Les Libyens manifestent dans tout le pays contre le gouvernement « défaillant » soutenu par l'ONU
Ce week-end, dans toute la Libye, les habitants sont descendus dans la rue pour manifester contre le Gouvernement d’union nationale (GNA) soutenu par l’ONU et la mission d’appui des Nations unies en Libye (MANUL).
Vendredi, des centaines de personnes ont manifesté à Benghazi pour demander la démission de Martin Kobler, le représentant des Nations unies en Libye et celle de Fayez al-Sarraj, le chef du GNA. Une bombe qui a explosé à proximité des manifestants a entraîné une augmentation du nombre de participants.
« Hier, il y avait des centaines et des centaines de personnes aux manifestations contre Kobler et al-Sarraj », raconte Salem, 23 ans à Middle East Eye. Parmi elles, des participants de haut-rang, dont le ministre de l’Intérieur du gouvernement de l’Est (qui ne reconnaît pas celui d’al-Sarraj), Mohammed al-Mahdani al-Fahri, et le chef de la direction de la sécurité de Benghazi, Saleh Huwaidi.
Malgré la présence d’un hélicoptère et d’un avion à basse altitude pour sécuriser la manifestation, quelqu’un a réussi à placer une bombe à côté d’une ambulance. Il a toutefois été arrêté peu de temps après que l’engin explose, selon Salem.
« Des centaines d’autres personnes sont venues rejoindre la manifestation après l’explosion », relate-t-il. « Ils disaient : ‘’Nous allons mourir aujourd’hui ou demain de toutes les manières, alors nous n’avons pas peur et nous ne risquons pas de partir’’. »
Traduction : « Vendredi à Zentan, manifestation et déclaration pour soutenir les militaires libyens et condamner la dernière ingérence en #Libye par les émissaires des Nations unies »
D’autres manifestations, moins importantes, contre le GNA, ont aussi eu lieu dans d’autres villes en Libye. Certaines, pour condamner la communauté internationale pour sa position sur la récente prise de contrôle de quatre ports pétroliers essentiels pour la Libye par les forces du général Haftar, loyales au gouvernement de Tobrouk.
Le Royaume-Uni, les États-Unis, l’Espagne, l’Allemagne, l’Italie et la France ont publié la semaine dernière un communiqué commun pour condamner la saisie en grande partie pacifique des terminaux, en soulignant que le Conseil présidentiel du GNA était « l’unique responsable » du pétrole du pays. « Les infrastructures pétrolières, la production et l’exportation doivent rester l’exclusivité de la compagnie nationale (NOC) sous l’autorité du GNA. »
« Nous appelons toutes les forces militaires qui se sont dirigées vers le croissant pétrolier à se retirer immédiatement, sans conditions. »
Le communiqué, malavisé, a provoqué une vague de colère dans toute la Libye et, au cours de certaines manifestations, des photocopies de drapeaux des pays ayant participé à cette déclaration ont été brûlés.
La prise des terminaux pétroliers par Haftar, suivie quelques jours plus tard par leur restitution officielle à la NOC, a été bien accueillie par de nombreux Libyens, qui ont vu dans cette opération une opportunité tant attendue pour que les exportations de pétrole – principale source de revenus pour le pays – reprennent.
Depuis deux ans et demi, un seul individu, Ibrahim Jadhran, soutenu par des brigades chargées de protéger les infrastructures liées aux hydrocarbures, gardait les ports pétroliers bloqués, causant une perte de plus de 50 milliards de dollars de revenus à la Libye.
Des millions de dinars auraient été versés à Jadhran par les gouvernements successifs pour tenter de lever le blocus.
« Le succès de la prise des ports pétroliers est un véritable désastre pour le GNA », se désole Ibrahim, un ancien diplomate libyen. « Le GNA a négocié avec Jadhran et lui a donné 34 millions de dinars libyens [22 millions d’euros] pour rouvrir les ports, et voilà que l’Armée nationale libyenne [le bras armé du parlement de Tobrouk] a résolu le problème en une semaine, sans lui donner un seul dinar. »
Tripoli manifeste contre les pannes de courant
Les échecs du GNA à trouver des solutions sur le terrain ont aussi été, samedi, au cœur de manifestations à Tripoli, la capitale. Après une triste fête de l’Aïd el-Adha, gâchée par des difficultés financières et des coupures d’électricité quotidiennes de douze heures alors que la température atteint les 40 degrés, les habitants de Tripoli, frustrés, ont bloqué la principale voie rapide de la capitale provoquant des embouteillages et une grande pagaille dans la circulation.
« L’Aïd devrait être un moment de fête mais cette année, ce fut très difficile », se plaint Salma, une femme au foyer de Tripoli. « De nombreuses familles, aux prises avec des problèmes d’argent, n’ont pas pu acheter de mouton. De plus, à cause de longues coupures d’électricité, la viande a tourné très rapidement. »
Depuis des mois, la Libye souffre d’une grave crise de liquidités, obligeant les gens à faire la queue à l’extérieur des banques plusieurs jours de suite, juste pour pouvoir retirer 400 dinars libyens (260 euros). « Comme je travaille dans une banque, j’ai pu retirer de l’argent pour moi. Nous sommes plus chanceux que la plupart des gens, mais je n’ai pas pu en avoir pour tous les membres de ma famille », confie Mohammed, employé de banque à Tripoli.
« Cette année, notre famille a passé un Aïd très modeste, parce que nous n’avons pas les moyens de le fêter comme d’habitude. »
Traduction : « Tripoli : routes vers Ain Zara, Hashan, Tajoura sont toujours bloquées pour protester contre les coupures de courant prolongées #Libye »
Alors que les températures se sont envolées au-dessus des 40 degrés pendant les congés de l’Aïd, les coupures quotidiennes d’électricité, qui durent d’habitude neuf heures, se sont prolongées jusqu’à douze heures dans certaines régions. Des familles se sont plaintes de n’avoir eu seulement que cinq heures d’électricité entre les coupures. D’autres ont subi des coupures de plus de seize heures. La Libye se bat avec les coupures d’électricité depuis le soulèvement de 2011 mais depuis deux ans, elles ont empiré.
« Ce nouveau gouvernement a déjà échoué », constate Hamed, un homme d’affaires de 59 ans. « S’ils ne peuvent même pas fournir de l’électricité, de l’argent liquide et des services de base aux habitants de la capitale, comment peuvent-ils espérer nous apporter la paix et la sécurité ? ».
Selon Hamed, les problèmes comme les coupures d’électricité devraient être faciles à régler. Alors il spécule : pour lui, ces coupures sont voulues.
« Il y a quelque chose de plus important derrière tout ça. Il y a au pouvoir en ce moment des gens qui veulent voir le peuple libyen souffrir, ne penser à rien d’autre qu’à l’électricité et au manque d’argent dans les banques », assure-t-il.
« Je crois que tout cela est un plan pour que les gens oublient le haut niveau de corruption et le fait que tous ces politiques ne veulent en réalité qu’une seule chose : mettre la main sur l’argent de Kadhafi, toujours bloqué sur des comptes à l’étranger. »
Tahar, directeur d’une entreprise dans le secteur de l’éducation, décrit la situation comme « difficile mais vivable ». Il estime que de nombreuses personnes attendent beaucoup des institutions mais font peu d’efforts elles-mêmes pour améliorer la situation.
« Il est facile de condamner le gouvernement ou d’élaborer des théories du complot mais, soyons honnêtes, nous avons tous les mains dans le pétrin, argumente-t-il. Ceux qui travaillent à leur compte ne paient pas les taxes, la plupart des Libyens ne paient pas leurs factures d’électricité, nous gaspillons régulièrement de la nourriture, de l’électricité et de l’essence et nous jetons nos ordures par les fenêtres. »
Tahar insiste : chacun, et pas seulement l’État, devrait commencer par se sentir responsable à son niveau.
« Les propriétés publiques sont vandalisées et les câbles électriques sont volés. Mais nous espérons avoir de l’électricité et nous voulons que l’internet haut débit soit rapide, constate-t-il. Nous devons être plus responsables sur la façon d’utiliser nos ressources et de traiter notre propre pays. »
Les étudiants ont été obligés de réviser leurs examens la journée sous la chaleur écrasante et la nuit à la lumière des bougies. Sara, 22 ans, étudiante en médecine, raconte que des groupes d’étudiants ont fait campagne pour que les examens de fin d’année soient reportés en raison des conditions de vie et d’études dans la capitale, tout en admettant que les problèmes allaient en s’aggravant.
« La vie est devenue si difficile ici, et tout le monde cherche un moyen de partir », confie-t-elle. « C’est très triste parce que, pour nous, la famille représente tout. Mais nous voulons avoir une chance d’étudier correctement et de construire un futur. Et il semble que cela doit être ailleurs qu’en Libye ».
Traduit de l'anglais (original).
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