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Les femmes détenues de Syrie victimes d’un rejet à vie

Même si elles sont libérées, les Syriennes qui ont été capturées courent le risque d’être rejetées par leur famille dans l’hypothèse où elles se seraient fait violer pendant leur détention
Deux Syriennes sont assises face à la mer dans le port du Pirée à Athènes, le 6 mars 2016 (AFP)
By MEE

Par Noura Hourani et Maria Nelson

AMMAN – Il y a trois ans, les forces de sécurité du gouvernement syrien ont fait éruption au domicile de Reema Barakat, 23 ans, dans la province côtière de Lattaquié, en Syrie.

Quelques minutes plus tard, elle est devenue l’une des milliers de détenus emprisonnés dans les geôles du régime.

Son crime ? Son mari avait fui l’armée de Bachar al-Assad et rejoint l’Armée syrienne libre.

Reema (qui n’est pas son vrai prénom) a passé les dix-neuf mois suivants dans des prisons du gouvernement, avant sa libération dans le cadre d’un échange de prisonniers avec des brigades rebelles. Les trois viols auxquels elle a survécu en détention n’étaient que le début, a-t-elle dit à Syria Direct.

« Quand je suis sortie, j’ai subi une autre injustice, alors que je n’y étais pour rien : mon mari a divorcé et ma société m’a rejetée. »

Le Réseau syrien pour les droits de l’homme (SNHR), une organisation indépendante basée au Royaume-Uni qui recense les abus et violations commis en Syrie, a estimé qu’au moins 117 000 hommes, femmes et enfants ont été arbitrairement arrêtés et détenus depuis le début du soulèvement en 2011.

Selon les conclusions du SNHR, le gouvernement est responsable de la grande majorité de ces arrestations. Ceux qui ont été libérés parlent de torture, de famine et d’agressions sexuelles. On pense que des milliers de personnes sont mortes en détention, tandis que des milliers d’autres sont portées disparues.

La libération de ces milliers d’hommes, de femmes et d’enfants actuellement détenus dans les prisons syriennes est une exigence primordiale de la délégation de l’opposition syrienne participant au troisième cycle de pourparlers de paix qui doivent reprendre à Genève en avril.

Alors que la majorité des personnes arrêtées sont des hommes, les forces de sécurité du gouvernement ont également détenu au moins 7 080 femmes depuis 2011. Le SNHR et le Centre syrien des statistiques et de la recherche, une organisation indépendante, estime que 2 850 sont toujours en détention. Les deux organisations ont documenté les décès d’au moins dix-neuf de ces femmes et filles par torture.

Depuis le début du soulèvement syrien, l’arrestation de femmes met la pression sur les membres de leur famille. Tant le gouvernement que les factions rebelles utilisent régulièrement des femmes comme monnaie d’échange pour récupérer des otages.

Après leur libération, ces femmes peuvent être stigmatisées par la société et faire face au rejet de leurs époux et parents, en raison notamment de la croyance largement répandue selon laquelle les femmes sont violées pendant leur détention.

« Notre société n’accepte pas une femme qui a été détenue », a déclaré Reema à Syria Direct, décrivant sa libération de prison et le subséquent rejet qu’elle a subi. « Je savais, de la façon dont les gens me regardaient, que j’étais finie », a-t-elle ajouté.

« J’avais l’impression que je me faisais de nouveau violer à chaque coup d’œil de pitié ou de dédain. »

« À cause du stigmate associé au viol et à l’agression sexuelle, les gens ont tendance à prendre leurs distances par rapport aux familles de détenues ou d’anciennes détenues », concluait en mai 2015 un rapport du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme (EMHRN), sur la base des témoignages de 53 femmes ayant été incarcérées dans les prisons gouvernementales.

« Quel que soit le nombre réel de cas de femmes violées ou agressées sexuellement – qui sont difficiles à documenter –, cet état d’esprit général a été exploité par les parties au conflit pour déchirer le tissu social en détenant des femmes. »

Il n’y a pas de statistiques fiables sur le nombre de femmes et d’hommes subissant des actes de violence sexuelle aux mains des nombreuses factions belligérantes depuis le début de la guerre, en raison essentiellement de la réticence des survivants à signaler les abus dont ils ont été victimes et d’un manque de confiance en la possibilité d’obtenir justice.

Un rapport du Conseil des droits de l’homme de l’ONU datant de février 2015, qui passe en revue la litanie des violations des droits de l’homme perpétrées par les belligérants, a dénoncé l’usage répandu du viol par le groupe État islamique et les forces gouvernementales syriennes.

« Il a été constaté que des femmes et des filles avaient été violées et agressées sexuellement dans les établissements pénitentiaires du gouvernement », indiquait le rapport, qui énonce également les actes de torture et les agressions sexuelles subis par les hommes et les garçons. « Des représentants de l’État ont commis des viols, un crime contre l’humanité », pouvait-on lire.

Pour les Syriennes comme Reema, la violence d’État interagit avec la stigmatisation par la communauté, les femmes se retrouvant ainsi avec personne vers qui se tourner.

« Notre société condamne une fille à mort juste parce qu’elle s’est fait emprisonner », a résumé Reema.

« Les pressions qui m’entourent ont peint mon monde en noir. Mon mari m’a rejetée, alors même que je m’étais fait arrêter à cause de lui. »

Addiction et agression

La possibilité d’un rejet et de violences envers d’anciennes détenues de la part de la communauté ou de la famille n’est toutefois pas uniquement liée à l’éventualité d’une agression sexuelle, comme dans le cas de Hala Muhammad, 30 ans. 

Arrêtée chez elle en 2012 dans son village de Jableh, province de Lattaquié, pour avoir participé à des manifestations pacifiques et des activités anti-gouvernementales, Hala a passé deux ans en prison. Pendant ce temps, elle a développé une addiction aux antalgiques que certains membres du personnel pénitentiaire donnaient aux détenus après les passages à tabac, a-t-elle expliqué.  

« Au début, je les jetais », a affirmé Hala à Syria Direct, « mais après des mois de tabassage et de torture systématique, votre corps est en loques. Vos blessures s’infectent, la douleur est atroce, nuit et jour. »

« Quand vous en arrivez à ce stade, vous prenez la pilule du salut, pour calmer la douleur. »

Lorsque Hala a été libérée en 2014 dans le cadre d’un échange de prisonniers avec des rebelles de la campagne de Lattaquié, elle a été victime de stigmatisation sociale en conséquence tant de sa détention que de sa dépendance aux analgésiques, a-t-elle raconté.

« La douleur des blessures qui déchiraient mon corps n’était rien en comparaison avec la douleur que je voyais dans les yeux de mon père, de ma mère, de mes amis », a déclaré Hala à Syria Direct depuis la Turquie. « Ils vous jettent des regards qui vous font vous détester et souhaiter tout le temps la mort. »

Finalement, le père de Hala l’a conduite à la frontière avec la Turquie et l’a quittée en lui disant : « Va-t’en, tu es la cause de tous nos malheurs ».

« Je ne suis pas une toxico, ce n’est pas de ma faute », a répondu Hala. « C’est la dernière chose que j’ai dite à mon père. »

Face au manque de soutien de leurs familles et de la société, de nombreuses ex-détenues, qu’elles aient subi ou non des violences sexuelles, sont victimes de « graves traumatismes psychologiques à leur libération, notamment des degrés divers d’anxiété et de dépression, de stress post-traumatique, une perte du sens de la vie et un sentiment de futilité », indique le rapport EMHRN de 2015, mentionnant jusqu’à « la psychose et même le suicide. »

« J’ai internalisé ce rejet », a analysé Reema pour Syria Direct depuis la Turquie, où elle aussi réside actuellement. « J’ai l’impression d’être incomplète et que je ne vaux rien », a-t-elle confié, avant d’ajouter : « Je survis grâce aux calmants et je rejette tous les hommes de la planète. Je pense souvent au suicide. »

Il y a un « besoin énorme de centres de rétablissement » pour aider les anciennes détenues, en « promouvant leur confiance en elles et en les intégrant à la société, en leur donnant les moyens de s’en sortir économiquement et en construisant un pont avec les familles qui rejettent leurs enfants », a déclaré en février le Réseau syrien des femmes.

Ce dernier, composé de militantes et d’organisations syriennes pour les droits des femmes situées à l’intérieur et à l’extérieur de la Syrie, a également souligné l’importance de « protéger les femmes de la violence qu’elles pourraient subir de la part de leur famille. »

« J’ai décidé de recommencer ma vie »

Sans le soutien de leur famille et de leur communauté, tant Hala que Reema doivent se frayer seules un chemin dans la vie.

Pour le moment, Hala cherche à « oublier et recommencer » en Turquie, où elle vit avec des femmes turques et travaille dans un salon de beauté.

« J’ai appris le turc et j’ai décidé de recommencer ma vie », a-t-elle déclaré à Syria Direct. Elle évite les souvenirs du passé et les membres de son ancienne communauté en Syrie.

« Je refuse de vivre avec des Syriens parce que je ne veux pas qu’on me pose des questions sur mon histoire et sur ce qu’il s’est passé. Je me tiens à distance de ceux qui me connaissent. »

Mais son corps, lui, se souvient : « J’ai une douleur dans la colonne vertébrale – j’ai une vertèbre cassée à cause des coups de Kalachnikov que j’ai reçus dans le dos pendant ma détention, ça a aussi un peu affecté ma façon de marcher », a-t-elle indiqué.

Sa blessure a également compliqué sa recherche d’emploi lorsqu’elle est arrivée en Turquie, la rendant temporairement dépendante « des traitements, du soutien et de l’aide des organismes caritatifs ».

Quant à Reema, à sa sortie de prison, les autorités ne lui ont pas restitué son passeport, sa carte d’identité et d’autres documents officiels qui lui avaient été confisqués au moment de son arrestation. Avec un passé de détenue, elle ne pouvait se rendre dans les bureaux gouvernementaux pour demander de nouveaux documents, a-t-elle expliqué, ce qui l’empêchait de rester en Syrie tout en rendant une sortie du territoire extrêmement difficile.

Après avoir finalement réussi à rejoindre la Turquie, ses proches sur place ont insisté sur le fait qu’elle pouvait vivre avec eux uniquement si elle se conformait à toute une série de restrictions, dont l’interdiction de quitter la maison.

« La malédiction de l’emprisonnement me poursuivait hors de Syrie. J’allais devenir otage des idées d’une société patriarcale et étroite d’esprit. Alors j’ai préféré ne pas rester chez eux. »

Aujourd’hui, Reema travaille dans une agence de voyage et économise tout son argent pour « soigner les effets de la torture », qui, a-t-elle reconnu, « réveillent les souvenirs du… viol qui a détruit ma vie ».

Tout comme Hala, Reema évite ceux qui pourraient lui poser des questions sur son passé, et cherche à aller de l’avant.

« Je veux savoir qui je suis et quelle est mon identité à présent », a déclaré Reema à Syria Direct. « Mon rêve est de continuer à vivre, reprendre mes études et oublier le passé. »

« Je sais que je ne serai pas capable d’oublier ce qui m’est arrivé », a conclu Hala, « mais j’espère arriver à vivre à nouveau une vie normale. Je n’ai pas capitulé. »

[Lire l’intégralité de l’interview de Reema Barakat et Hala Muhammad ici (en anglais)]

Cet article a été publié initialement sur Syria: Direct et a été reproduit avec son autorisation.

Traduction de l’anglais (original). 

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