La Belgique ferme les yeux sur Molenbeek depuis des années
MOLENBEEK, Belgique – Les rues de ce quartier de Bruxelles ont retrouvé leur calme. Quelques jours seulement après les attentats de Paris et la découverte du fait que de nombreuses personnes impliquées dans leur préparation étaient originaires de Molenbeek, les embouteillages habituels et les vendeurs de rue ont disparu de la sphère publique. Les habitants sont choqués.
Sylvie Vandamme, qui vit à Molenbeek depuis plus de cinq ans, était l’une des rares personnes présentes dans la rue en cette fin de semaine.
« Molenbeek est un quartier malfamé, et l’a toujours été », a-t-elle déclaré à Middle East Eye alors qu’elle accompagnait sa fille à l’école. « Mais je ne voudrais pas vivre ailleurs. La diversité culturelle est précisément ce que j’aime ici. »
Dans la rue principale de Molenbeek, les magasins de mode pour musulmans côtoient les boutiques belges traditionnelles installées depuis des décennies. Sylvie Vandamme est pratiquement une minorité en tant que Belge flamande à Molenbeek, où la majorité de la population est d’origine marocaine, et où les langues les plus fréquemment parlées sont le français et l’arabe.
L’école de sa fille se trouve juste derrière la rue de ce que l’on estime être le bastion des assaillants de Paris. Les autorités pensaient que Salah Abdeslam, 26 ans, s’y cachait après sa fuite de Paris.
Lundi, pendant plusieurs heures, la police a fermé la rue pour évacuer les habitants d’une maison mitoyenne – semblable à la plupart des habitations de cette rue – où elle pensait qu’Abdeslam se cachait, mais sans grand succès. Bien qu’il ait été aperçu à Molenbeek après les attentats de Paris, il semblerait qu’il ait fui à nouveau. À l’heure actuelle, personne ne sait où il se trouve. Après la mort d’Abdelhamid Abaaoud, le « cerveau » des attentats, tué lors d’un raid de la police française à Paris mercredi matin, Salah Abdeslam est le terroriste belge le plus recherché.
Les médias nationaux et internationaux se sont regroupés autour de l’immeuble, consternant certains résidents.
« Molenbeek est un endroit tranquille, on y est même en sécurité, mais il a ses problèmes, comme n’importe quelle autre ville », a affirmé Gérard Lebon, un voisin venu voir les équipes de télévision. « Tout le monde se fiche de Molenbeek. C’est seulement lorsqu’il y a des mauvaises nouvelles que les médias rappliquent. Quand viendront-ils pour raconter des histoires positives ? C’est de ça dont nous avons besoin. »
Gérard Lebon n’est pas le seul à être contrarié. Des chercheurs, travailleurs sociaux et journalistes travaillant à Molenbeek depuis des décennies expliquent que bien que les récents événements aient jeté le quartier sous le feu des projecteurs, il ne s’agit pas de révélations inédites.
« Quand je suis venu la première fois, dans les années 80, Molenbeek était déjà un vivier de la criminalité », a déclaré Johan Leman, président du centre d’intégration Le Foyer.
« La police est en sous-effectif, la population est composée presque entièrement de jeunes et le taux de chômage atteint ici les sommets les plus hauts », a-t-il expliqué, ajoutant qu’il avait averti des dangers à plusieurs reprises et exhorté le gouvernement à investir dans l’intégration du quartier. Il estime que le gouvernement n’a pas fait assez pour empêcher les jeunes de Molenbeek de sombrer dans l’isolement et même la radicalisation.
On le voyait venir
Teun Voeten, photographe de guerre et anthropologue, a vécu à Molenbeek pendant neuf ans avant de déménager, ne pouvant plus supporter les problèmes du quartier. L’année dernière, il a publié un photoreportage sur Molenbeek, le décrivant comme « l’enclave ethnico-religieuse d’une communauté étroite et fermée ».
Si sa prise de position a provoqué des remous dans le voisinage, il n’est toutefois pas le seul à avoir critiqué Molenbeek. Il y a dix ans, la journaliste belge d’investigation Hind Fraihi avait prévenu contre la montée dangereuse du salafisme dans les rues de Molenbeek. Ses avertissements n’avaient pas été écoutés. Au lieu de cela, elle s’était fait insulter par les habitants de Molenbeek, et les politiciens et dirigeants politiques n’avaient pas voulu entendre ce qu’elle avait à dire.
Samedi dernier, alors que Teun Voeten se trouvait à Paris, boulevard Voltaire, près du Bataclan, prenant des photos de la scène de crime, et que des rumeurs concernant l’implication d’une voiture immatriculée en Belgique avaient commencé à circuler, la première chose qui lui était venue à l’esprit avait été : « Molenbeek ».
Cela ne l’a guère surpris quand l’implication de jeunes de Molenbeek a été confirmée. Mais si lui si attendait, comment se fait-il que l’appareil de sécurité de l’État n’a rien pu faire, se demandent certains. Teun Voeten pense que le fait que Molenbeek soit devenu « la capitale djihadiste de l’Europe » s’explique par son infrastructure physique, l’ingouvernabilité de la Belgique et une politique consistant à fermer les yeux sur les problèmes du quartier.
Les suspects des attentats de Paris étaient en effet déjà connus des services de sécurité de l’État belge : tant Salah que son frère, Brahim, avaient été arrêtés cette année après avoir montré des signes de radicalisation, selon Eric Van der Sypt, porte-parole de la police fédérale belge.
Bilal Hadfi, le kamikaze du Stade de France, était lui aussi dans le radar de la police belge depuis janvier, selon le porte-parole du ministre de la Justice du pays.
Les gens du quartier les connaissaient bien, et avaient d’eux l’image de jeunes hommes exemplaires. Aucun d’entre eux n’avait connu la pauvreté ou n’était issu d’une famille dysfonctionnelle. Leur radicalisation semble être survenue sans raisons socio-économiques apparentes.
Leurs voisins et amis ne sont pas les seuls à avoir été surpris. Mohamed Abdeslam, le frère de deux des assassins de Paris, a déclaré aux médias cette semaine qu’il n’avait jamais remarqué quoi que ce soit d’atypique ou d’alarmant.
Beaucoup avaient averti que ce type de chose pourrait arriver à Molenbeek, et le gouvernement actuel, comme son prédécesseur, sont accusés de ne pas avoir pris les menaces suffisamment au sérieux.
« Le régime de Philippe Moureaux [l’ancien maire de Molenbeek] a duré vingt ans – vingt ans à fermer les yeux sur les problèmes », a affirmé Jan Gypers, un conseiller municipal de Molenbeek. « Il n’y avait aucun contrôle, aucun suivi. »
Traduction de l’anglais (original).
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