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Les Foyers ottomans : menaçants ou bénins ?

Les actions illégales attribuées aux Foyers ottomans soulèvent des questions : qui soutient ce groupe, et quel est son véritable objectif ?
La couverture du magazine du même nom que le groupe, Osmanlı Ocakları (« Foyers ottomans ») montre son président Kadir Canpolat (à droite) en compagnie du président turc Recep Tayyip Erdoğan, entourés de personnes vêtues d’uniformes de soldats de différentes époques de l’histoire turque

ISTANBUL – Pour une organisation relativement nouvelle, il n’a pas fallu longtemps pour que les Foyers ottomans suscitent un sentiment de peur et de dégoût. Ils se sont retrouvés progressivement sous les feux des projecteurs pour leur implication présumée dans des actes notoires, dont des attaques contre des bureaux de partis politiques et des médias et journalistes indépendants.

Créés en 2009, les Foyers ottomans comptent aujourd’hui près de deux millions de membres à travers le pays. Leur objectif déclaré est de promouvoir un système de gouvernance et un mode de vie ottomans. Leurs dirigeants tout comme leurs membres professent une profonde dévotion au président turc Recep Tayyip Erdoğan et au parti politique dont il est originaire : le Parti pour la justice et le développement (AKP).

Au vu de cette dévotion, beaucoup considèrent les Foyers ottomans comme une force informelle utilisée par l’AKP pour cibler ses adversaires. Toutefois, l’AKP se débat depuis longtemps pour se dissocier des Foyers ottomans et nie tout lien avec le groupe, en particulier sur le plan financier.

Les Foyers ottomans, qui prêchent un puissant mélange de religion et de nationalisme, sont apparus pour la première fois sous le feu des projecteurs lorsque leurs membres ont été repérés lors de rassemblements de l’AKP vêtus d’un voile blanc. Le message était on ne peut plus clair : ils étaient prêts à renoncer à leur vie pour passer sous le commandement d’Erdoğan, leur chef vénéré.

Yılmaz Babaoğlu, vice-président des Foyers ottomans, soutient que leurs actions ont été mal comprises et que le port de ce voile était tout simplement un geste symbolique.

« L’objectif était de montrer notre dévotion à notre chef Erdoğan. Cela ne signifie pas que nous voulons mourir ou tuer quiconque, a expliqué Babaoğlu à Middle East Eye. C’était notre façon de montrer à notre chef à quel point nous apprécions ses efforts pour refaire de nous un grand pays sous l’égide d’une "nouvelle" Turquie. »

« Un nouveau nom, des idées anciennes »

La politologue Nuray Mert estime qu’en termes sociologiques, ce groupe représente pour l’essentiel un nouveau nom pour une idéologie existante et ancienne. Mert explique également qu’il est difficile de déterminer si les Foyers ottomans représentent une menace violente tant que l’on n’en sait pas plus sur leur structure et leur composition.

« Il s’agit uniquement d’un prolongement de la synthèse turco-islamique prônée par la droite turque depuis les années 70 et 80, a indiqué Mert à MEE. C’est une approche irrédentiste de droite et néo-ottomane de l’histoire et de la vie. »

Babaoğlu rejette toutes les allégations d’implication de leurs membres dans diverses attaques collectives survenues au cours des derniers mois, en particulier après les élections législatives de juin qui ont donné lieu à une impasse.

« Nous n’avons pas à répondre à ces accusations totalement mensongères. Le tribunal est le lieu pour répondre à ces allégations, a déclaré Babaoğlu. Nous ne cautionnons pas la culture des attaques collectives et nous n’avons jamais eu recours à de tels moyens. »

Après les élections de juin, une série d’attaques collectives a visé principalement les bureaux des pro-kurdes du Parti démocratique des peuples (HDP). Les mouvements associés au Parti d’action nationaliste (MHP), farouchement opposé à tout processus de paix visant à résoudre le conflit kurde en Turquie, ont été pointés du doigt. Ces mouvements ont des antécédents de recours à la violence de rue comme un moyen pour parvenir à leurs fins.

À l’époque, cependant, même le MHP avait pris ses distances avec ces violences collectives et avait pointé du doigt les Foyers ottomans, qu’il avait accusé d’être une organisation liée à l’AKP.

Au cours de cette même période, entre juin et les élections anticipées de novembre, des locaux de médias indépendants et des journalistes indépendants ont également été attaqués. La réaction léthargique de la police à toutes ces attaques a également poussé des analystes à percevoir un lien entre le parti au pouvoir et les assaillants, qui étaient soupçonnés d’être des membres des Foyers ottomans.

« Nous sommes une organisation apolitique. Notre seul but est de promouvoir la culture ottomane et d’aspirer à un retour aux jours glorieux de la domination ottomane. Nous n’avons rien contre les autres partis politiques, a déclaré Babaoğlu. Si ces autres partis œuvraient au service de notre nation, nous les soutiendrions autant que nous soutenons l’AKP. Ces accusations du MHP sont uniquement dues au fait que nous avons attiré un grand nombre de membres de leurs organisations et occasionné ainsi leurs pertes électorales. »

Dans un autre cas, les Foyers ottomans ont fait l’objet de critiques acerbes lorsque l’ancien chef de leur branche jeunesse d’Istanbul a déclaré dans un tweet souhaiter que le kamikaze qui a tué plus de 30 personnes le 20 juillet dans la ville frontalière de Suruç repose en paix.

« Il a été déchu immédiatement de sa qualité de membre. Il ne faisait pas partie de la direction de l’organisation, il était un simple membre, a indiqué Babaoğlu à MEE. Nous ne croyons pas en une discrimination ethnique ou sectaire. Nous voulons vivre en harmonie, tout comme nous le faisions tous à l’époque ottomane. »

Le groupe a développé une réputation tellement intimidante que même un grand nombre de partisans purs et durs de l’AKP le craignent et le méprisent.

Selon Nuray Mert, il y a une faible différence idéologique entre l’ancienne organisation paramilitaire d’extrême droite des Loups gris et les Foyers ottomans d’aujourd’hui.

« Bien que nous ne connaissions pas l’aspect paramilitaire de ces Foyers ottomans, ces derniers sont similaires aux Loups gris sur tous les autres points. La seule chose dont nous pouvons être sûrs, c’est que cette "nouvelle" Turquie n’est en rien différente de l’"ancienne Turquie" », a-t-elle affirmé.

Une police des mœurs en devenir ?

Un autre sujet de préoccupation consiste à savoir si les Foyers ottomans peuvent marquer le début du processus menant à la création d’une force officieuse cherchant à assurer le respect de l’interprétation de la morale et de la vision du monde partagées par l’élite dirigeante.

« Nous n’avons absolument aucune intention d’interférer avec la vie de quiconque. Nous croyons en la coexistence », a déclaré Babaoğlu, qui n’a toutefois pas tardé à ajouter : « Cela ne signifie pas par exemple que nous promouvrons la consommation de boissons alcoolisées. Pour nous, c’est tout aussi mauvais que les stupéfiants. »

Nuray Mert estime que le rejet pur et simple d’autres modes de vie et d’autres valeurs par ces groupes est dû au fait qu’ils ont été exclus involontairement du processus de transition des premières décennies du XXe siècle, à la fois à la fin du règne de l’Empire ottoman et aux débuts de la république.

« Ces processus de modernisation, de laïcisation et autres se sont produits dans les zones urbaines, excluant ainsi une proportion importante de la population, qui était rurale, tout comme dans les autres pays musulmans, a expliqué Mert. Le dégoût pour tout ce qui est différent des normes admises aujourd’hui par ces groupes conservateurs de droite est essentiellement une réponse à cette exclusion. »

« La longueur des jupes des femmes et les autres questions de ce type ne nous intéressent pas. Il suffit de regarder notre branche féminine. Nous avons tous types de membres. Il y a des têtes couvertes, des têtes non couvertes et tout ce que l’on peut trouver entre les deux », a affirmé Babaoğlu.

La vitesse à laquelle les Foyers ottomans se développent et leur impact sont devenus évidents lorsque le bureau de la présidence a envoyé une note au bureau du Premier ministre le 12 novembre faisant part de son malaise face au fait que le groupe s’attribue des liens étroits avec le président. Le bureau du Premier ministre a par conséquent émis une circulaire à l’intention de tous les ministères du gouvernement le 4 décembre pour les alerter quant à de potentielles tentatives d’approche de la part des membres du groupe.

Babaoğlu insiste sur le fait que les Foyers ottomans n’ont pas de liens officiels avec Erdoğan et l’AKP et qu’ils se financent indépendamment.

« Nous n’acceptons même pas de dons ou de cotisations. Nos financements sont totalement privés. Nous acheminons des fonds de nos entreprises privées pour des activités de bienfaisance », a-t-il soutenu.

« Oui, nous aimons le chef de notre nation, Erdoğan, et son parti, l’AKP. Nous croyons également que les ennemis de l’AKP sont les ennemis de la nation. Mais rien de tout cela ne signifie que nous faisons partie de l’AKP ou que nous attaquons physiquement les ennemis du parti. »

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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