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Salah Hamouri : « Les Israéliens nous maintiennent tous dans une grande prison »

Le jeune avocat franco-palestinien a été libéré le mois dernier après plus d’un an de détention administrative en Israël. Il s’exprime pour MEE sur sa situation et le combat de tout un peuple pour la liberté
Salah Hamouri fait le signe de la victoire chez lui, dans la ville d'al-Ram, près de Jérusalem, en Cisjordanie occupée, après avoir été libéré d’une prison israélienne le 30 septembre 2018 (AFP)

Quatre-cent jours enfermé dans une cellule. Quatre-cent jours privé de liberté. Quatre-cent jours sans pouvoir voir sa femme et son fils. Salah Hamouri, avocat franco-palestinien, est sorti de la prison du Néguev dans laquelle il était incarcéré par les autorités israéliennes le 30 septembre dernier.

Outre ces 400 jours, le jeune homme avait déjà été emprisonné par Israël pendant sept ans, entre 2005 et 2011. Chaque fois, les autorités israéliennes le placent en détention administrative, un régime leur permettant d’emprisonner quiconque sans charges ni procès.  Plus de huit ans de la vie de cet homme de 33 ans sont ainsi partis en fumée.

En août, sa femme, Elsa Lefort, avait dénoncé auprès de Middle East Eye « l’acharnement » d’Israël à son encontre. Elle-même fait l’objet d’une interdiction de se rendre en Israël, et donc dans les territoires palestiniens occupés, depuis l’époque où elle était enceinte de leur enfant.  

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Salah Hamouri a donc vécu pendant plus d’un an une double peine, isolement vis-à-vis de la société, isolement vis-à-vis de sa famille. Mais pour lui, cet acharnement est collectif, celui d’une puissance occupante à l’encontre de tout un peuple.

Salah Hamouri revient pour MEE sur les conditions de sa détention, sur les manquements de la diplomatie française face à l’arbitraire israélien, ainsi que sur les motivations qui le poussent, lui et les autres prisonniers politiques palestiniens, à ne pas renoncer, à ne pas « obtempérer quand l’occupation nous demande de partir », et à « rester vivre en Palestine », coûte que coûte.

Middle East Eye : Bonjour Salah Hamouri. Comment allez-vous après ces 400 jours d’incarcération ? Comment avez-vous été traité ?

Salah Hamouri : Bonjour, il faut savoir que la prison est un endroit où les Israéliens essaient de nous tenir loin de notre société et de notre famille. Les conditions de détention sont appliquées de la même façon à l’encontre de tous les prisonniers, il n’y a pas de traitement spécifique parce que je suis français ou vis-à-vis d’autres prisonniers ayant une autre nationalité, le traitement est le même pour tous.

J’ai vécu les mêmes conditions de détention que les autres détenus, à la différence près que je n’avais pas le droit de recevoir la visite de ma femme et de mon fils qui sont interdits d’entrer en Palestine. C’était un moyen de pression supplémentaire sur moi

Les conditions de détention sont difficiles, surtout l’isolement collectif que l’on vit en prison. Personnellement, j’ai vécu les mêmes conditions de détention que les autres détenus, à la différence près que je n’avais pas le droit de recevoir la visite de ma femme et de mon fils qui sont interdits d’entrer en Palestine. C’était un moyen de pression supplémentaire sur moi.

MEE : Êtes-vous soumis à des restrictions, dans vos mouvements par exemple, ou êtes-vous totalement « libre » ?

SH : Le jour de ma sortie, les renseignements [israéliens] m’ont cueilli devant la porte de la prison et m’ont conduit au centre d’interrogatoire al-Moskobieh, à Jérusalem. Là bas, on m’a signifié que je n’avais pas le droit d’organiser de fête pour célébrer ma sortie pendant un mois ni de participer à des événements politiques. Il a fallu également payer une amende de 3 000 shekels [713 euros] et une caution de 20 000 shekels [4 750 euros].

Je pense que pour les Palestiniens, la liberté à la sortie de la prison n’est pas complète car les Israéliens nous maintiennent tous dans une grande prison.

MEE : Quel est votre sentiment aujourd’hui sur cette détention, alors qu’aucune charge n’a été prononcée contre vous ?

SH : Cette détention a été particulièrement difficile car la prison est déjà un endroit difficile pour tout être humain, mais les Israéliens ont en plus choisi de m’arrêter juste à la fin de ma formation d’avocat et seulement quelques jours avant un voyage prévu pour aller voir ma famille en France.

Je crois que leur objectif me concernant est véritablement de me pousser à l’exil en utilisant ma famille comme moyen de pression

Les Israéliens ont ciblé cette période heureuse pour moi pour me mettre clairement la pression et me rappeler qu’ils surveillent parfaitement le moindre détail de ma vie.

Il n’y avait aucune charge, pendant treize mois, j’étais détenu tout en n’étant accusé de rien. Mon dossier est maintenu secret, ni les avocats ni moi même n’y avons accès. Il n’y a que les services de renseignement israéliens qui peuvent y accéder. Je pense que ce dossier est clairement vide mais que cette détention administrative est une pression pour m’obliger à quitter la Palestine.

MEE : Certains parlent de l’acharnement d’Israël à votre encontre, à quelle fin selon vous ? Incarneriez-vous quelque chose dont les autorités israéliennes auraient peur ?

SH : Je pense que l’occupation israélienne harcèle tout le peuple palestinien, pas moi uniquement. Je fais partie de ce peuple donc je subis un acharnement.

L’occupation israélienne harcèle tout le peuple palestinien, pas moi uniquement

C’est vrai que je sens une pression spéciale sur moi pour me faire partir. Je ne sais pas si je suis considéré comme un symbole ou pas mais je crois que leur objectif me concernant est véritablement de me pousser à l’exil en utilisant ma famille comme moyen de pression.

MEE : Pensez-vous que la diplomatie française ait contribué à votre libération ?

SH : Je pense que la diplomatie française n’a pas agi suffisamment pour obtenir ma liberté. Parce qu’à partir du moment où il n’y avait aucune charge contre moi, la France aurait dû taper du poing sur la table des négociations.

« Les autorités françaises doivent avoir du courage et défendre le droit de tous les citoyens français », rappelle Salah Hamouri (AFP)

Je pense que la diplomatie française n’a pas agi suffisamment pour obtenir ma liberté

La France peut, si elle s’en donne les moyens, être une puissance respectée. À mon avis, la France a trop tardé à réagir, me concernant. Les efforts faits finalement auraient dû l’être dès le premier jour de ma détention et avec vigueur.

MEE : Avez-vous espoir que l’interdiction faite à votre femme Elsa Lefort de vous rejoindre pour vivre ensemble à Jérusalem soit bientôt levée ?

SH : Pour qu’Elsa puisse revenir en Palestine, il faut clairement que la diplomatie française s’en donne les moyens. Seule la diplomatie française pourra obtenir l’annulation de cette interdiction.

Les motifs avancés pour maintenir Elsa loin de la Palestine sont ridicules. Elsa n’est pas un « danger pour la sécurité d’Israël », mais Israël tente d’utiliser ma famille pour me faire partir.

Un autre combat attend Salah Hamouri, faire venir sa femme Elsa Lefort (en photo) et leur fils à Jérusalem (page Facebook du comité de soutien de Salah Hamouri)

Si, comme elle nous le dit, la diplomatie française est convaincue que cette interdiction est arbitraire et injuste, alors elle doit tout faire pour que nous puissions être réunis à Jérusalem. C’est ici que nous souhaitons vivre et c’est notre droit. Les autorités françaises doivent avoir du courage et défendre le droit de tous les citoyens français.

MEE : Vous avez déclaré que malgré les pressions (notamment la séparation forcée d’avec votre épouse et votre fils), votre choix de rester en Palestine était « définitif ». Qu’est-ce qui vous motive ?

SH : Ce qui me pousse à rester vivre en Palestine, c’est la force de ma famille, malgré notre éloignement forcé, elle me donne du courage et de l’espoir.

Si chaque Palestinien qui a vécu des pressions de la part de l’occupant avait choisi l’exil, alors il n’y aurait plus beaucoup de Palestiniens en Palestine

Je suis également poussé par la force de mes convictions, pour moi, on ne peut pas lâcher l’affaire, on ne peut pas obtempérer quand l’occupation nous demande de partir, non, au contraire, on se doit de rester vivre en Palestine. Si chaque Palestinien qui a vécu des pressions de la part de l’occupant avait choisi l’exil, alors il n’y aurait plus beaucoup de Palestiniens en Palestine.

MEE : Ne craignez-vous pas de vous faire emprisonner à nouveau ?

SH : L’idée de se faire de nouveau arrêter est une idée qui ne m’a jamais quitté depuis ma sortie de prison en 2011. Cette menace est présente tous les jours quand on vit en Palestine et que l’on s’investit pour notre peuple, on sait que l’on s’expose à la prison.

L’occupation israélienne utilise la prison pour tenter de mettre fin à notre mobilisation politique, alors quand on s’engage politiquement, on connaît le prix à payer pour faire avancer notre cause.

MEE : Les prisonniers palestiniens que vous avez pu rencontrer en prison gardent-ils le moral et leur combattivité ? Pourrait-on assister à une nouvelle grève de la faim collective ou y a-t-il une certaine désillusion vis-à-vis de toute forme de protestation depuis l’intérieur des prisons ?

SH : Les prisonniers politiques palestiniens gardent le moral et ont de l’espoir concernant leur combat.

Quand nous sommes incarcérés dans les geôles de l’occupant, nous n’avons pas d’autre choix que de rester debout et de combattre l’occupant en gardant en tête que malgré les souffrances, nous avançons vers la liberté.

Des prisonniers palestiniens assis derrière une vitre reçoivent des visites à la prison de Gilboa (Israël), en 2006 (AFP)

La situation à l’intérieur des prisons est influencée par la situation politique à l’extérieur. Pour que les prisonniers s’engagent dans une grève de la faim collective, ils ont besoin d’être accompagnés par un contexte politique favorable, sinon leur mobilisation risque d’être vaine.

MEE : Quels sont vos projets à présent ?

SH : Ma priorité est de retrouver ma femme et mon fils et d’obtenir leur droit de revenir à Jérusalem afin que nous vivions ensemble. Je veux également poursuivre mes études de droit en parallèle de mon travail d’avocat.
 

Cet article est disponible en anglais.

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