L’affaire Salah Hamouri, une occultation française
« Connaissez-vous Salah Hamouri » ?
« Connaissez-vous Salah Hamouri ? ». C’est par cette simple question que le comédien français François Cluzet avait pu, un jour de novembre 2009, à l’heure du repas dominical, interpeller à la fois les médias et les politiques français.
Devant un blond journaliste vedette médusé et un Jean-François Copé, alors porte-parole du gouvernement, passablement gêné, le comédien avait rappelé que « depuis quatre ans, un Français de mère [était] en prison en Israël […] pour délit d’opinion simplement parce qu’il a dit qu’il était contre la colonisation. Personne n’en parle, vous ne savez même pas qui c’est, Monsieur Copé non plus ». C’est par cette interpellation que débute le documentaire « L’affaire Salah Hamouri » réalisé par Nadir Dendoune.
Le propos du film n’est en rien de reprendre le procès attenté à Salah Hamouri par Israël. En 2005, alors âgé de 19 ans, cet étudiant en sociologie à l’université de Bethléem est accusé d'avoir projeté de tuer le rabbin Ovadia Yossef, alors leader du parti israélien ultra-orthodoxe Shas. Autre chef d’accusation, son appartenance au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Seule allusion à ce procès dans le documentaire, l’intervention de Léa Tsemel, avocate du jeune homme. Cette figure reconnue de la défense des droits des Palestiniens indique que « dès le début, ses droits ont été bafoués ».
Après avoir été détenu trois ans sans procès, Salah Hamouri avait dû se soumettre à la procédure particulière dite « du marchandage » ou du plaider coupable pour ne pas passer quatorze ans en prison. Le tribunal militaire l’avait alors condamné à sept ans d’emprisonnement.
Nadir Dendoune tente surtout de comprendre pourquoi le sort de ce jeune franco-palestinien qui a passé sept ans dans les prisons israéliennes a si peu intéressé en France. Une interrogation d’autant plus vive qu’à la même époque, le sort du soldat franco-israélien Gilad Shalit avait fait l’objet d’une intense campagne politique et médiatique pour sa libération. Ce jeune soldat avait été capturé le 25 juin 2006, à la lisière de la bande de Gaza, par des combattants islamistes. Nicolas Sarkozy, alors président de la République, appellera en 2008 personnellement à sa libération tandis que la diplomatie française le considérera comme « le seul Français détenu en otage dans le monde », alors que dans le même temps, Salah Hamouri croupissait encore en prison sans procès. À l’initiative de Bertrand Delanoë, maire de Paris à l’époque, Gilad Shalit sera également fait citoyen d’honneur de la capitale française et son portrait sera affiché sur le fronton de l’hôtel de ville. À sa libération, il sera reçu à l’Élysée.
Gilad Shalit, Salah Hamouri, comme l’illustration du tout et du rien que le documentaire illustre parfaitement, sans parti pris mais en obligeant au questionnement. Deux Français, l’un érigé en cause nationale, l’autre ignoré dans un silence épais, le visible contre l’invisible, le soldat contre le prisonnier politique. Ironie ou pirouette sarcastique de l’histoire, Gilad Shalit retrouvera la liberté fin 2011 en échange de la libération d’un millier de prisonniers palestiniens, dont Salah Hamouri… lequel avait de toute façon presque purgé sa peine.
Ce que montre bien le film de Nadir Dendoune, c’est qu’au final l’affaire Hamouri est une affaire éminemment française, qui révèle comme un palimpseste jauni les ressorts et tabous du pays. C’est ce qu’explique admirablement l’historien Dominique Vidal dans le documentaire : « La France est l’un des pays qui a participé au génocide des juifs. Cela pèse encore dans la réaction du corps politique français […]. Cette culpabilité pèse dans la manière dont les autorités politiques et médiatiques se confrontent au conflit israélo-palestinien ».
Pour Nadir Dendoune, les difficultés mêmes qu’il a rencontrées pour que son projet aboutisse traduisent ce malaise français. Il a dû d’ailleurs, pour le financer, faire appel au crowfunding : « Je savais que ce film ne serait pas simple à faire, à montrer, mais je ne pensais pas que ce serait aussi difficile. J’ai du mal à le faire diffuser ou même simplement à ce que les journalistes à qui j’ai fait parvenir une copie en parlent. C’est une spécificité française. En Suisse ou en Belgique, la question palestinienne est moins épineuse. C’est dommage car je suis persuadé qu’il n’y a rien de pire qu’une parole frustrée », déclare-t-il à Middle East Eye.
« Certains ont peur que cela envenime les tensions entre juifs et musulmans, alors que ce n’est pas la question, poursuit-il. C’est une simple question de justice et de liberté d’expression. Mais je commence à me dire que quand la liberté d’expression concerne la Palestine, ce n’est jamais le bon moment. Cette attitude est contre-productive : plus on évite ce genre de débat, plus on alimente la haine et l’impression qu’il y a deux poids, deux mesures. Les journalistes français semblent tétanisés dès qu’ils entendent le mot Palestine et Israël ».
Une situation confirmée dans le documentaire par l’intervention de deux journalistes. Charles Enderlin, journaliste franco-israélien, remarque ainsi que certains sujets sur la situation imposée aux Palestiniens peuvent déclencher en France « des réactions très vives » du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF) et de l’Ambassade d’Israël notamment, concluant qu’« il est très difficile […] de couvrir la situation palestinienne ». Autre analyse, celle de la grand reporter de France 3 Gwenaëlle Lenoir : « Salah Hamouri avait été arrêté et condamné par un État considéré comme démocratique. […] C’est oublier que le système judiciaire israélien pour les Palestiniens est un système de tribunaux militaires. Et puis Salah Hamouri est un Arabe. On s’occupe moins des Arabes dans les médias français ».
Et maintenant, vers une affaire Elsa Hamouri ?
L’affaire Hamouri est-elle désormais close ? Pas si sûr, si l’on tient compte du fait qu’en mars dernier, le Franco-Palestinien a fait l’objet d’un ordre militaire israélien qui restreint ses déplacements dans les territoires occupés pendant six mois. Une restriction qui empêche de facto cet étudiant en droit à l’université de Birzeit, près de Ramallah, de passer son examen pour devenir avocat.
Récemment, c’est son épouse, Elsa Hamouri, qui s’est vue interdire le retour à Jérusalem après des vacances en France. La jeune femme, enceinte de sept mois, a dû revenir en France après un séjour en détention à l’aéroport Ben Gourion alors qu’elle vit et travaille au consulat général de France à Jérusalem : « Je disposais d’un visa consulaire de service valable jusqu’en octobre 2016. On m’a questionnée sur les raisons de ma venue en Israël et si j’étais mariée. Puis on m’a annoncé que je devais rentrer sur le territoire israélien avec un visa d’épouse et non un visa de service », explique-t-elle à MEE.
Dans la cellule sommaire où elle attendra son expulsion, Elsa Hamouri indique avoir dû protester pour avoir accès à des médicaments qu’elle avait dans sa valise et qu’on ne voulait pas lui donner. « Il a fallu l’intervention du consulat pour que je puisse aussi obtenir du savon et une brosse à dents », ajoute-t-elle.
Un double argumentaire a été avancé par les autorités israéliennes pour justifier cette expulsion : d’abord, Elsa Hamouri aurait menti pour obtenir ce visa de service. « Or ce visa est demandé par le consulat auprès du ministère des Affaires étrangères israélien à qui j’avais fourni mon passeport. Le consulat savait que mon époux est un ancien prisonnier politique et que mon visa d’épouse avait été rejeté », précise la jeune femme. Face à ce refus, la Française avait interjeté un appel suspensif, ce qui lui permettait de circuler sur la base de son visa consulaire de service.
Autre argument avancé par les autorités israéliennes : Elsa Hamouri constituerait une « menace ». « Le ministère israélien de l’Intérieur a fourni un rapport pour justifier de ce rejet de visa d’épouse. Selon ce rapport, je serais un danger pour la sécurité de l’État d’Israël et j’aurais des activités terroristes. Le rapport est vague, monté de toute pièce et vide », affirme-t-elle.
Et la jeune femme d’énumérer les atermoiements et freins administratifs qui avaient de toute façon ralenti la demande de ce visa d’épouse : pièces justificatives sans fin, lenteur dans la réponse, etc.
Pour Elsa Hamouri, pas de doute, la raison de cette expulsion est une simple question politique : « Ils font de moi un appât pour que mon époux me rejoigne en France. Ils font de moi une terroriste pour l’obliger à partir et pour qu’il perde ainsi sa carte d’identité d’habitant de Jérusalem, laquelle est conditionnée au fait d’y vivre. En outre, si l’enfant ne nait pas à Jérusalem, il n’aura pas ce statut de Hiérosolymite et pourrait être expulsé comme moi ».
Le Quai d’Orsay a été saisi et Elsa Hamouri a interjeté appel de la seconde décision de rejet de son visa d’épouse. Elle dit ne demander que la stricte application de son droit à une vie familiale et à résider auprès de son mari à Jérusalem. La jeune femme en est convaincue : « Tout est fait pour présenter la chose comme un problème administratif alors que c’est un problème politique ».
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