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Omar el-Béchir : traqué par la CPI, accueilli à Alger comme un ami

Alger, qui rejette la logique d’une justice internationale, reçoit le président soudanais poursuivi pour crime de guerre, crime contre l’humanité et génocide
Abdelaziz Bouteflika reçoit Omar el-Béchir (capture d’écran du JT algérien du lundi 12 octobre 2015)

S’il y a bien une chose sur laquelle l’Algérie n’aime pas être chatouillée, c’est le droit international. C’est donc un peu comme chez lui qu’Omar el-Béchir est arrivé à Alger dimanche pour une visite d’État de trois jours, à l’invitation d’Abdelaziz Bouteflika. Et peu importe que le président soudanais, au pouvoir depuis 1989, soit le seul chef d’État en exercice poursuivi par la Cour pénale internationale (CPI) pour « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité » depuis 2009 et pour « génocide » depuis 2010. Car l’Algérie n’a jamais signé ni ratifié le Statut de Rome, fondement juridique de la création de la CPI.

Méfiance vis-à-vis du droit international

D’abord parce qu’en 1998, quand le Statut de Rome est adopté, l’Algérie sort à peine de la guerre civile. « Elle ne pouvait donc pas y adhérer. Aller dans le sens de la justice internationale supposait que des agents de l’État, encore aujourd’hui soupçonnés de violations massives des droits de l’homme pendant la décennie noire, soient un jour passibles de poursuites internationales », explique un représentant d’une ONG algérienne à Middle East Eye.  

D’où la frilosité d’Alger, qui interprète chaque invitation à ratifier des conventions de droit international comme une agression. La passionaria trotskiste algérienne, Louisa Hanoune, leader du Parti des travailleurs, représente bien ce courant d’opinion. Quand le général-major Abdelkader Aït Ourabi, dit « Hassan », patron de la lutte antiterroriste dans les années 90, a été arrêté en août dernier sur fond de désaccord avec le chef d’État-major Ahmed Gaïd Salah, elle s’était inquiétée que l’on « jette en pâture un responsable d’une telle pointure, exposé à un jugement à la CPI ».

Ensuite, pour Alger, le refus de grandes puissances comme les États-Unis – mais aussi la Russie – de signer le Statut de Rome est un argument-clé. « Washington préfère conclure des accords bilatéraux pour assurer l’impunité de ses soldats et garantir l’impossibilité de poursuites, et milite même contre l’adhésion des pays à la CPI », révèle un cadre des Affaires étrangères algériennes à MEE.

« Lors de rencontres à l’ONU ou à Washington, des diplomates américains nous ont approchés pour nous inciter à conclure des accords bilatéraux, ce que nous avons bien sûr refusé. »

Enfin et surtout, parce que « l’Algérie a toujours été méfiante vis-à-vis du droit international, élaboré à l’époque où elle – et d’autres pays – étaient colonisés », ajoute Fatiha Benabbou, professeur de droit et constitutionnaliste, sollicitée par MEE. « Elle considère donc que les règles qui ont été élaborées l’ont été sans sa volonté politique, voire à son désavantage. »

L’ex-sénateur Abdelmadjid Djebbar, dans sa thèse de doctorat publiée en 2000, La politique conventionnelle de l’Algérie, rappelle que « dès 1963, le représentant légal de l’Algérie précisa en termes clairs devant la 6e commission des Nations unies lors des discussions sur le droit des traités : ‘’L’Algérie a été victime des doctrines traditionnelles du droit international qui était fait pour servir les intérêts des puissances coloniales en justifiant les conquêtes et les traités inégaux.’’ »

Pour appuyer la démonstration, un cadre des Affaires étrangères explique : « En 2006, pendant la guerre contre le Liban, quand nous avons proposé de communiquer une liste de responsables israéliens auteurs de crimes de guerre à la CPI, et que le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a été appelé à qualifier de ‘’crimes’’ les agissements d’Israël contre le Liban, rien n’a été fait ».

L’ancien ministre et diplomate algérien Abdelaziz Rahabi, pourtant un opposant au régime, va dans le même sens. « Si la CPI avait été une cour juste, si elle avait adopté une position juste sur la question palestinienne, oui, j’aurais été choqué que mon pays reçoive Omar el-Béchir. Mais comme ce n’est pas le cas, je fais complètement abstraction de ce détail », a-t-il déclaré à MEE.

« En revanche, je n’ai jamais compris cette fascination pour le Soudan, qui fait partie de tous nos agendas diplomatiques ! »

« Relations fraternelles » entre l’Algérie et le Soudan

Si ce n’est pas pour soutenir son plus prestigieux capitaine d’industrie, Isaad Rebrab, qui souhaite acquérir des terres au Soudan, ou pour s’allier avec Khartoum contre l’Égypte dans la gestion du dossier libyen, alors pourquoi Alger entretient-elle de si bonnes relations avec un président aussi peu fréquentable aux yeux de la communauté internationale ?

« Abdelaziz Bouteflika et Omar el-Béchir s’entendent bien, mais je crois que cette relation est un héritage des années 70 », indique Abdelaziz Rahabi. Le Premier ministre Abdelmalek Sellal a même parlé ce lundi de « relations fraternelles ».

« À l’époque, Gaafar Mohamed Nimeiry, un militaire soudanais couvert de médailles alors qu’il n’avait jamais fait de guerre, un personnage un peu à la Kadhafi qui semblait tout droit sorti d’un film, venait régulièrement en Algérie. Ce vieil intérêt de la diplomatie algérienne pour le Soudan s’est perpétué. Quand Abdelaziz Belkhadem était ministre des Affaires étrangères [de l’Algérie], il se rendait aussi très souvent à Khartoum. »

Dans ce concert de voix unanimes, pourtant, d’autres tentent de se faire entendre. Comme celle de Salah Dabouze, président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, qui appelle l’Algérie à reconnaître la CPI. « Je suis même favorable à l’idée qu’un citoyen qui s’estime victime d’un préjudice puisse saisir un tribunal international, même si sa plainte n’est pas recevable », précise-t-il à MEE.

« On ne peut pas lancer des appels à la CPI quand Israël agresse les Palestiniens et la trouver partiale quand elle se retourne contre des dictatures locales. » 

Dans l’entourage du président Bouteflika, on assure en tout cas que cette visite n’a rien d’une « provocation ». « Rappelez-vous que la CPI a abandonné ses poursuites contre le président kenyan Uhuru Kenyatta, accusé de crimes contre l’humanité », relativise un conseiller de la présidence interviewé par MEE.
 
« La communauté internationale a compris qu’il valait mieux négocier avec les pouvoirs en place que chercher à les renverser. Le Soudan était un pays important pour la stabilité de la sous-région. Il possède beaucoup de terres, de ressources et peut jouer un rôle dans la lutte anti-terroriste. Et l’Algérie est en ce moment un médiateur qui compte… »
 
Les deux seuls cas de justice impliquant des Algériens dans le cadre de la compétence universelle se trouvent en Suisse et en France. En 2011, l’ex-général et ancien ministre de la Défense Khaled Nezzar est brièvement interpellé à Genève suite à une plainte de ressortissants algériens pour « torture ». Il a depuis accepté de se rendre plusieurs fois en Suisse et la procédure suit son cours.
 
Et à Nîmes, dans le sud de la France, deux anciens Patriotes (civils armés par l’État contre les islamistes) sont eux aussi poursuivis pour « actes de torture » après le dépôt d’une plainte, en 2003, par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et la Ligue française des droits de l’homme. 

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