À Mossoul, la bataille pour la vieille ville se joue dans les ruelles du souk
MOSSOUL, Irak – Les radios crépitent pour alerter les forces irakiennes qui progressent dans les ruelles du premier des souks labyrinthiques de Mossoul. Elles les préviennent que les drones au-dessus de leurs têtes ont repéré une voiture piégée de l’État islamique qui fonce vers le front.
Le dispositif explosif improvisé monté sur véhicule (VBIED) a de terrifiantes dimensions : c’est un bulldozer industriel à chenilles, bardé de blindages. Sa lame a été abaissée au ras du sol pour repousser les défenses de l’armée irakienne qui a positionné sur le front chars d’assaut, véhicules blindés et murs de sable.
Les soldats venus en renfort, qui se sont reposés dans les magasins abandonnés dont les rideaux métalliques ont été éventrés pendant les combats, sautent sur leurs pieds, enveloppent leurs épaules de longues bandes de munitions pour leur mitrailleuse et chargent des RPG (lance-roquettes).
Les soldats de la division d’élite Réponse rapide irakienne (ERD), soutenus par les unités de la police fédérale, se battent depuis l’aube depuis la position stratégique qu’ils viennent de reprendre – le souk couvert de Mossoul, au bord du fleuve. Ces forces se sont progressivement déployées en éventail pour investir un maillage de rues étroites menant au vieux souk voisin.
Ces unités venues en renfort sont l’une des armes secrètes de l’ERD : elles se sont reposées pour prendre des forces avant de réagir à la résistance et aux contre-attaques inattendues de l’EI.
Sur la radio, une voix tient les soldats au courant de la progression du bulldozer VBIED : il vient de s’embourber en tentant de franchir un mur de sable dressée près du souk.
Sur la corniche, les forces se rassemblent autour de véhicules militaires. Un jeune soldat charge une roquette dans son RPG-29, une version de plus gros calibre de cette arme autoportée à l’épaule.
Les troupes à proximité se bouchent les oreilles avec leurs mains lorsque le soldat tire sur les ruines de la corniche de Mossoul, autrefois pleine d’acheteurs et de touristes.
Un char Abrams s’avance lourdement quelque part à proximité de l’hôtel Ashour. À quelques centaines de mètres derrière la ligne de front, l’ancien hôtel de luxe cinq étoiles, propriété du gouvernement, a tellement souffert des attaques aériennes à proximité qu’on croirait désormais qu’il est encore en cours de construction.
Le char a beaucoup de difficultés à se faufiler entre plusieurs blindés et l’énorme cratère laissé par une attaque aérienne dans l’étroite bande goudronnée. Après avoir péniblement manœuvré, il parvient à prendre position et se met à tirer un feu nourri.
Le bulldozer est maintenant la cible de tous les tireurs. Plusieurs balles, tirées trop bas, rebondissent du bulldozer de l’armée irakienne et viennent frapper ses propres troupes
Le bulldozer est maintenant la cible de tous les tireurs. Plusieurs balles, tirées trop bas, rebondissent du bulldozer de l’armée irakienne et viennent frapper ses propres troupes, en train de remonter les murs de sable.
« Il arrive, le voilà ! », hurle dans l’urgence un commandant de l’ERD.
Malgré les tirs à l’arme lourde, le bulldozer de l’EI a défoncé le premier mur de sable et progresse lentement vers les forces irakiennes. Au-dessus du bruit assourdissant des tirs d’artillerie, se fait entendre le fracas du coup direct d’un Kornet – missile antichar russe téléguidé. Les soldats irakiens en sont passés maîtres et s’en servent adroitement pour neutraliser les voitures piégées de l’EI.
Enfin, le bulldozer est stoppé net.
Après l’affrontement, les guerriers se reposent
C’est le deuxième bulldozer VBIED que les forces irakiennes ont dû affronter la semaine dernière, pendant qu’elles atteignaient le cœur de la vieille ville de Mossoul, à seulement quelques centaines de mètres devant eux, désormais.
« Celui-ci, nous l’avons neutralisé en abattant le conducteur et nous avons alors pu désamorcer les engins explosifs improvisés [EEI] dont il était rempli », raconte à Middle East Eye le capitaine Ferras, de l’ERD.
Mars 2017 : les soldats de l’ERD entrent dans le souk couvert, sur la rive du fleuve dans la vieille ville de Mossoul (MEE/Tom Westcott)
Il montre du doigt le bulldozer, rendu presque méconnaissable sous ses blindages métalliques pare-balles et les barres de fer dont il a été bardé pour dévier le feu ennemi.
« S’il avait explosé, la déflagration aurait été colossale ».
Le sinistre véhicule est désormais immobilisé entre un mortier irakien et des roquettes artisanales (IRAM).
À l’entrée du marché couvert tout poussiéreux, un commandant de l’ERD s’arrête pour informer les soldats que le bulldozer de l’EI a enfin été neutralisé. La nouvelle est accueillie dans un silence de mort et par quelques hochements de tête. D’implacables tirs de mitrailleuse, tirés par les deux camps, ricochent autour du souk couvert. Les guillerettes sonneries des téléphones mobiles des soldats résonnent étrangement dans ce décor.
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Quelqu’un évoque des souvenirs de sa jeunesse passée à Mossoul.
« Juste à côté du fleuve se trouvait un énorme casino, entouré de nombreux cafés et restaurants de luxe », se souvient-il en montrant du doigt la corniche.
« Un grand nombre d’Occidentaux descendaient à l’hôtel Ashour et nous les regardions déambuler dans le quartier. Des gens de grande taille, peau claire et cheveux blonds. C’était comme s’ils sortaient des films. »
La plupart des hommes fument sans arrêt dans un silence lugubre. Un jeune agent de la police fédérale fredonne une chanson à voix basse et bat la mesure en frappant le sommet d’un RPG avec l’anneau ouvragé qu’il porte à un de ses doigts.
Air saturé par les tirs de missiles et les coups de feu
Un capitaine de l’ERD hurle dans le souk que plusieurs VBIED ont été repérés avant de sauter dans un Humvee et de dépasser les troupes en direction du front.
Accompagné d’un autre véhicule, il tente de rejoindre un petit groupe de soldats de l’ERD qui ont demandé des renforts par radio. Le groupe a avancé en profondeur dans le vieux souk mais s’est retrouvé piégé à l’intérieur d’un bâtiment, sous le feu de plusieurs tireurs embusqués de l’EI, soudain devenus actifs.
On ne sait plus quelle direction ont pris les VBIED récemment repérés. L’EI vient de s’en prendre à la ligne de front le long du fleuve par une série de tirs de mortiers et de RPG. Ils ne sont visiblement pas à court de munitions.
Alors qu’il avait servi de refuge pendant presque toute la journée, le souk couvert n’est subitement plus sûr quel que soit le côté où on se trouve. Du côté de la ville, les derniers soldats de l’ERD qui restent montent les escaliers quatre à quatre pour sortir du vieux souk, enjambant les corps de plusieurs combattants de l’EI abattus pendant la bataille de la matinée.
Sur la corniche, les soldats se lancent dans la bataille, laissant dans l’attente une poignée de policiers fédéraux, dissimulés sous l’auvent du souk.
L’air est saturé par les tirs de missiles et les coups de feu. Les tirs de mortiers de l’EI pleuvent autour du souk couvert et font trembler les volets criblés d’impacts. Toutes les vitres ont été brisées depuis longtemps et les derniers éclats de verre s’écrasent bruyamment dans les couloirs encombrés de gravas. Un tir de mortier mal ajusté tombe au milieu du Tigre, faisant jaillir une trombe d’eau haut dans le ciel.
Le feu intense des tireurs embusqués siffle dans les rues étroites
Il s’avère que le bulldozer de l’EI constituait la première vague de ce qui s’est désormais transformé en une féroce contre-attaque, puisqu’un tir de barrage aux RPG se déchaîne sur la ligne du front. Étonnement, l’ennemi n’a, sur la corniche, opposé qu’une faible résistance aux militaires irakiens. Les combattants de l’EI avancent dès que cessent les bombardements des avions militaires irakiens et de la coalition, qui ont endommagé les bâtiments occupés le long du fleuve par l’EI. Mais le groupe de véhicules blindés qui vient de s’engager sur le front est tout d’un coup devenu vulnérable.
« Ali, Ali. Braque ton véhicule dans l’autre sens », crie un commandant à l’un des Humvees sur le front, près du mur de sable. Le conducteur n’entend rien à cause du tir d’artillerie. Quand, enfin lui parvient l’ordre, il recule et heurte violemment un autre véhicule.
Le Humvee s’enflamme et toutes les munitions de mitrailleuse dont il est chargé se mettent à exploser
Le moteur d’un Humvee encaisse un tir de RPG dans une énorme explosion. Il s’embrase. Un soldat se précipite, ouvre les lourdes portes et en extrait les occupants qui sortent en titubant : toujours sous le coup du vertige de l’impact, ils parviennent à atteindre en chancelant la sécurité relative du souk couvert. Une épaisse fumée s’élève du moteur. Le commandant ordonne en criant d’éteindre le feu mais personne n’ose s’approcher de ce qui est devenu un dangereux foyer d’explosions.
Le projectile d’un RPG tiré de manière aléatoire de l’autre côté du fleuve s’invite dans le chaos de la ligne de front. Il provient de Mossoul-Est, libéré il y a presque deux mois, mais où les forces de l’antiterrorisme terrorisme irakien neutralisent régulièrement encore des cellules dormantes. L’arme n’explose pas. D’autres RPG tirés des positions de l’EI, depuis l’intérieur du souk et autour, tombent sur le front.
Lorsque s’enflamme le Humvee, toutes les munitions dont il est chargé se mettent à exploser. Une balle vient frapper un soldat au visage. Il est en sang, et s’écarte en chancelant du nuage de fumée noire.
Dans le chaos provoqué par l’explosion, un tireur d’EI, embusqué en haut du minaret d’une mosquée, vide ses chargeurs dans une rue étroite autrefois tranquille de vieux souk. Le tireur de Daech attendait visiblement son heure, car tous les soldats doivent nécessairement passer par là pour se replier dans le souk couvert.
Début de la bataille
Aujourd’hui, la féroce contre-attaque d’EI n’a entraîné que de faibles pertes – un Humvee et quelques blessés légers – mais elle a réussi à stopper temporairement la progression des forces terrestres.
Les soldats ont tout de même gagné, de haute lutte, environ 400 mètres de terrain, et l’avancée peut donc déjà être qualifiée de succès.
C’est le début de la bataille, si longtemps attendue, pour reprendre la vieille ville de Mossoul-Ouest, dont les rues étroites et sinueuses restreindront l’utilisation de véhicules blindés. La plupart des avancées se feront donc à pied.
Tandis que de lourds nuages de pluie s’amoncellent au-dessus du Tigre, les troupes s’activent à renforcer leurs positions sur le front, et se préparent aux combats de la nuit qui tombe.
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabiès.
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