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INTERVIEW – Jean-François Perouse : « Erdoğan a besoin de faire parler le peuple par les urnes »

Le président turc Erdoğan a proclamé ce dimanche sa victoire au référendum sur le renforcement de ses pouvoirs, obtenue avec un peu plus de 51 % des voix. Une victoire qui lui est nécessaire, selon Jean-François Perouse
Des supporters du président Erdoğan fêtent la victoire du « oui » au référendum (Reuters)

Selon l’agence de presse officielle Anadolu, le camp du « oui » au référendum sur la réforme constitutionnelle renforçant les pouvoirs du président Recep Tayyip Erdoğan arrivait ce dimanche soir en tête avec plus de 51 % des voix, une victoire contestée par l’opposition.

Pour le chef de l’État, cette réforme est nécessaire pour doter la Turquie d'un exécutif fort et stable au moment où le pays affronte des défis économiques et sécuritaires majeurs. Mais ses détracteurs dénoncent un texte rédigé sur-mesure pour satisfaire les ambitions du président, accusé de dérive autoritaire, notamment depuis un putsch qui a failli le renverser en juillet.

Dans un discours télévisé, le chef de l'État a salué une « décision historique » du peuple turc et appelé les pays étrangers à « respecter » le résultat du scrutin. Peu après, il a évoqué la possibilité d'organiser un nouveau référendum, cette fois-ci sur le rétablissement de la peine capitale, une initiative qui sonnerait le glas du processus d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne (UE).

Jean-François Perouse, géographe et directeur de l’Institut français d’études anatoliennes à Istanbul, co-auteur avec Nicolas Cheviron d’Erdogan démythifié, une biographie du président turc, résume les enjeux de cette révision constitutionnelle qui prévoit le transfert du pouvoir exécutif au président, la suppression de la fonction de Premier ministre, et pourrait permettre à Erdoğan de rester au pouvoir au moins jusqu'en 2029.

Middle East Eye : Depuis le début de la campagne, les experts avaient prévu que le « oui » l’emporterait car de nombreux Turcs soutiennent Erdoğan. Est-ce parce qu’il a joué une carte redoutable, celle de la stabilité ?

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Jean-François Perouse : En effet, le « moi ou le chaos » est un des principaux arguments de Recep Tayyip Erdoğan. Après le coup d’État, le contexte national et international, c’est un argument qui porte d’autant plus. Les Turcs ont préféré cette prétendue stabilité avec les risques qu’elle comporte.

Erdoğan a participé à l’intégration dans le jeu politique de groupes sociaux jusque là malmenés par la république laïque (AA)

En participant à la promotion d’un certain nombre de groupes sociaux jusqu’alors malmenés par la république laïque, et à leur intégration dans le jeu politique, Erdoğan a aussi obtenu leur soutien. Il y a donc une sorte de revanche de la part de ces groupes de la classe conservatrice qui s’identifient aussi à son programme. Erdoğan a des convictions religieuses, il croit en certaines valeurs liées à la place de la famille, par exemple, qu’il a réussi grâce aux institutions de l’État, à asseoir depuis que l’AKP est au pouvoir, c’est-à-dire 2002. Il y a aussi des jeunes, des primo-votants, qui n’ont connu que lui.

MEE : Au regard de la dérive autoritaire qui s’opère depuis quelques temps, en particulier depuis le coup d’État, on peut considérer que le régime turc est déjà autoritaire. L’enjeu de la Constitution se trouve donc ailleurs…

JFP : Erdoğan a besoin de ça pour parachever sa carrière politique jusqu’en 2023, échéance correspondant au centenaire de la fondation de la République turque, et entériner un état de fait. Mis en cause en décembre 2013 [il a été obligé de remanier son gouvernement après des manifestations consécutives à un scandale de corruption] et en juillet dernier [lors d’un coup d’État attribué au prédicateur Fetthulah Gülen], Erdoğan, puisqu’il se réclame de la légitimité populaire, a besoin de faire parler le peuple à travers les urnes.

Ankara a plusieurs fois demandé aux États-Unis d’extrader Fetthulah Gülen, considéré comme le cerveau du putsch manqué de juillet 2016 (Reuters)

MEE : On voit depuis quelques temps les relations se dégrader entre la Turquie et l’Europe – et l’amendement de la Constitution ne va rien arranger – au profit d’un rapprochement avec la Russie. Comment voyez-vous évoluer l’axe Ankara-Bruxelles et Ankara-Moscou ?  

JFP : La Turquie a perdu sa capacité d’initiative sur le terrain syrien, où les États-Unis et la Russie sont devenus des acteurs principaux. Pour autant, elle garde une légitimité parce qu’elle est présente sur le terrain et parce qu’elle est exposée par les 800 kilomètres de frontière avec la Syrie. Sa politique apparaît de moins en moins claire, largement contrainte par la Russie avec laquelle elle entretient une relation un peu forcée, guidée par des intérêts bien compris.

À LIRE : Erdoğan et Poutine : l’alliance de cet étrange couple se développe

Quant à l’Union européenne, elle n’a pas de politique à l’égard de la Turquie – ce sont plutôt les pays européens, qui chacun, ont une position – et elle n’a pas non plus de force militaire. La relation d’Ankara avec Bruxelles n’a donc rien de comparable avec la relation Ankara-Moscou.

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