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Drapeaux du PKK, portraits d’Öcalan : à l’intérieur de l’enclave kurde autodéterminée en Grèce

« Pour la Turquie, même nos enfants sont des terroristes », expliquent les habitants du camp installé depuis une dizaine d’années au sud d’Athènes, où les réfugiés gèrent leurs propres affaires
Un portrait d’Abdullah Öcalan, le chef emprisonné du PKK, et d’autres bannières et drapeaux exprimant un soutien au PKK (MEE/Will Horner)

LAVRIO, Grèce – Dès le premier regard, il est clair que Lavrio est un camp de réfugiés différent. À l’extérieur, des drapeaux de la Grèce et de la Croix-Rouge hellénique – mais à l’intérieur, les habitants du camp ont hissé ceux du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et d’Abdullah Öcalan, le chef emprisonné du parti.

Mais le plus intrigant peut-être est que le camp, qui n’accueille que des réfugiés kurdes, est principalement dirigé par les habitants eux-mêmes. Un comité de sept personnes gère les affaires du camp, dont l’accès, l’hébergement et la discipline, a appris Middle East Eye après une visite exclusive au début du mois.

Alors que le camp, qui est situé au sud-est d’Athènes, relève officiellement de la responsabilité du ministère grec de l’Immigration, et est géré avec l’aide de la Croix-Rouge hellénique, son accès est entièrement contrôlée par les habitants. Au cours de trois visites distinctes, personne du gouvernement grec, de la Croix-Rouge hellénique ou de la police grecque n’était présent.

Selon Sahin Budak, un jeune réfugié kurde de la ville turque de Diyarbakır et membre du comité de direction, les habitants du camp se rencontrent chaque semaine pour discuter des problèmes et voter.

Une famille de réfugiés kurdes syriens nouvellement arrivée rencontre des membres du comité d’organisation du camp qui leur expliquent les règles et les systèmes du camp (MEE/Will Horner)

« Nous sommes comme une grande famille ici. Toutes nos réunions portent sur le camp et sur son fonctionnement, ainsi que sur le Kurdistan, et sur ce qui se passe là-bas », explique-t-il à MEE.

« Je suis en charge du camp et tout le monde m’écoute – quand je ne suis pas là, quelqu’un d’autre prend ma place […] Quelqu’un doit être responsable pour éviter tout chaos. »

Selon les réfugiés du camp, les rôles du comité sont axés sur la sécurité, la nourriture, l’hébergement, l’inventaire du camp, le nettoyage et les questions concernant les femmes. L’un de ses membres se concentre sur la traduction. Le comité règle également les différends et traite des questions de discipline.

« Si deux personnes causent un problème, nous [le comité] déterminons ce qu’il s’est passé. Ensuite les deux personnes font face aux conséquences, elles doivent par exemple nettoyer le camp ou le garder la nuit », précise Sahin.

Kendal, un autre membre du comité originaire de Turquie ayant refusé de donner son nom complet, souligne que les réfugiés ont leurs propres règles dans le camp.

« Dans le camp, il est interdit de boire de l’alcool, de fumer ou de prendre des drogues. Nous ne laissons pas les gens se battre, les mineurs ne sont pas autorisés à se marier et il n’est pas permis aux hommes de frapper leurs femmes. »

Refuge de la guerre froide

Le camp de réfugiés est l’un des plus anciens en Grèce et fonctionne depuis plus de soixante ans. Au cours de la guerre froide, les réfugiés fuyaient l’Union soviétique, mais depuis le déclenchement du conflit PKK-Turquie en 1984, le camp accueille principalement des réfugiés kurdes de Turquie qui ont clairement mis leur empreinte.

Dans le café du camp (qui est également géré par les réfugiés), les murs sont couverts de photos des « Sehiden » ou « martyrs » – des militants du PKK morts en combattant le gouvernement turc, ou plus récemment des combattants syro-kurdes des Unités de protection du peuple (YPG/YPJ) tués pendant la guerre en Syrie.

Le PKK mène depuis des décennies une campagne armée contre l’État turc dans la poursuite de l’autodétermination des Kurdes en Turquie. Le parti est considéré comme une organisation terroriste par la Turquie, l’OTAN et l’Union européenne (UE).

Toutefois, le Parti de l’union démocratique (PYD) syro-kurde et ses unités armées, les YPG et YPJ – étroitement associé au PKK, est actuellement allié aux États-Unis dans la guerre contre le groupe État islamique (EI) en Syrie.

Un habitant du camp, Nevroz, 23 ans, originaire de Sirnak en Turquie, est parti de chez lui pour rejoindre les YPG et lutter contre l’EI. Mais il a perdu sa jambe gauche au niveau du genou dans la bataille acharnée pour la ville syrienne de Kobané en 2015, où les combattants kurdes ont remporté une victoire symbolique contre l’EI. Après avoir reçu une prothèse, il a traversé la Turquie pour demander l’asile en Grèce.

Nevroz, un Kurde turc de 23 ans qui a perdu la jambe en combattant dans les YPG à Kobané, en Syrie vit dans le camp depuis huit mois (MEE/Will Horner)

Un autre habitant, Ahmed, également âgé de 23 ans, originaire d’Afrine en Syrie, a vu sa licence en droit à l’Université d’Alep interrompue par le conflit dans la ville, après quoi il est parti chercher asile en Europe. Contrairement aux photos de combattants du PKK qui sont suspendues dans sa chambre (qui datent d’avant son arrivée), Ahmed a déclaré qu’il était peu intéressé par la politique kurde et qu’il voulait simplement avoir l’occasion de terminer son éducation.

La guerre en Syrie et le conflit en Irak ont vu une nouvelle vague de migrants kurdes s’installer dans le camp tandis qu’ils attendent le traitement de leurs demandes d’asile. Par rapport aux Kurdes de Turquie qui se sont installés dans le camp dans les années 1990 (certains y vivent depuis vingt ans), ces nouveaux arrivants semblent moins intéressés par la politique.

Sahin Budak estime que des 350 habitants, moins d’un tiers étaient des partisans du PKK ou du YPG. Les autres, explique-t-il, sont des « gens ordinaires », des agriculteurs et des travailleurs qui sont partis quand leur vie a été perturbée par un conflit.

Sahin raconte avoir quitté la Turquie parce qu’il était persécuté en raison de ses convictions politiques.

« Je suis en Grèce depuis un an », confie-t-il. « En Turquie, ma vie était mauvaise et ratée et ils ne m’ont pas laissé vivre ma vie là-bas. Je voulais mes droits et j’ai demandé un État kurde, c’est pourquoi je suis parti. »

Kendal raconte que son travail pour le Parti démocratique des peuples (HDP), un parti politique pro-kurde en Turquie, l’a conduit à être arrêté et emprisonné. Après sa libération, il a traversé la mer Égée pour rejoindre la Grèce en bateau pendant la crise migratoire et s’est rendu à Athènes il y a neuf mois.

Un drapeau du PKK flotte au-dessus du camp où les graffitis pro-PKK ornent également les murs (MEE/Will Horner)

Le camp a fait l’objet de controverses depuis 1999, lorsque le journal turc Hürriyet a rapporté qu’Öcalan, qui avait été capturé au Kenya par les forces de sécurité turques, a déclaré aux interrogateurs que l’État grec avait aidé à armer et à former ses combattants dans le camp de Lavrio.

Ankara s’est attaqué à Athènes en 2013 en ce qui concerne ce qu’il qualifie des « activités terroristes » dans le camp, perquisitionné par la police antiterroriste grecque dans l’année dans le cadre d’une enquête sur le Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple (DHKP-C) léniniste, considéré comme un groupe terroriste par la Turquie, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’UE.

Cependant Hürriyet a rapporté qu’une perquisition complète du camp n’était pas parvenue à découvrir « quoi que ce soit de suspect ». Les habitants kurdes du camp affirment à MEE que le camp n’était pas lié au PKK.

« Ce camp n’est pas un camp du PKK ou de tout autre parti », assure Kendal. « Il s’agit d’un camp kurde pour les Kurdes, la Turquie veut fermer ce camp parce qu’elle affirme que nous sommes liés au PKK. »

Giorgos Kyritsis, porte-parole de l’organisme du gouvernement grec chargé de la coordination pour la gestion des crises des réfugiés, affirme aussi à MEE : « Il n’y a pas de problème de PKK dans le camp, mais si quelqu’un veut déclarer pacifiquement son identité politique, il est libre de le faire en Grèce. »

Lorsqu’on lui demande pourquoi aucun responsable grec n’est présent pendant la visite de MEE, il répond qu’il y a « des problèmes de personnel dans tous les camps parce que leur financement reste insuffisant ».

Falhad, Kurde syrien d’Afrine et joueur de baglama, partage une pièce avec son fils Ali et sa fille Julia. Il attend de s’installer en Allemagne pour rejoindre son épouse et sa fille (MEE/Will Horner)

En ce qui concerne l’absence de policiers, il confie : « Les autorités mènent une surveillance discrète, comme dans tous les camps de réfugiés et de migrants, et en général, une surveillance constante, visible ou non ».

Zefi Thanasoula, chef de la Division de la protection sociale de la Croix-Rouge hellénique, raconte que l’organisation gérait un service médical, avec un médecin et une infirmière ainsi que des services sociaux et éducatifs, dans le camp.

Mais le récent changement de contrôle du camp du ministère du Travail au ministère de l’Immigration a brouillé les fonctions actuelles de la Croix-Rouge hellénique dans le camp.

« Jusqu’au mois d’août, nous avions un contrat, la Croix-Rouge hellénique, avec le ministère du Travail et la situation était très claire au sujet de nos fonctions parce qu’il y avait un contrat spécifique et un budget spécifique », précise-t-elle.

« Actuellement, en tant que Croix-Rouge hellénique, nous ne sommes pas en contrat avec le ministère de l’Immigration, mais pour des raisons humanitaires, nous continuons d’être présents dans le camp pour venir en aide aux demandeurs d’asile qui résident dans le centre ».

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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