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Mustapha ben Ahmed : « Soutenir Youssef Chahed aux prochaines élections ? Prématuré ! »

Dans un paysage politique fragmenté et à l’approche des élections de 2019, le bloc parlementaire de la Coalition nationale, créé à la fin de l'été pour soutenir le Premier ministre, s’active pour créer un nouveau parti
Mustapha ben Ahmed n’exclut pas que le Premier ministre, Youssef Chahed (en photo), derrière lequel la Coalition nationale s’est rangée, joue un rôle dans le parti qui devrait être créé d’ici à janvier (AFP)

TUNIS – Élu de Sousse, Mustapha ben Ahmed a pris la tête du bloc parlementaire de la Coalition nationale qui regroupe une quarantaine de députés. 

Comme beaucoup de ses collègues, Mustapha ben Ahmed a quitté le parti présidentiel Nidaa Tounes, ne supportant pas la direction de Hafedh Caïd Essebsi et de son entourage. 

À l’Assemblée des représentants du Peuple (ARP), il a apporté son soutien au Premier ministre Youssef Chahed, dont l’adhésion au parti Nidaa Tounes a été gelé cet automne. Un soutien que le député qualifie de « critique ». 

Avec la Coalition nationale, Mustapha ben Ahmed veut « faire renaître l’âme de Nidaa Tounes » (MEE/Maryline Dumas)

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Middle East Eye Mi-novembre, une députée de votre bloc parlementaire, Leila Chettaoui, a évoqué la création d’un nouveau parti. Quand cela aurait-il lieu ?

Mustapha ben Ahmed : Nous sommes en pleine réflexion à ce sujet. Le parti doit être créé dans les semaines à venir – nous ne parlons plus de mois – car il y a des rendez-vous politiques importants avant les élections de 2019 [présidentielle et législatives sont annoncées pour le dernier trimestre de 2019]. 

Nous allons œuvrer à accélérer le processus de finalisation des institutions constitutionnelles, débattre sur les réformes économiques et sociales et lancer une campagne de sensibilisation pour pousser les gens à s’inscrire sur les listes électorales. 

« Le Nidaa Tounes actuel est un faux Nidaa qui a été défiguré par les malversations et dérives de certaines personnes »

MEE Cela signifie que le parti sera créé avant janvier ?

MBA : Janvier, c’est une date limite pour lancer un parti sur le terrain et pouvoir concurrencer les autres forces politiques.

MEE Qui va-t-il rassembler ?

MBA : C’est le sujet de nos discussions. Il y a une tendance forte pour construire un projet semblable au parti Nidaa Tounes de 2014, qui rassemblait les franges centristes de différentes appartenances. Je parle de la tendance patriotique destourienne, des syndicalistes, de la gauche libérale et des indépendants. C’est une configuration qui reflète les idéologies de la classe moyenne tunisienne.

À LIRE ► Nidaa Tounes : la nostalgie d’un passé imaginaire ? 

MEE Mais justement, le rassemblement n’a pas été une réussite pour Nidaa Tounes, qui donne l’impression, aujourd’hui, d’avoir éclaté sous le poids des divisions...

MBA : Nidaa Tounes a été manipulé et détourné de ses objectifs. Le problème ne vient pas de ses principes de base. Nidaa Tounes a été déformé par une partie de la direction qui a cherché, par tous les moyens, à renverser ou exclure les personnalités et dirigeants importants, et à déstructurer le parti pour le dominer. 

C’est une minorité qui a vidé Nidaa Tounes de son contenu et de ses objectifs. Plus de 80 % des dirigeants et militants ont dû quitter le parti alors que, parallèlement, des personnes qui n’ont aucun principe en commun avec le parti – à l’image de Bohren Bsaies [chargé des affaires politiques à Nidaa Tounes] ou Slim Riahi [fondateur du parti Union patriotique libre, devenu secrétaire général de Nidaa Tounes en octobre – ont été intégrés.

Le Nidaa Tounes actuel est un faux Nidaa qui a été défiguré par les malversations et dérives de certaines personnes qui se sont accaparé la direction par des moyens putschistes.

« Youssef Chahed a été un appui important, mais pas déterminant »

MEE Pourquoi construire un nouveau parti sur le modèle de Nidaa Tounes, alors que vous pourriez tenter de reprendre la main sur la formation en participant au congrès électif annoncé pour février 2019 ?

MBA : Tout ce qui est préparé aujourd’hui par cette fausse direction de Nidaa Tounes ne peut permettre de faire renaître le parti. Tout est déjà joué d’avance, selon un accord de partage entre les putschistes et les intrus. Nidaa Tounes, dans son cadre actuel, est fini. Mais nous pensons faire renaître l’âme du parti.

Au Parlement tunisien (AFP), le groupe parlementaire de la Coalition nationale représente le troisième force politique (AFP)

MEE Et ce nouveau parti soutiendra Youssef Chahed lors des prochaines élections…

MBA : Il est prématuré de penser que l’on va soutenir Youssef Chahed aux prochaines élections. Notre premier objectif est de réparer l’équilibre politique, de mettre en place des règles d’exercice collectif et de choix démocratique. 

Pour les prochaines élections, nous allons établir une règle qui offrira les mêmes chances à tous ceux qui aspirent à se présenter. Nous choisirons les candidats en toute transparence. 

MEE Youssef Chahed sera-t-il membre de la direction du nouveau parti ? Après tout, il a joué un rôle important dans la création de votre bloc parlementaire...

MBA : Oui, Youssef Chahed devrait avoir une place dans ce parti, car il a contribué à créer cette mouvance autour de notre bloc parlementaire, de certaines personnalités et de lui-même. 

Cependant, la création de notre bloc parlementaire a suivi une dynamique autonome ou disons, un processus débuté en novembre 2015 avec ces 32 parlementaires qui ont contesté la politique de Nidaa Tounes. C’est à partir de ce mouvement que nous sommes arrivés à cette situation. Youssef Chahed a été un appui important, mais pas déterminant.

À LIRE ► Tunisie : l’énigme Youssef Chahed 

MEE Tout de même, en 2015, les 32 parlementaires dont vous parlez n’avaient pas réussi à s’organiser et s’étaient dispersés dans différents groupes parlementaires après leur démission de Nidaa Tounes. Youssef Chahed a réussi à vous rassembler...

MBA : Oui, il y a eu une dispersion, mais nous avons continué notre chemin. Nous avons créé le bloc parlementaire « National » de dix députés. Il a pris des positions autonomes qui n’ont été dictées par personne. Il a rejeté les tentatives de déstabilisation des autres partis. C’est autour de lui que d’autres blocs ont pensé à constituer un nouveau groupe parlementaire. 

MEE Lorsque la Coalition nationale a été créée fin août vous espériez devenir la seconde force politique du Parlement, voire même la première. Vous n’êtes finalement que la troisième. Nidaa Tounes, à la faveur d’une fusion avec l’Union patriotique libre (UPL), est toujours devant vous. Est-ce une déception ?

MBA : Non, nous sommes parfaitement satisfaits. Nous avons 44 députés, Nidaa en a 46 [l’ONG Al-Bawsala qui observe les travaux du Parlement en compte 41 contre 47]. On peut atteindre la seconde place en quelques jours. Avec notre allié Machrouu Tounes [treize députés], nous devenons la seconde force.

La fusion Nidaa Tounes-UPL était conjoncturelle dans l’objectif de faire échouer le remaniement ministériel, mais ils n’ont pas réussi

MEE Vous espérez que Machrouu Tounes rejoigne votre bloc parlementaire et votre parti prochainement ?

MBA : Si nous avons retenu quelque chose de nos expériences passées, c’est qu’il ne faut pas se précipiter. Il faut construire pas à pas. Nous sommes en train de coordonner toutes nos positions. Dans notre situation actuelle, fonctionner en deux groupes parlementaires n’est pas un handicap. Nous travaillons avec Machrouu sur une reconstruction commune. Le mouvement est constant, nous avançons lentement mais sûrement.

MEE À l’inverse, Nidaa Tounes est allé vite en fusionnant avec l’UPL alors que les députés de ce parti vous avaient rejoints. C’est ainsi que Nidaa Tounes a pu se maintenir en seconde position à l’Assemblée...

MBA : Les députés de l’UPL avaient suivi les discussions concernant la création de notre bloc. Ils y ont même adhéré puis se sont retirés après la décision du chef de leur parti. La fusion Nidaa Tounes-UPL était conjoncturelle dans l’objectif de faire échouer le remaniement ministériel, mais ils n’ont pas réussi. Je prévois que cette union ne durera pas.

Pour Mustapha ben Ahmed, Youssef Chahed « n’a rien cédé à Ennahdha [ici, son leader Rached Ghannouchi] ». « Il y a eu un compromis sur la composition du gouvernement, mais en rien sur les valeurs républicaines et civiles » (AFP)

MEE Vous avez voté en faveur du remaniement ministériel, proposé par Youssef Chahed le 5 novembre. Votre soutien au gouvernement est-il inconditionnel ?

MBA : Non, notre soutien est critique. Nous nous opposerons à certaines mesures. Nous critiquons, par exemple, le gouvernement sur sa manière de contrôler les prix et sur son combat, que nous jugeons trop faible, contre les monopoles. 

On appelle le gouvernement à améliorer ses outils de contrôle des prix et à combattre plus activement les pénuries de certains produits, comme les médicaments, le lait... Ceux-ci sont l’objet de monopole et donc de trafics. 

À LIRE ► Tunisie : un remaniement et quatre controverses 

MEE Les opposants de Youssef Chahed disent ce que ce gouvernement est un gouvernement Ennahdha. Qu’en pensez-vous ?

MBA : Ennahdha n’a pas été intégré au gouvernement par Youssef Chahed. Ce parti existe sur la scène gouvernementale suite à un compromis, devenu compromission, mis en place par cette direction de Nidaa Tounes. 

Il existe également par son poids parlementaire [67 députés], qui représente quasiment un tiers de l’Assemblée des représentants du peuple [ARP]. Cela oblige tous les partis à composer avec Ennahdha. 

Mais sur le choix politique, Youssef Chahed n’a rien cédé à Ennahdha. Il y a eu un compromis sur la composition du gouvernement, mais en rien sur les valeurs républicaines et civiles. 

Que serait un gouvernement Ennahdha ? Un cabinet qui adopte une certaine vision de la société basée sur ses références politiques et idéologiques. On peut constater d’une manière très claire que ce n’est pas le cas. C’est Ennahdha qui essaye de s’adapter au modèle civil tunisien, que ce soit dans ses discours ou son comportement. 

Il faut choisir ses adversaires. Ce sont les lobbies de contrebandiers et les personnes qui profitent de situations de monopole

MEE Le président Béji Caïd Essebsi a annoncé la fin de l’alliance avec Ennahdha. Certains analystes estiment qu’il s’agit d’une simple évolution de l’alliance Ennahdha-Nidaa Tounes vers une alliance avec votre bloc parlementaire. Qu’en est-il ?

MBA : Ce n’est pas le cas. Quand on parle d’alliance, il faut parler de contenu. Il s’agit d’un simple croisement sur des positions conjoncturelles pour maintenir la stabilité des institutions de l’État. Cela se vérifiera rapidement grâce à notre position sur certaines questions. 

Par exemple, sur l’équité homme-femme dans l’héritage. La présidente de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité [COLIBE, à l’origine d’une proposition de loi en faveur de l’égalité dans l’héritage] appartient à notre groupe parlementaire. Nous allons défendre ce principe alors qu’Ennahdha hésite. Nous sommes contre les agissements de la présidente de l’Instance vérité et dignité [Sihem Bensedrine, l’IVD étant en charge de la justice transitionnelle] alors qu’elle est protégée par Ennahdha. Il y a des divergences visibles entre nous et Ennahdha. Cette histoire d’alliance est créée par des partis qui veulent nous dénigrer. 

MEE Quelles sont les objectifs de votre groupe parlementaire pour cette dernière session avant les élections ?

MBA : Nous avons deux axes sur lesquels il faut travailler. Nous devons réparer l’image de la Tunisie à l’extérieur. Elle a été endommagée par certains comportements de personnalités qui essaient de nuire au pays et par des circonstances qui dépassent notre volonté, comme les départs de nos jeunes vers certaines zones de conflits [la Tunisie est l’un des plus gros pourvoyeurs d’islamistes armés]. Il faut également travailler sur la solidarité interne pour faire face à cette crise économique et sociale et combattre le fléau de la corruption.

Le secrétaire général de la centrale syndicale (UGTT), Noureddine Taboubi, prononce un discours lors de la grève générale des fonctionnaires, à Tunis le 22 novembre 2018 (AFP)

MEE La population subit la crise économique de plein fouet. La fonction publique a fait grève jeudi 22 novembre, et le mois de janvier est régulièrement la scène de manifestations. Redoutez-vous cette période ?

MBA : Oui. Le mois de janvier est devenu une période socialement sensible. La situation économique et ses répercussions sur la qualité de vie et le pouvoir d’achat s’aggravent de plus en plus. Le gouvernement n’est pas parvenu à arrêter ce glissement. Les couches populaires et la classe moyenne s’appauvrissent et ne supportent plus le coût de la vie. 

Cependant, il faut choisir ses adversaires. Ce sont les lobbies de contrebandiers et les personnes qui profitent de situations de monopole. Dans la loi de finances 2019, il y a des mesures qui tendent à apaiser le poids du glissement du dinars et de l’inflation. Nous les revendiquons et négocions d’autres mesures avec le gouvernement pour relancer l’économie du pays. 

À LIRE ► Le Parlement tunisien, un contre-pouvoir encore trop faible 

MEE Récemment, l’ONG Al-Bawsala a présenté un rapport sur les travaux du Parlement, évoquant de nombreux problèmes d’organisation et de fonctionnement. Partagez-vous cette inquiétude ?

MBA : Oui, il y a de gros problèmes de logistique, notamment en terme d’espace et de manque d’assistanat. Personnellement, je prépare mes interventions tout seul. 

Nous n’avons que trois assistants parlementaires pour une quarantaine de députés dans notre groupe. Ils font surtout du travail administratif et ils manquent de formation. 

Il y a également de gros problème d’absentéisme des députés. Les raisons sont multiples. Il faudrait revoir le système. Les partis doivent mieux encadrer et accompagner leurs députés.

Il y a de gros problème d’absentéisme des députés. Les raisons sont multiples. Il faudrait revoir le système

MEE Certains députés ont changé plusieurs fois de groupes parlementaires depuis leur élection. C’est votre cas d’ailleurs, puisque la Coalition nationale est votre quatrième groupe en quatre ans. Certains critiquent ce « tourisme parlementaire »...

MBA : Nous, les députés, sommes sous la lumière. Mais il ne faut pas oublier ce qu’il se passe dans les partis. C’est une situation de sables mouvants, les partis sont en constante évolution. Ce qui est essentiel, ce n’est pas l’acte de changement mais les causes. Sont-elles objectives ou personnelles ? Cela fait une différence quand un parti dérive de ses principes et du programme pour lequel ont été élus ses députés. Que doit faire un élu ? Maintenir ses principes ou se soumettre au pouvoir d’une direction illégitime ? J’ai fait des essais avec des groupes parlementaires. Nous arrivons aujourd’hui au résultat d’un parcours de recherche. Je suis réconcilié avec mes principes.

MEE Vous représenterez-vous en 2019 ?

MBA : Je ne pense pas. Il y a une certaine lassitude de cette politique qui a perdu l’âme des valeurs. Et surtout, il faut renouveler la classe politique, injecter du sang nouveau et laisser la place aux jeunes. 

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