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La Turquie approuve la super-présidence voulue par Erdoğan dans un référendum aux résultats serrés

Environ 51,2 % des électeurs ont voté en faveur des amendements constitutionnels qui élargiront considérablement les pouvoirs présidentiels
Les partisans du président turc Tayyip Erdoğan célèbrent leur victoire à Istanbul le 16 avril (Reuters)

La Turquie a approuvé ce dimanche une proposition visant à accorder au président des pouvoirs considérablement élargis et à s'écarter du système parlementaire. Le principal parti d'opposition a toutefois déclaré que le scrutin avait été marqué par des irrégularités et a contesté les résultats, qui sont encore non-officiels.

« Je remercie tous ceux qui ont voté, indépendamment de la couleur de leur vote »

- Le président turc Erdoğan

Sur les plus de 50 millions de personnes ayant le droit de vote, 51,2 % ont voté en faveur des réformes, selon les données fournies par l’agence de presse publique Anadolu. Cette décision pourrait marquer un tournant significatif pour le pays.

« Notre nation a agi avec maturité et s’est rendue aux urnes aujourd'hui », a déclaré le président turc Recep Tayyip Erdoğan. « Je remercie tous ceux qui ont voté, indépendamment de la couleur de leur vote. »

Les partisans du président turc Tayyip Erdoğan célèbrent leur victoire à Istanbul le 16 avril (Reuters)

« C'est une décision historique, par laquelle le peuple a voté pour son avenir. Cette réforme administrative est beaucoup plus que ces dix-huit articles, son contenu signifie qu’elle est profondément enracinée », a ajouté Erdoğan.

Il a appelé le Premier ministre Binali Yıldırım et Devlet Bahçeli, le chef du Parti d’action nationaliste (MHP), pour les féliciter.

Dans un discours prononcé au siège du Parti de la justice et du développement (AKP), Yıldırım, qui doit voir sa position abolie selon la réforme, s’est adressé aux fidèles du parti : « Avec ce vote, nous avons ouvert une nouvelle page dans notre histoire démocratique. Merci à la Turquie, merci ma chère nation. Nous remercions tout particulièrement notre président fondateur et leader, M. Recep Tayyip Erdoğan. »

« Avec ce vote, nous avons ouvert une nouvelle page dans notre histoire démocratique »

- Binali Yıldırım, Premier ministre turc

« Cette élection a montré au monde entier la maturité de la démocratie turque. Ce référendum n'a pas de perdant, le gagnant, c’est la Turquie. Il est temps de se rassembler. »

Bahçeli a décrit le résultat comme « un succès important » dans un communiqué.

Le taux de participation était élevé, avec 85,8 % des électeurs exerçant leur droit de vote. La participation était plus faible dans le sud-est du pays, avec des taux avoisinant les 70-75 %.

Des résultats contestés par l'opposition

En réponse, Bülent Tezcan, du Parti républicain du peuple (CHP), qui s'est opposé aux réformes, a déclaré au diffuseur turc CNN Turk : « Tout le monde présente des données qui proviennent de l'agence de presse Anadolu [gouvernementale]. Nos données montrent que le Non prévaut dans divers endroits, beaucoup plus que ne l’a rapporté Anadolu. Ouvrir les urnes et compter les votes sont des choses différentes. »

Erdal Aksünger du CHP a également affirmé que des irrégularités avaient eu lieu dans le comptage des bulletins et a déclaré que son parti contesterait le résultat de 37 % des urnes.

Les partisans du président turc Recep Tayyip Erdoğan célèbrent leur victoire à Ankara le 16 avril (Reuters)

« Les juges de l'élection sont impliqués dans la fraude. Je demande à tout un chacun de ne pas abandonner son poste et de garder un œil attentif », a-t-il déclaré en direct sur CNN Turk.

C'est la première fois que seule l’agence Anadolu publie les résultats d’un vote. Par le passé, l'agence de presse Cihan le faisait également. Cihan a été fermée car elle faisait partie de l'empire médiatique de Fethullah Gülen, un prédicateur basé aux États-Unis qui est accusé d’avoir orchestré la tentative manquée de coup d'État du 15 juillet dernier.

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Dimanche, le chef de la commission électorale a déclaré que le camp du Oui, qui soutient le renforcement des pouvoirs d’Erdoğan, avait remporté le référendum.

« Selon les résultats, c'est le Oui qui a émergé victorieux », a déclaré Sadi Guven, le chef du Conseil suprême des élections (YSK), ajoutant que les résultats définitifs seraient publiés dans les onze prochains jours.

Le parti au pouvoir et ses partisans avaient commencé à célébrer leur victoire avant même que les résultats officiels ne soient divulgués.

Perspectives futures

La question sur laquelle tout le monde se concentrera désormais sera la façon dont Erdoğan utilisera ses nouveaux pouvoirs et s'il optera pour une approche moins conflictuelle avec ceux qui ne partagent pas ses points de vue.

La manière dont il choisit d'aborder les relations avec les pays européens sera également surveillée de près.

Les premiers indicateurs signalent peu d’accalmie dans le ciblage de ses adversaires.

Le président turc Recep Tayyip Erdoğan vote lors du référendum le 16 avril (AFP)

Lors d'un discours de campagne samedi, Erdoğan a déclaré que s'il ferait preuve de compréhension envers ceux qui votent Non, il ne placerait pas les électeurs du Oui et du Non « dans la même catégorie ».

Le changement constitutionnel devrait entrer en vigueur en 2019, mais certaines informations laissent entendre que la date pourrait être avancée.

Alors que certains pensent qu’Erdoğan tentera d'écraser complètement ses adversaires politiques et idéologiques, d'autres suggèrent qu'il pourrait se montrer moins agressif après avoir consolidé ses pouvoirs.

C’est la première fois dans l'histoire de la Turquie moderne que tant de pouvoir est conféré à une seule fonction et un seul homme.

Erdoğan, au pouvoir depuis 2003 – d’abord comme Premier ministre puis comme président –, fait l’objet d’un culte parmi ses partisans à une échelle qui rivalise presque avec le fondateur mythique de la Turquie, Mustafa Kemal Atatürk.

Les plus grandes villes votent Non

Les provinces de l'Anatolie centrale et de la mer Noire, qui sont devenues des bastions de l'AKP au pouvoir, ont voté massivement en faveur d'une présidence exécutive, la plupart de ces provinces approuvant les réformes à 70 % des voix ou plus.

Les partisans du camp du Oui célèbrent leur victoire à Istanbul le 16 avril (Reuters)

Parmi les principaux centres urbains que sont Istanbul, Ankara et Izmir – importants parce qu'ils ont la densité de population et le nombre d'électeurs les plus élevés du pays –, Istanbul a été considérée comme le pivot du référendum.

La ville portuaire occidentale relativement libérale d'Izmir, un bastion laïque où le CHP connaît un certain succès, a voté à 68,7 % contre le projet constitutionnel.

Dans la capitale Ankara, une ville principalement composée de fonctionnaires et de migrants des provinces centrales d'Anatolie, les adversaires des réformes l’ont remporté avec 51,1 % des voix.

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Mais c’est Istanbul, où résident 10 à 11 millions d'électeurs, qui détenait la clé du scrutin. La ville la plus peuplée du pays a rejeté les amendements à hauteur de 51,1 %.

Les banlieues tentaculaires et en continuelle expansion d'Istanbul sont généralement pro-AKP, dans la mesure où la ville continue d'attirer les migrants originaires des autres provinces du pays à la recherche d'emplois et d’opportunités économiques.

D'autres parties de la ville sont plus libérales et ont tendance à voter pour les sociaux-démocrates et les partis et causes de gauche. La population kurde de la ville, considérée comme la plus grande au monde en dehors des régions traditionnellement kurdes (bien qu'aucun nombre exact ne soit disponible), a également une tradition de vote en faveur des partis et causes pro-Kurdes.

L’Anatolie vote massivement en faveur du Oui

Les résultats des provinces centrales d'Anatolie montrent que le camp du Oui l’a remporté de façon convaincante, malgré une campagne active contre les amendements menée par des dissidents du MHP, parti bien implanté dans cette région. Le succès du Oui dans les provinces d’Anatolie centrale et de la mer Noire a contribué à atteindre les 50 % plus 1 vote requis au niveau national.

À Yozgat, le camp du Oui a obtenu plus de 74 % des suffrages et à Cankiri, le Oui a fait un score de 73,4 %.

Les régions du sud-est et de l'est du pays ont voté contre les réformes, mais les chiffres n'étaient pas assez élevés pour affecter le résultat. Près de 60 % des électeurs de ces régions ont voté contre le projet constitutionnel.

On estime que les Kurdes de Turquie représentent 15 à 20 % de la population turque, qui compte 80 millions d'habitants.

Un processus électoral inique

Le processus électoral en amont du référendum a été marqué par l'attrition et l'amertume, le parti pro-gouvernemental accusant tout particulièrement ses opposants d’être des traîtres et des terroristes.

Le résultat est également susceptible d'être remis en question en raison d’un processus électoral souvent décrié comme étant injuste. Les opposants aux amendements n'ont presque pas eu de temps de parole à la télévision, tandis que presque tous les radiodiffuseurs nationaux et locaux – à la fois publics et privés – ont diffusé l’ensemble des discours de campagne en faveur du passage à une présidence exécutive prononcés par le Premier ministre ou le président, en général en direct.

Les résultats officiels seront annoncés par le YSK, qui supervise les élections et les référendums, après avoir traité toute les plaintes.

Il n’est jamais arrivé que le résultat d'une élection ou d'un référendum change après une telle évaluation.

Le personnel électoral compte les scrutins dans un bureau de vote de Turquie le 16 avril (AFP)

Une équipe de suivi de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) était également présente lors du référendum.

La question est désormais de savoir si le calendrier du passage à la présidence exécutive en 2019 sera respecté et qui exercera le pouvoir exécutif final jusqu'à ce moment-là, lorsque le poste de Premier ministre sera supprimé.

Les doutes sur la légitimité du changement constitutionnel suscités par des résultats étroits ont été balayés par Mehmet Uçum, conseiller principal d'Erdoğan, qui a joué un rôle important dans la rédaction des amendements.

Fin mars, Uçum a déclaré à un groupe de médias internationaux, dont Middle East Eye, que la légitimité n'allait pas être un problème, même si la « marge gagnante était de 50 % plus 1 vote », car ce sont les critères établis.

Incidences sur la politique étrangère

À l'échelle internationale, l’intervention de la Turquie dans le théâtre syrien sera parmi les premiers problèmes à régler. Erdoğan pourra maintenant prendre des décisions de politique étrangère plus rapidement, sans les « obstacles » auxquels il était confronté dans le système précédent.

Les relations futures de la Turquie avec les États européens et l'Union européenne seront également surveillées de près. Les tensions entre la Turquie et certains États membres de l'UE se sont aggravées au cours de la campagne référendaire. Les relations se sont fortement dégradées avec les Pays-Bas et l'Allemagne suite au refus de ces pays et d'autres d'autoriser les ministres du gouvernement turc à faire campagne dans leurs pays.

À LIRE : Pourquoi certains États européens ont déclaré la guerre à leur allié turc

Erdoğan a continué d’insister à soutenir les appels populaires en faveur de la réintégration de la peine de mort, affirmant qu'il serait heureux d’organiser un référendum à ce sujet. Il a réitéré cette position dimanche. Cela mettrait fin au processus d'adhésion de la Turquie à l'UE qui dure depuis près de 60 ans.

Erdoğan a même suggéré la tenue d’un référendum sur la question de savoir si la Turquie devrait continuer ses pourparlers d'adhésion avec l'UE.

Malgré toutes les différends politiques entre la Turquie et l'UE, la relation économique entre les deux est importante voire vitale pour chacun.

Traduit de l’anglais (original).

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