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Face à la crise monétaire, les Turcs peuvent compter sur... les Marocains !

La crise monétaire turque a révélé l’exaltation des Marocains pour la Turquie : ils appellent à soutenir la république d’Erdoğan en achetant turc et en boycottant les produits américains
Le 3 juin 2013, Recep Tayyip Erdoğan, à l'époque Premier ministre, entame une tournée officielle de quatre jours au Maghreb par une visite au Maroc (AFP)

RABAT - Entre le Maroc et la Turquie, les liens politiques sont robustes même si parfois cahotés – en 2013, le roi Mohammed VI n'avait pas reçu Recep Tayyip Erdoğan, en visite au Maroc – et les relations économiques et commerciales, denses : le volume des échanges commerciaux entre les deux pays a atteint 2,6 milliards de dollars (2,2 milliards d'euros) en 2016. 

Près de 80 entreprises turques sont installées au Maroc et y ont investi 66 millions de dollars (57 millions d'euros) en 2016. Même s'il existe quelques contentieux commerciaux, liés aux mesures antidumping prises par le Maroc sur des produits turcs (acier, réfrigérateurs, textile, etc.), l'attrait pour le modèle turc est profond, à l'image du soutien populaire dans le sillage de la crise monétaire qui touche le pays.

Un homme regarde un tableau d'affichage d'un bureau de change à Istanbul, en Turquie, le 13 août 2018 (Reuters)

Depuis quelques jours, les réseaux sociaux sont jalonnés d’appels à soutenir la Turquie dans son combat contre « l’impérialisme » et « l’hégémonisme » américains, relayés par des Marocains de différents bords, et d'incitations à boycotter les produits américains et à se ravitailler dans les supermarchés de quartier Bim (enseigne de grande distribution turque). Les hashtags نصرة_تركيا_واجبة# (le soutien à la Turquie est nécessaire) et #إدعموا_الليرة_التركية (soutenez la livre turque) totalisent de nombreux posts sur Facebook et Twitter.

Traduction : « À tous les Marocains du monde, il nous faut soutenir nos frères Turcs. Pour Erdoğan, nous boycotterons Trump. Et nous commencerons par ces trois enseignes (McDonald's, Coca-Cola, Tide) »

Des Marocains résidant à l’étranger sont allés jusqu’à convertir leurs réserves de devises en livres turques.

Traduction : « Les Marocains en Italie, aux Pays-Bas, en Belgique et en Allemagne soutiennent la Turquie dans la guerre économique qui est menée contre elle. Ils ont lancé une campagne de soutien à la livre Turque en convertissant le haïssable dollar. Soutenez la Turquie, soutenez la ouma islamique contre les sionistes »

Pays magnifié par les Marocains, qui opposent son ascension économique à l’inertie de leur pays, la Turquie est considérée par de nombreux ressortissants du royaume chérifien comme un exemple et un modèle à suivre. 

Le discours commun sublime l’identité islamique de la Turquie et ses progrès sociaux et économiques - ces deux facettes n’étant pas présentées comme dissociées et indépendantes l’une de l’autre, mais comme un alliage : en d'autres termes, c’est la « gouvernance musulmane » de la Turquie qui serait à l’origine de son progrès. Pour certains Marocains, donc, la réussite du modèle turc attesterait non seulement de la compatibilité entre islam et progrès, mais de la possibilité que l’islam soit un moteur du progrès. 

Projection sur le modèle turc

Cette perception trahirait une connaissance partiale et distante des réalités de la Turquie. La projection sur le modèle turc « offre à la jeunesse arabe l’exemple d’un pays où gouvernement "islamique", modernité et société de consommation coexistent », mais abstrait « le système de gouvernance et les cadres politique, juridique et administratif dans lesquels ce gouvernement a réussi, caractérisés par tout ce à quoi ce même citoyen arabe s’oppose quand il s’agit de son propre pays, et tend donc à nier tout autre facteur et à attribuer ces réussites à la simple islamité qui inspire toutes les vertus », estime le chercheur marocain Hassane Elayyadi, contacté par Middle East Eye.

Pour certains Marocains, la réussite du modèle turc attesterait non seulement de la compatibilité entre islam et progrès, mais de la possibilité que l’islam soit un moteur du progrès

Considéré comme une victime d’un « complot occidental », le président turc Recep Tayyip Erdoğan fait partie des chefs d’État les plus appréciés au Maroc. Qu’il magnétise autant les Marocains s'explique, entre autres, par le « vide au niveau du leadership politique régional et une conception de la chose politique qui orbite autour de la personne - le leader politique - plutôt que du programme ou du projet. Cette tendance est partagée avec le monde arabe, mais elle est d’autant plus affirmée dans une monarchie séculaire où la personne du roi a toujours constitué l’épicentre de la politique », explique le chercheur marocain Hassane Elayyadi à Middle East Eye.

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« La montée du Parti de la justice et du développement [PJD] au Maroc a induit une inévitable projection sur l’AKP turc », souligne Elayyadi, qui note que « contrairement à des voisins déçus par des mouvements islamistes virulents, le Maroc n’en a jamais fait l’expérience dans son histoire récente comme ce fut le cas en Algérie (avec le Front islamique du salut) ou en Égypte (avec les Frères musulmans et leurs ramifications) et n’a donc jamais eu de désenchantement par rapport à ce type de populisme qui, a priori, est séducteur et semble même révolutionnaire ».

D’autres facteurs sont dégagés par le chercheur pour élucider la fascination de certains envers le modèle turc et Erdoğan. D’une part, « le soft power turc, exercé via plusieurs canaux : séries télévisées, tourisme, bourses d’études, etc. ». De l’autre, des « échecs économiques et politiques » qui stimulent, chez de nombreux Marocains, la « recherche d’un modèle à suivre qui nous ‘’ressemble’’ ». 

Le fantasme ottoman

La proximité ressentie vis-à-vis de la Turquie a été permise par les « effets des politiques d’arabisation et d’islamisation, doublés de choix diplomatiques établis par Hassan II, qui ont graduellement façonné les loyautés et les sympathies du Marocain lambda, contribuant ainsi à exacerber son sens d’identification avec des entités géographiques et socioculturelles plutôt que d’autres dans le monde arabe et islamique », explique encore le chercheur.

Le discours du leader turc, strié de références à une communauté islamique idéelle, en appelle à un imaginaire arabomusulman sanctifié. « Les références multiples et fréquentes d’Erdoğan à l’Empire ottoman se répandent dans l’esprit du citoyen marocain et le réconfortent dans son fantasme d’un "État islamique". Le fait que l’Empire ottoman n’a jamais pu vassaliser le Maroc explique l’absence d’une mémoire (de ce qu’a réellement été le projet ottoman) qui serait susceptible d’inspirer une méfiance, un scepticisme ou un complexe d’infériorité à son égard. Le Marocain a donc plus de chances d’idéaliser le projet d’État islamique à la turque », estime Elayyadi.

« Le fait que l’empire ottoman n’a jamais pu vassaliser le Maroc explique l’absence d’une mémoire qui serait susceptible d’inspirer une méfiance »

- Hassane Elayyadi, chercheur marocain

« La diplomatie agressive et les fréquents coups de théâtre d’Erdoğan » ont également concouru à asseoir son prestige dans le monde arabe, et à l’ériger en champion du combat contre « l’Occident et Israël, à l’égard desquels les citoyens du monde arabe se sentent lésés », analyse le chercheur. 

La perception voulant qu’« Erdoğan venge les musulmans » est très partagée et révélatrice d’un « déni ou d’une méconnaissance profonde de la diplomatie turque qui entretient avec ces pays une relation d’"alliance contestataire" plutôt que d’opposition. »

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