sculpté un monumental soulier en bronze pour commémorer le lancer de chaussures de Mountazer al-Zaïdi à la tête de George W. Bush (AFP)
Alors que l’Irak est encore sous le choc de la terrible guerre contre le groupe État islamique (EI) et que le pays s’est retrouvé classé 169e sur 180 selon l’indice de perception de la corruption de Transparency International, Mountazer al-Zaïdi et ses alliés ont du pain sur la planche.

« Le problème majeur, c’est le budget de l’Irak. Les caisses sont vides pour de nombreuses raisons – à commencer par la corruption », a-t-il expliqué.

« Ensuite, les projets publics et l’infrastructure ont été planifiés de façon désastreuse. Il faut aussi compter avec un taux de chômage écrasant, qui contraint des milliers de diplômés, ingénieurs ou avocats à travailler comme chauffeurs de taxi ou dans des restaurants. »

La question de l’intervention étrangère est tout aussi cruciale aux yeux de Mountazer al-Zaïdi, Muqtada al-Sadr et l’alliance Sa'iroun. À la différence de la plupart des politiciens en Irak, ils sont tout aussi farouchement opposés à l’influence américaine dans leur pays qu’à l’influence iranienne.

L’hostilité de Muqtada al-Sadr envers les Américains s’est manifestée de façon nettement moins anodine qu’un lancer de chaussures. Son Armée du Mahdi a ouvertement déclaré la guerre à la présence des États-Unis en Irak et a pris part à des combats acharnés avec les troupes américaines ainsi qu’avec les services de sécurité du gouvernement intérimaire irakien.

« L’un de mes objectifs en entrant au Parlement sera de faire passer des lois qui protégeront les journalistes de l’oppression et garantiront leur liberté d’expression »

- Mountazer al-Zaïdi

De même, les autorités iraniennes n’ont pas caché leur mépris pour Muqtada al-Sadr et ses alliés –mépris probablement exacerbé par la décision de Sadr de rencontrer leur ennemi juré, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane.

Prenant la parole au cours d’une manifestation aux côtés de Nouri al-Maliki, Ali Velayati, ancienne bête noire de Mountazer al-Zaïdi et principal conseiller du guide suprême iranien Ali Khamenei, a averti que « le réveil islamique n’autorisera pas le retour des communistes et des libéraux au pouvoir », faisant allusion aux alliés de Muqtada al-Sadr.

Outre la coalition de Haïder al-Abadi, qui devrait arriver confortablement en tête, la coalition al-Fatih s’avère être la principale rivale de l’alliance Sa'iroun (En marche). Cette dernière n’ayant pas caché son hostilité à l’égard de l’Iran, la coalition al-Fatih demeure sans doute l’alliée la plus fidèle de l’Iran en Irak. Rahim al-Daraji, l’un des responsables d’al-Fatih, a même suggéré que si sa coalition remportait la victoire, elle ferait entrer l’Irak dans une « fédération » avec l’Iran.

Ces intentions irritent Zaïdi, tout comme la présence de troupes américaines dans le pays, que l’on estime au moins à 9 000 soldats.

« Les États-Unis et l’Iran sont responsables des tensions en Irak », a-t-il affirmé. « Les soldats américains sont censés être ici comme ‘’consultants’’ – mais nous n’acceptons pas leur présence en Irak. »

« J’ai lancé mes chaussures pour montrer au monde entier que les Irakiens n’ont pas accueilli l’occupation américaine avec des démonstrations de joie et une pluie de riz », a-t-il ajouté.

La sécurité des journalistes

Avant l’incident du lancer de chaussures, Mountazer al-Zaïdi était reporter pour la chaîne de télévision Al-Baghdadia, et la situation difficile des journalistes en Irak – qu’il qualifie de « dangereuse » – le préoccupe toujours énormément.

Depuis la chute de Saddam Hussein, les médias privés se sont multipliés en Irak : des centaines de chaînes de télévision, de stations de radio et de journaux de qualité inégale ne cessent d’apparaître et de disparaître.

Pourtant, l’Irak serait aussi le pays le plus meurtrier du monde pour les journalistes. Depuis 1990, deux fois plus de journalistes ont trouvé la mort en Irak qu’aux Philippines, le deuxième pays le plus dangereux. Rien qu’en 2006, 155 journalistes ont été tués en Irak. Même si 2018 n’a pas encore fait de victime (peut-être grâce à la fin de la guerre contre l’EI), la profession demeure extrêmement risquée dans le pays.

Traduction : « Pour les enfants d'Irak, nous nous portons candidats »

Selon Zaïdi, le problème tient au manque « d’institutions solides qui défendent les journalistes, ainsi qu’à l’absence de lois et de réglementations qui régissent le travail des journalistes tout en les protégeant. »

C’est une chose qu’il a bien l’intention de changer.

« L’un de mes objectifs en entrant au Parlement sera de faire passer des lois qui protégeront les journalistes de l’oppression et garantiront leur liberté d’expression », a-t-il assuré.

Beaucoup d’Irakiens ont l’espoir de voir enfin leur pays émerger de plusieurs décennies de conflits meurtriers pour s’engager dans un avenir de stabilité et de justice. C’est pourquoi le résultat des élections de samedi est capital, et Mountazer al-Zaïdi est convaincu qu’il pourra une fois de plus influencer le paysage politique irakien.

Quand on lui demande s’il lancerait encore ses chaussures sur Bush et Maliki, Zaïdi éclate de rire.

« Oui », déclare-t-il sans hésitation.

Traduit de l’anglais (original) par Maït Foulkes.

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