Fidel Castro laisse au Moyen-Orient un héritage durable
L’ancien président Fidel Castro – qui dirigea Cuba pendant si longtemps et fut un symbole international d’espoir et de dérision – s’est éteint samedi matin, à l’aube. À la surprise de beaucoup de ceux qui l’ont observé pendant toutes ces décennies, il est mort de causes naturelles à l’âge de 90 ans, plutôt que sous les balles d’un assassin ou après avoir fumé tant de ses célèbres cigares, omniprésents dans les documents qui le représentent.
Les dignitaires étrangers – surtout ses alliés latino-américains de gauche – ont pleuré son décès, pendant que communistes et autres gauchistes prenaient d’assaut les médias sociaux pour entamer une lutte dont l’enjeu est l’héritage de l’une des figures les plus iconiques et clivantes du XXe siècle.
Dans les rues de Miami, les habitants de la « Petite Havane » – la communauté des exilés cubains de cette ville – sont descendus dans la rue pour célébrer le décès d’un homme qui, disent-ils, a fait de leur pays une dictature, et les a dépouillés au passage de leur richesse et de leur statut.
Castro, le chef de la révolution de 1959 qui renversa le dictateur militaire, Fulgio Batista – et son allié Che Guevara – est devenu dans le monde entier une personnalité emblématique des luttes pour l’indépendance, particulièrement face à l’omniprésence de la puissance américaine.
Au Moyen-Orient, la révolution cubaine a contribué à inspirer de nombreux mouvements anti-impérialistes à prendre les armes contre les Britanniques, les Français et – plus tard – les ambitions impérialistes des États-Unis dans la région.
Bien que son marxisme-léninisme athée n’ait pris que rarement les rênes de pouvoir (à l’exception notable du Yémen du Sud), toutes les personnalités du siècle dernier, des gauchistes aux islamistes conservateurs, ont affirmé que Castro avait été une source d’inspiration.
Le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) fut, samedi, parmi les premières organisations politiques à publier ses condoléances. Au Moyen-Orient, c’est sans doute le FPLP qui a le plus précisément imité la politique castriste.
« Le FPLP pleure la mort du grand chef révolutionnaire, l’ancien président de la république démocratique de Cuba... Fidel Castro, mort vendredi soir, après avoir mis sa vie entière au service des principes et objectifs de la révolution socialiste », lit-on dans sa déclaration, publiée sur le site Internet du FPLP. « Il s’est battu contre l’impérialisme mondial et toutes les puissances despotiques et colonialistes, dont la pire est le sionisme.
« La position de Fidel Castro a évolué, et il s’est mis à soutenir de plus en plus clairement la révolution palestinienne, en actes autant qu’en paroles. Il s’est toujours opposé au sionisme, qualifiant l’entité sioniste de création de l’impérialisme mondial, et s’est élevé constamment contre ses crimes à l’encontre de nos peuples arabes et palestiniens ».
Au cours des années 60, le gouvernement cubain a envoyé des combattants soutenir les forces arabes en lutte contre Israël pendant la « guerre d’usure » qui suivit la guerre des Six jours. Il a recommencé pendant la guerre de Yom Kippour en 1973, année où Cuba interrompit ses relations avec Israël.
Bien que le frère de Castro, Raul (qui a repris la présidence suite à la démission de son frère), ait, en 2010, affirmé le « droit d’Israël d’exister », les deux pays n’ont toujours pas de relations officielles.
L’influence de Castro s’est aussi étendue au continent africain, dont l’acte le plus notoire fut d’aider les dissidents sud-africains à abolir l’apartheid et d’apportant son soutien aux luttes anticoloniales dans le nord.
Au cours des années 60, Cuba appuya l’Algérie lorsqu’elle s’émancipait de la férule coloniale française, et les liens entre ces deux pays devinrent si étroits qu’un Département d’État des États-Unis a annoncé en 1964 que l’Algérie était « devenue, littéralement, un agréable second foyer pour les voyageurs cubains, ainsi qu’une base de première importance pour étendre l’influence cubaine en Afrique ».
Le gouvernement de Castro fournit une assistance militaire au Front national de libération (FNL), qui, en échange, s’aligna sur la sphère d’un socialisme inspiré des Cubains, pour devenir un allié clé sur le continent africain.
« Castro est mon frère, Nasser est mon maître, Tito mon exemple », déclara fièrement le chef du FNL, Ahmed Ben Bella, suite à la déclaration d’indépendance de son pays en 1962.
Le pays fut aussi un destinataire important d’exportations plus renommées de Cuba, autres que ses cigares : son personnel de santé. C’est en mai 1963 que la première délégation d’assistance médicale arriva de Cuba en Algérie. On estime aujourd’hui leur nombre à environ 1 000 personnels médicaux cubains, dont 500 ophtalmologistes, répartis dans toute l’Algérie dans le cadre d’un accord toujours en vigueur.
Castro a aussi maintenu de bonnes relations avec la République islamique d’Iran, malgré l’instauration par Cuba d’un athéisme d’État et de la répression par Téhéran des derniers mouvements gauchistes au cours des années 1980.
Les dirigeants iraniens ont félicité le révolutionnaire Castro, grosse épine plantée dans le pied du « Grand Satan » – les États-Unis d’Amérique – et l’ont salué comme ami.
« Vous en avez été témoin, la Révolution islamique a toujours pris le parti de Cuba lors de ses différends avec les États-Unis, car nous estimons que votre cause est juste », a déclaré le chef suprême iranien, Ali Khamenei pendant une réunion avec Castro en 2001. « Le secret de la résistance de notre révolution aux pressions exercées sur nous par l’arrogance du reste du monde, c’est la forte conviction de notre peuple, lui qui adhère à l’islam, à ses principes et à ses valeurs. »
« D’un point de vue islamique, votre résistance aux intimidations américaines et à sa domination est méritoire. C’est pourquoi nous vous avons réservé un accueil si chaleureux aujourd’hui, lors de votre visite à l’université de Téhéran. Nos universités accueillent des visiteurs de nombreux pays, mais aucun d’eux ne reçoit un accueil aussi chaleureux. Cela montre que notre peuple est pleinement conscient de la valeur de votre juste résistance aux provocations américaines ».
Pendant la Guerre froide, Cuba a toujours joué un rôle de premier plan dans la région. En République démocratique populaire du Yémen, unique pays arabe à avoir adopté un système de style soviétique similaire à celui de Cuba, des centaines de soldats cubains sont venus renforcer l’État contre les menaces de ses voisins hostiles. Cuba a aussi envoyé des conseillers militaires en soutien à l’enclave côtière de Dhofar, où ils ont aidé les militants marxistes et léninistes à lutter contre le sultanat d’Oman. Ils ont aussi armé et formé contre le Maroc le Front Polisario, dans sa lutte de libération du Sahara occidental.
Suite à l’effondrement de l’Union soviétique à la fin des années 80 et sans accès aux marchés qui ont entretenu les pays satellites dans sa sphère d’influence, Cuba a connu une grave crise économique dont elle ne s’est jamais vraiment remise, en dépit de ses tentatives de nouer des liens avec les gouvernements de gauche nouvellement en place au Venezuela, au Nicaragua et en Bolivie.
Ces dernières années, les relations entre Cuba et le Moyen-Orient sont restées les mêmes qu’au temps révolu de la Guerre froide : le gouvernement cubain a continué à soutenir la Russie post-soviétique, et le gouvernement d’Assad en Syrie, une position extrêmement controversé parmi de nombreux anciens partisans, bien que Cuba ait nié certaines rumeurs suggérant l’envoi de renforts à l’armée syrienne pendant sa longue guerre civile.
Le pays est encore l’un des deux seuls au monde (avec la Corée du Nord) où la plus grande partie de l’économie est étatique, embourbé depuis des années dans la corruption et la gabegie. Un système de censure extrêmement répressif empêche les Cubains de savoir ce qui se passe dans le reste du monde, d’autant plus que l’accès au téléphone mobile et à l’Internet est lui aussi strictement restreint.
En 2010, Castro déclara que le vieux modèle soviétique de planification était un échec. Le pays lança alors une série de réformes qui permit la croissance de petites entreprises, une plus grande autonomie laissée aux entreprises d’État et l’émergence d’un secteur privé.
En 2014, les États-Unis et Cuba ont entamé des négociations pour mettre fin à un long blocus et au gel de leurs relations depuis plusieurs décennies. En 2016, Barack Obama est devenu le premier président américain à visiter l'île depuis la révolution.
Bien que Fidel ait réprouvé la visite d’Obama à Cuba (« Nous n'avons pas besoin que l’empire nous donne quoi que ce soit »), le réchauffement des relations entre les deux pays et la disparition progressive de l’ancien président du paysage politique ont donné à penser que le monde avait, d’une certaine façon, tourné la page.
Les discussions continueront sur la façon de maintenir l’indépendance de Cuba ainsi que la grande qualité de son système éducatif et de ses soins de santé (qui, sur de nombreux points, surclassent toujours celles des États-Unis), tout en permettant de relâcher les restrictions sur la liberté d’expression et de démocratiser la société cubaine.
Des discussions similaires se poursuivent au Moyen-Orient, autre région enlisée dans la corruption et la gabegie, où les anciennes luttes datant de la Guerre froide sont sans doute toujours d’actualité et où les intérêts des empires priment souvent sur le bien-être des populations ordinaires.
Traduction de l’anglais (original) de [email protected].
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