Pour François Hollande, il y a « un problème avec l’islam » en France
Le titre est plus qu’anecdotique et sonne comme une admonestation à l’égard de François Hollande. « Un président ne devrait pas dire ça… », semblent estimer les deux journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, qui au cours de 61 rencontres et 10 dîners ont recueilli la parole présidentielle.
La France a « un problème » avec l’islam
Et qu’y trouve-ton ? Des considérations diverses sur sa compagne Julie Gayet, les footballeurs de l’équipe de France qualifiés « de gosses mal éduqués à vedettes richissimes », la « lâcheté » de la magistrature, et surtout des observations sur la question qui obsède la France : l’islam.
D’abord, François Hollande ose un constat nouveau dans sa bouche : « Qu’il y ait un problème avec l’islam, c’est vrai. Nul n’en doute », déclare-t-il dans le livre. « Aujourd’hui, l’islam est utilisé par certains comme une revendication politique, idéologique voire terroriste de déstabilisation des démocraties et de la République française. On ne va pas non plus faire comme s’il n’y avait pas de problème : il y a un problème. En même temps il faut être capable de le surmonter. »
Pourtant fidèle à sa réputation d’homme du compromis, d’aucuns disent « du flou », François Hollande ajoute : « Ce n’est pas l’islam qui pose un problème dans le sens où ce serait une religion qui serait dangereuse en elle-même, mais parce qu’elle veut s’affirmer comme une religion dans la République. Après, ce qui peut poser un problème, c’est si les musulmans ne dénoncent pas les actes de radicalisation, si les imams se comportent de manière antirépublicaine ».
« En quoi je pose problème à la France ? Et pourquoi ne pourrais-je représenter Marianne avec mon voile sur la tête ? », s’étonne Amel
Plus loin, on retrouve des propos sur « la femme voilée d’aujourd’hui » qui sera « la Marianne de demain ». Et toujours dans cette dialectique hollandiste de la synthèse, le président poursuit : « Si on arrive à lui offrir les conditions pour son épanouissement, elle se libérera de son voile et deviendra une Française, tout en étant religieuse si elle veut l'être, capable de porter un idéal […] Quel est le pari que l'on fait ? C'est que cette femme préférera la liberté à l'asservissement […]. Que le voile peut être pour elle une protection, mais que demain elle n'en aura pas besoin pour être rassurée sur sa présence dans la société ».
Tempête, de gauche à droite
Dès que les bonnes feuilles du livre ont filtré dans la presse, les réactions politiques ont été vives. Marine Le Pen, présidente du Front national, a ouvert la salve en se disant « affligée » et se demandant « quand travaille » le président. « Comment le président de la République trouve autant de temps à accorder aux journalistes ? », a demandé la dirigeante du parti d’extrême-droite, faisant référence au goût semble-t-il trop prononcé du président pour les rencontres avec les journalistes, jusqu’à y consacrer pour certains commentateurs étonnés « un tiers de son temps ».
« Il explique clairement que pour pouvoir être française, il faut être dévoilée. [...] Les Français musulmans aspirent à porter un projet politique, comme n’importe quels citoyens », Feïza Ben Mohamed, porte-parole de la Fédération des Musulmans du Sud
Chez les Républicains, la possibilité que la femme voilée puisse incarner l’allégorie républicaine Marianne n’a pas plu non plus. Bruno Le Maire, candidat aux primaires républicaines, a ainsi assené via les réseaux sociaux que « hier comme demain, Marianne ne sera jamais voilée ! ». Guillaume Larrivé, député très proche de Nicolas Sarkozy, a quant à lui assené qu’« en France, nous refusons la soumission des femmes à la régression ».
Du côté du Parti socialiste, l’heure est au déminage délicat. Le premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, a ainsi estimé que « tout ceci n’intéresse pas forcément l’ensemble des Français ». Il est vrai que selon les derniers sondages, le chômage, première préoccupation des Français, arrive loin devant la question de l'identité.
Les musulmans de France réagissent entre résignation et colère
Du côté des musulmans rencontrés par Middle East Eye, l’heure est à la distance résignée. Ainsi, Amel, 38 ans, hausse de façon perceptible les épaules en prenant connaissance des propos de François Hollande : « Encore une polémique qui vise les musulmans. C’est tous les jours désormais. Il n’y pas d’islam, il y a des musulmans. En quoi je pose problème à la France ? Et pourquoi ne pourrais-je représenter Marianne avec mon voile sur la tête ? », s’étonne cette maman voilée.
À la Fédération des Musulmans du Sud, le ton est moins léger. Sa porte-parole, Feïza Ben Mohamed, interroge ces propos « choquants » qui, « en période électorale et en plein état d’urgence et de menace terroriste, pointent du doigt une religion tout en prônant dans le discours public le vivre-ensemble et le refus de l’amalgame. Hollande ne tient pas un discours de cohésion », analyse-t-elle pour MEE.
« Je ne sais pas à quoi joue la classe politique française », poursuit cette habitante de Nice, théâtre d’un attentat sanglant revendiqué par Daech le 14 juillet dernier. « Il explique clairement que pour pouvoir être française, il faut être dévoilée. Comme s’il y avait un modèle unique d’être française. Si l’islam gêne, c’est que les musulmans deviennent visibles. Les Français musulmans aspirent à porter un projet politique, comme n’importe quels citoyens. »
Une manœuvre électoraliste qui « sème les germes de la guerre des civilisations »
Chez certains analystes, la réaction va au-delà du simple mécontentement. Ainsi de Pierre Tevanian, professeur de philosophie et auteur de Dévoilements. Du hijab à la burqa, les dessous d'une obsession française, qui met en cause le discours hasardeux de François Hollande : « Il est problématique d’ériger une religion en problème. Ou alors, il faut dire que la France a un problème à accepter et traiter avec égalité les musulmans », indique-t-il à MEE.
« Hollande opère une déchéance de nationalité de la femme voilée qui ne sera française que si elle obéit », Pierre Tevanian, philosophe
L’essayiste condamne surtout les propos du président sur le voile et Marianne : « La femme voilée ne sera la Marianne que si elle se dévoile. Elle devra obtempérer aux diktats vestimentaires d’un homme, du parlement. C’est sa liberté qui est bafouée. Dans cette phrase, [Hollande] opère une déchéance de nationalité de la femme voilée qui ne sera française que si elle obéit. Or majoritairement, les femmes voilées sont françaises. Pas étrangères. C’est une façon encore d’exclure une partie de la population du corps national. C’est exactement ce que dit le Front national ».
Nacira Guénif, professeure de sociologie et d’anthropologie à l’Université Paris VIII, dresse un constat similaire : « Hollande dessine la figure d’une femme musulmane qui serait à sauver. C’est le même discours que celui des néoconservateurs qui ont plaidé pour la guerre en Irak ou en Afghanistan sous prétexte de sauver les femmes de l’homme musulman englué dans l’obscurantisme.
« Les femmes voilées, pour leur majorité, n’ont pourtant pas de problème d’identité et vivent paisiblement leur voile. Hollande transforme en mirage orientaliste ce voile pourtant vécu par certaines comme un processus d’émancipation. Dans la société française, l’oppression ne vient pas du voile mais du discours public, des pratiques du marché du travail », déclare-t-elle à MEE.
« Hollande est en campagne et se vautre dans les propos les plus populistes », Nacira Guénif, sociologue
Une volonté de provoquer ? Une maladresse ? Un désir de s’inscrire dans la perspective d’une élection présidentielle pour laquelle François Hollande semble décidément prêt à tenter sa chance ?
Par ses remarques sur l’islam, le président français a-t-il voulu flatter les passions identitaires qui crispent la société française, tout en faisant œuvre de rassemblement dans le même mouvement ?
Oui, selon Nacira Guénif, qui souligne que « Hollande est en campagne et se vautre dans les propos les plus populistes. Visiblement, il a complètement changé de position et est sorti de sa posture de président. Il fait ce que la gauche n’a cessé de faire depuis 30 ans, c’est-à-dire courir après les thèses du Front national pour les acclimater à gauche. Mais cela ne marche pas ».
Si le président français, très probable candidat à sa réélection, a sans doute saisi les deux tendances qui semblent dominer la société française – obsession de l’islam et désir de rassemblement –, son éternel tropisme du milieu semble donc le rendre inaudible, voire dangereux, pour Nacira Guénif : « Il alterne entre la flatterie des anxiétés identitaires et la volonté de sauver les apparences de gauche. Il est en pleine schizophrénie. Alors qu’il ne cesse de dire que la France ne va pas prendre part à la guerre des civilisations, il est très clairement en train d’en semer les germes ».
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