Hussein Baoumi : « Le gouvernement égyptien ne peut pas faire taire toute l’opposition »
« La pire crise des droits humains depuis des décennies » ou encore « une répression sans précédent », voici comment des ONG décrivent la situation en Égypte.
En effet, depuis la destitution de l’ex-président Mohamed Morsi, Abdel Fattah al-Sissi dirige le pays d’une main de fer. Au moins 60 000 personnes arrêtées, des centaines de disparitions forcées, sans compter les condamnations à mort et le renvoi de plus de 15 000 civils devant les tribunaux militaires. Une situation de plus en plus alarmante.
À quoi peut alors ressembler l’opposition aujourd’hui dans l’Égypte de Sissi ? Pourquoi le gouvernement actuel jouit-il d’une telle impunité ? C’est à ces questions notamment que l’Égyptien Hussein Baoumi, chercheur à Amnesty International et directeur des programmes de la Commission égyptienne pour les droits et les libertés, a répondu pour MEE.
Middle East Eye : Depuis le massacre de la place Rabia, la répression en Égypte a atteint un point de non-retour et n’a cessé d’empirer depuis.
Hussein Baoumi : J’aimerais d’abord rappeler ce qu’a été le massacre de Rabia. Ce sont au moins 1 150 manifestants tués par les forces de sécurité égyptiennes et, jusqu’à présent, aucun responsable des forces de sécurité n’a été inculpé.
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Le massacre de Rabia a ouvert la voie à tous les abus des droits de l’homme qui ont suivi
Le massacre de Rabia a ouvert la voie à tous les abus des droits de l’homme qui ont suivi. Désormais, de nombreux manifestants se trouvent en prison et l’Égypte connaît une série de violations des droits de l’homme. Il suffit d’ailleurs d’exprimer un propos critique, de le publier, pour faire l’objet de la répression étatique.
En effet, la répression a atteint un point de non-retour en Égypte. Je vous donne un exemple qui illustre la situation actuelle en Égypte : si une femme se plaint d’un harcèlement sexuel, elle est susceptible d’être poursuivie, emprisonnée et même accusée d’appartenance à un groupe terroriste. Rappelons-nous le cas de l’activiste Amal Fathy.
MEE : La répression actuelle en Égypte est-elle révélatrice de la puissance du régime de Sissi ?
Poster des tweets, exprimer ses idées ou même soutenir son équipe de foot est devenu une menace qui pourrait conduire à l’emprisonnement et même à la torture
HB : Au contraire, cette violence montre que le président Sissi se sent toujours menacé. En janvier 2018, Abdel Fattah al-Sissi avait déclaré : « Attention. Cette chose qui s’est passée il y a sept ou huit ans [la révolte de 2011] ne se reproduira pas en Égypte… ».
Pourtant, les égyptiens continuent à critiquer et à se révolter contre ce régime. Poster des tweets, exprimer ses idées ou même soutenir son équipe de foot est devenu une menace qui pourrait conduire à l’emprisonnement et même à la torture.
Le recours aux disparitions forcées, à la torture et aux exécutions extrajudiciaires se poursuit toujours. D’ailleurs, le président Sissi a adopté une nouvelle loi garantissant l’impunité des hauts responsables militaires. Il est donc clair que les autorités égyptiennes sont terrifiées par le changement, la mobilisation citoyenne sur les réseaux sociaux et la liberté d’expression.
Il est donc clair que les autorités égyptiennes sont terrifiées par le changement, la mobilisation citoyenne sur les réseaux sociaux et la liberté d’expression
Cependant, tant que la communauté internationale maintiendra cette complaisance avec le gouvernement égyptien, continuera à le soutenir en lui fournissant des armes et en fermant les yeux sur les violations massives des droits de l’homme, le gouvernement égyptien pourra faire ce qu’il voudra pour réprimer les Égyptiens, sans aucune répercussion.
MEE : Justement, Amnesty International a épinglé l’Europe et notamment la France pour leurs ventes d’armes à l’Égypte.
HB : Rabia a été l’un des pires massacres de l’histoire moderne et pourtant l’Europe, en l’occurrence la France, tout en sachant cela, a continué à soutenir l’Égypte et à exporter des armes.
À LIRE ► Le principal fournisseur d’armes de l’Égypte ? La France
Alors que tout le monde savait que des armes étaient utilisées dans la répression des manifestants égyptiens, la France, par exemple, a continué à fournir des armes au gouvernement égyptien et alimenter les violations des droits humains en Égypte. Même la suspension de l’aide militaire des États-Unis à l’Égypte a été réinstaurée quelques temps après.
Le signal qui a ainsi été envoyé aux autorités égyptiennes est qu’elles peuvent réprimer en toute impunité. S’il y a eu des critiques de la part de ces États, elles étaient plus que timides.
Tant que la communauté internationale maintiendra cette complaisance avec le gouvernement égyptien, continuera à le soutenir en lui fournissant des armes […], le gouvernement égyptien pourra faire ce qu’il voudra pour réprimer les Égyptiens
Néanmoins, certains gouvernements osent critiquer ces violations des droits de l’homme, tandis que d’autres en sont conscients mais se sentent impuissants en raison de leur manque d’influence sur l’Égypte.
La majorité des gouvernements s’abstient toutefois d’épingler l’Égypte pour des raisons économiques et politiques, comme les contrats d’armement, le commerce, etc. On constate clairement une hypocrisie politique, dont la logique est la suivante : la vente des armes apporte un grand profit économique, le reste n’est que détails.
Cet aveuglement volontaire à l’égard de l’Égypte s’explique aussi par la montée de l’extrême droite et son obsession de l’immigration en Europe. Certains pays de l’Union européenne misent sur l’Égypte pour réduire les départs de migrants. D’ailleurs, l’Égypte est considérée comme un modèle d’efficacité contre les embarquements clandestins.
La lutte du peuple égyptien est prise en otage entre une répression interne et les calculs politiques et économiques de certains pays européens
La classe politique ne se soucie pas du citoyen égyptien, ni de ses revendications de liberté ou de dignité humaine. La lutte du peuple égyptien est prise en otage entre une répression interne et les calculs politiques et économiques de certains pays européens.
MEE : La lutte contre le terrorisme est aussi évoquée pour justifier la coopération avec le régime de Sissi.
HB : En effet, les autorités égyptiennes utilisent le discours de la lutte contre le « terrorisme » pour masquer une répression contre la liberté d’expression, la société civile et, en réalité, contre toute opposition. Elles utilisent ce discours pour justifier toute violation des droits de l’homme telle que les exécutions extrajudiciaires, la torture, les disparitions forcées et les peines de mort.
Emprisonner des journalistes, des activistes et les accuser de « terrorisme » n’a rien à voir avec la lutte contre le terrorisme. Il s’agit tout simplement d’une répression visant à réduire au silence le peuple égyptien. La question est donc la suivante : cette supposée lutte contre le terrorisme justifie-t-elle les disparitions forcées, la torture et la répression massive ?
MEE : Abdel Fattah al-Sissi réussira-t-il à en finir avec l’opposition ?
Le gouvernement égyptien continuera de traquer les opposants, mais il ne pourra pas contrôler les pensées des millions d’Égyptiens. Il y a une opposition forte et populaire contre le régime de Sissi actuellement en Égypte
HB : Le gouvernement égyptien ne peut pas faire taire toute l’opposition. En renforçant la répression, Abdel Fattah al-Sissi est en train de renforcer les rangs de l’opposition. Car lorsque le gouvernement arrête arbitrairement un citoyen pour avoir exprimé ses idées, d’autres vont s’identifier à lui et à l’injustice qu’il a subie.
Le gouvernement égyptien continuera de traquer les opposants, mais il ne pourra pas contrôler les pensées des millions d’Égyptiens. Il y a une opposition forte et populaire contre le régime de Sissi actuellement en Égypte.
À LIRE ► L’univers paranoïaque d’Abdel Fattah al-Sissi
Les jeunes qui manifestent et qui mènent toute une campagne sur les réseaux sociaux contre le gouvernement égyptien montrent que ce dernier est détesté. La moquerie et les attaques satiriques sont devenues une arme d’opposition sur les réseaux sociaux.
La répression actuelle est sans précédent dans l’histoire récente de l’Égypte et il faut avouer qu’elle a dépassé toutes les limites. L’Égypte est devenue réellement une prison ouverte
Malheureusement, la répression actuelle est sans précédent dans l’histoire récente de l’Égypte et il faut avouer qu’elle a dépassé toutes les limites. L’Égypte est devenue réellement une prison ouverte. Cependant, l’opposition est toujours là, et elle est structurée. En Égypte, la révolte populaire se manifeste de plus en plus en défiant la politique répressive.
Enfin, en Égypte, l’opposition souffre de l’absence d’un processus démocratique qui l’empêche de se présenter au peuple égyptien comme une alternative.
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