En Libye, l’EI « cherche à établir ses propres itinéraires de trafic vers l’Europe »
En Libye, le groupe État islamique (EI) tente d’établir ses propres itinéraires de trafic vers l’Europe, et prévoit d’étendre ses opérations au Maroc et en Algérie, a déclaré à Middle East Eye le chef d’une milice salafiste de « forces spéciales » chargée d’éradiquer les cellules de l’EI à Tripoli.
Dans une rare interview, Abdel Raouf Kara, qui est à la tête de la Force de dissuasion spéciale, également connue sous le nom de RADA, a affirmé que le contrôle d’une portion de littoral autour de la ville libyenne de Syrte par l’EI constitue un danger direct pour l’Europe.
Kara a déclaré que plus de 100 combattants présumés de l’EI sont actuellement retenus prisonniers à l’aéroport militaire de Mitiga, près de Tripoli, que RADA utilise comme base et qui a été attaquée par l’EI l’année dernière.
Personnage controversé et charismatique, Kara (35 ans) a été accusé par certains de chercher à imposer sa propre interprétation ultra-conservatrice de l’Islam et de porter atteinte à la transition de la Libye vers la démocratie depuis son ascension comme puissant chef de milice à Tripoli au milieu du chaos de la révolution libyenne de 2011.
Opérant désormais avec l’approbation du ministère de l’Intérieur du Congrès général national basé à Tripoli, l’un des deux gouvernements rivaux de Libye, la Force de dissuasion spéciale se compose d’environ 900 hommes disposant d’armes, notamment des chars, des lance-roquettes et des canons anti-aériens.
Le groupe, que Kara a initialement fondé avec d’autres jeunes hommes de son quartier (Souk al Jouma) pour lutter contre Mouammar Kadhafi, a d’abord lui-même lutté contre les groupes criminels impliqués dans la contrebande de drogues et d’alcool, servi de médiateur entre les clans et restauré l’ordre dans les rues de certaines des zones les plus agitées de la capitale libyenne.
Cependant, Kara s’est retrouvé entraîné dans la lutte contre l’EI, qu’il rejette comme « infidèles et takfiris ».
Il a indiqué que les interrogatoires de prisonniers avaient révélé des liens étroits entre les dirigeants de l’EI en Libye et la base de pouvoir du groupe en Syrie et en Irak.
« Les gens que nous interrogeons disent que les ordres viennent des hauts dirigeants proches d’ [Abou Bakr] al-Baghdadi [calife autoproclamé de l’EI] et que c’est à Syrte que toutes les attaques en Libye sont ensuite planifiées », a déclaré Kara à MEE.
Kara a ajouté que l’EI avait déjà établi deux camps d’entraînement sur la côte méditerranéenne à Sabratha et que les informations soutirées aux prisonniers suggéraient que le groupe était en train de mettre en place ses propres réseaux de trafic pour envoyer des gens en Europe.
« L'EI est un danger pour tout le monde, mais cette expansion en Libye pourrait être très dangereuse pour les Européens », a-t-il poursuivi. « S’ils mettent la main sur une route de trafic actif, tout peut arriver. »
Kara a rapporté que l’attaque de septembre dernier sur l’aéroport de Mitiga par quatre hommes armés de l’EI, l’attaque sur l’Hôtel Corinthia dans le centre de Tripoli dans laquelle onze personnes sont mortes il y a un an et le bombardement d’un camion à Zliten (près de Misrata) plus tôt ce mois-ci, qui a tué 65 personnes, ont démontré la capacité du groupe à activer des cellules dormantes pour frapper partout en Libye.
Il pense que l’objectif principal de l’attaque sur l’aéroport était de libérer Abderraouf Toumi, un « émir » canado-libyen de l’EI qui est mort tout comme les quatre hommes armés.
Après l’attaque, l’EI a publié une photo des quatre et les a désignés comme étant Harun al-Maghribi, Abu Talha al-Sudani, Abu Abdallah al-Sudani et Al-Shikau Tunsi, originaires du Maroc, du Soudan et de la Tunisie, respectivement, comme l’indiquent leurs noms de guerre.
« Ils ont tué trois de nos hommes, mais finalement nous les avons tous tués ainsi que le prisonnier », a ajouté Kara.
« Nos renseignements suggèrent que parmi les combattants de l’EI ici, les Libyens sont très peu nombreux. Beaucoup d’entre eux sont des Tunisiens, des Marocains, des Algériens, des Nigérians et des Soudanais. »
« Beaucoup d’entre eux reviennent également de la guerre en Syrie, ils sont bien organisés et préparés pour tout. Et d’après nos interrogatoires avec les prisonniers, nous supposons que les prochaines cibles seront le Maroc et l’Algérie. »
Certains auraient été recrutés à l’étranger via Internet, Kara citant l’exemple d’un homme canado-libyen d’une vingtaine d’années qui a été arrêté après être entré dans le pays depuis la Tunisie.
« Lorsque nous l’avons arrêté, nous avons réalisé qu’il ne savait rien de l’histoire de la Libye et du Maghreb. Nous lui avons demandé pour quoi il avait été recruté et il a répondu : "pour construire la nouvelle province du califat, la province libyenne" ».
L’EI vit dans les ténèbres
Toutefois, Kara a ajouté que l’EI cherche désormais également à rallier davantage de jeunes Libyens à sa cause.
« Notre plus grande inquiétude concerne les jeunes Libyens [parce que] c’est là que les recruteurs concentrent leurs forces. Ils veulent endoctriner nos jeunes et profiter de la vacance du pouvoir engendrée par ce chaos politique pour convaincre les gens de se sacrifier au nom d’un faux Islam. »
Patrouillant dans certaines des rues les plus dangereuses de Tripoli, les hommes de Kara portent des cagoules pour éviter d’être reconnus et de mettre en danger leurs familles et eux-mêmes lorsqu’ils arrêtent et fouillent les véhicules jugés suspects.
« L’EI vit dans les ténèbres et agit dans l’ombre », a-t-il déclaré. « Ils peuvent se cacher n’importe où. Il y a des cellules dormantes partout, ce que prouvent les attaques de ces derniers mois. »
Les inquiétudes de Kara concernant l’EI sont partagées par Ismail Shukri, le chef du renseignement militaire à Misrata rallié au gouvernement de Tripoli, qui a expliqué à MEE qu’on estimait désormais que le groupe possède au moins 2 500 combattants bien entraînés dans le pays, contre seulement 500 maximum il y a quelques mois.
« Nous avons des preuves montrant que depuis le début des frappes aériennes russes en Syrie, Baghdadi envoie un grand nombre de ses meilleurs hommes ici, depuis la Syrie et l’Irak », a-t-il ajouté.
« Et nous voyons de plus en plus de combattants étrangers venant de Boko Haram au Nigéria et du Soudan, du Mali et de Tunisie. Quelqu’un à Syrte nous a dit qu’il y a aussi des Canadiens et probablement même quelques Européens. »
« L’EI se renforce ici. Nous savons qu’il existe des camps d’entraînement ici et que leurs milices sont de mieux en mieux formées. Surtout, ils sont prêts à tout et ils sont prêts à se faire exploser. Le temps est de leur côté, pas du nôtre. »
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation
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