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Présidentielles au Mali : IBK, candidat favori dans un pays à reconstruire

Le destin présidentiel d'Ibrahim Boubacar Keïta, qui devrait être réélu ce dimanche, sera en partie déterminé par sa capacité à résoudre les problèmes sécuritaires du Mali, où les islamistes armés gagnent du terrain dans un contexte compliqué par de nouvelles violences intercommunautaires
Un Casque bleu de la MINUSMA, la force des Nations unies déployée au Mali, patrouille dans les rues de Gao, au nord du pays, en août 2018 (AFP)

L’issue de l'élection présidentielle au Mali pourrait bien être un remake de celle de 2013.

Il y a cinq ans, le scrutin s’était joué à deux tours et il avait opposé les deux candidats qui s’affrontent aujourd’hui, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), chef du Rassemblement pour le Mali (RPM) et président sortant, et Soumaïla Cissé (Soumi pour ses partisans), chef de file d’une des principales formations de l’opposition malienne, l’Union pour la république et la démocratie (URD).

Au premier tour du vote, Ibrahim Boubacar Keïta a terminé largement en tête avec 41,70 % des suffrages

Comme à l’époque, leur duel ultime pourrait se terminer par la victoire d’IBK et la confirmation du résultat  obtenu contre son adversaire, lors de leur première confrontation.

Au premier tour du vote, M. Keïta a terminé largement en tête avec 41,70 % des suffrages, davantage que les 41,42 % qu’on lui a attribués auparavant lors des premières estimations. M. Cissé qui a vu ses accusations de « fraude » et d’« irrégularités » rejetées par la Cour constitutionnelle du pays, le 8 août dernier, est arrivé deuxième avec un score de 17,78 % après avoir été accrédité de 17,80 % de voix.

Le président sortant Ibrahim Boubacar Keïta s’apprête à voter le 29 juillet 2018 au premier tour de l’élection présidentielle (AFP)

À moins d’un retournement de situation spectaculaire, la posture du candidat d’opposition ne devrait pas s’améliorer et son combat final ne devrait pas le conduire ailleurs que sur le terrain du bilan d’une brillante carrière africaine et internationale effectuée en partie dans les arcanes du pouvoir, deux fois brutalement contrariée cependant. 

Lors de la présidentielle de 2002, il avait perdu face à Amadou Toumané Touré (renversé par le putsch de 2012 et retiré de la vie politique depuis). Lors de celle de 2013, il n’a pas résisté au raz-de-marée d’IBK, (77 % des suffrages), et s’est contenté d’un honorable 22 %.  

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Et même si son concurrent – et futur vainqueur probablement – s’amuse de sa pleine forme physique à 73 ans, Soumaïla Cissé, 68 ans, est bel et bien en situation de passer le relais, éventuellement après les législatives de novembre prochain, un autre rendez-vous électoral décisif pour l’avenir immédiat du Mali.

Très combatif en course et dans le bref entre-deux-tours, le leader de l’URD n’a pas réussi à ériger le front anti-IBK dont lui et ses partisans ont rêvé après les démonstrations de colère et la manifestation organisée à Bamako le 7 août pour dénoncer la présumée fraude. 

Forte atomisation

Il s’est retrouvé isolé au milieu d’une opposition qu’il n’a pas pu fédérer après avoir réussi un moment à rassembler la plupart des vaincus du premier tour pour dénoncer le « hold-up électoral » dont ils se sont dit victimes.

Cette déception historique a désormais une date, le jeudi 9 août, lendemain de la proclamation des résultats officiels du premier tour par la présidente de la Cour constitutionnelle, Manassa Danioko. 

« Remplacer Ibrahim Boubacar Keïta par Soumaïla Cissé, un simple jeu de chaises musicales »

- Aliou Diallo, arrivé troisième au premier tour

Le candidat et homme d’affaires Aliou Diallo, arrivé troisième au premier tour et crédité de 8,03 % des suffrages, et l’ancien Premier ministre de transition Cheikh Modibo Diarra, quatrième avec 7,3 %, ont annoncé ce jour-là ne pas donner de consignes de vote. « Ni l’un ni l’autre », ont-ils déclaré, tournant le dos au « large front démocratique » que M. Cissé a appelé de ses vœux pour battre Ibrahim Boubacar Keïta.

« Je ne peux faire davantage que d’inviter les Maliens à penser à leur avenir », a déclaré M. Diallo, les laissant libres de leur choix alors qu’il s’était affiché à plusieurs meetings anti-IBK. 

Un manifestant brandit une pancarte lors d’un meeting rassemblant les candidats de l’opposition à Bamako, le 7 août 2018 (AFP)

« Remplacer Ibrahim Boubacar Keïta par Soumaïla Cissé, ce n’est pas l’alternance, ce n’est pas le changement », s’est exprimé sentencieusement avant lui Cheikh Modibo Diarra. Pour l’astrophysicien, il ne s’agit « ni plus ni moins que d’un simple jeu de chaises musicales ».

Pour un acte de victoire avant l’heure, il n’y a pas mieux que celui que les deux ténors ont délivré à IBK, qui avait reçu, avant leur rejet de toute idée de mobilisation pour Soumaïla Cissé, le soutien symbolique mais franc de Kanté Djénéba Ndiaye.

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La seule candidate au scrutin (0,39% des voix) a été dernière des 24 candidats dont beaucoup – les Maliens s’en souviennent – ont été ministres du quinquennat du président sortant ; et semblent ne s’être pas trop préoccupés de leur responsabilité dans le caractère bigarré et dispersé de la classe politique.

Dans un contexte marqué par la faiblesse des corps militants partisans, les allégations répétées d’achat de voix, un taux de participation de 43,06 % au premier tour (moins de la moitié des huit millions d’électeurs maliens n’a pas voté) et l’avertissement d’une plus grande abstention au second tour, le destin présidentiel d’Ibrahim Boubacar Keïta devrait ainsi se poursuivre à cause de cette forte atomisation. 

Attaques islamistes et violences communautaires

Il s’accomplira toutefois sans le plébiscite des urnes de 2013 alors que son parachèvement dépendra de ses capacités à négocier ainsi qu’à résoudre les problèmes de son pays, à l’image de l’étendue et de la complexité des difficultés observées au Sahel.

Parmi ces chantiers, celui épineux de l’insécurité qui a déjà impacté le déroulement du scrutin et peut encore le menacer : 3,5 % des bureaux de vote n’ont pas ouvert à cause des violences, principalement dans les régions de Mopti, de Ségou (centre) et de Tombouctou (nord). Le gouvernement malien a reconnu lundi 6 août que quelque 245 888 électeurs « n'ont pas pu voter pour diverses raisons ». Il a publié une liste de 871 bureaux de vote où le scrutin n'avait pas pu se tenir.

Ce dimanche, la sécurité sera renforcée avec 20 % de militaires en plus sur le terrain, afin de remédier aux « faiblesses » relevées lors du premier tour, a indiqué samedi l'entourage du Premier ministre.

La force des Nations unies déployée au Mali a perdu depuis 2013 quelque 170 soldats de la paix soit plus de la moitié des Casques bleus tués sur cette période dans le monde

C’est moins qu’aux dernières élections communales où 8 % des bureaux de vote sont restés fermés à cause d’attaques menées par des islamistes armés, mais cela se passe dans un pays qui connaît un embouteillage sécuritaire sans précédent et qui agace fortement le voisin algérien, persuadé par « la menace djihadiste » à ses portes et rongé par la vieille inquiétude suscitée par la présence de puissances étrangères, celle de la France notamment.  

La force des Nations unies (MINUSMA) déployée au Mali compte 140 000 hommes dont désormais 250 Canadiens. Depuis ses débuts en 2013, elle a perdu quelque 170 soldats de la paix, dont 104 dans des actes hostiles, soit plus de la moitié des Casques bleus tués sur cette période dans le monde.  

Un militaire français de l’opération Barkhane lors d’une patrouille dans le centre du Mali en novembre 2017 (AFP)

Déployé dans d’autres pays sahéliens comme le Niger, le Tchad et le Burkina Faso, le dispositif français Barkhane (4 500 hommes) y est fortement présent. S’y ajoute l’embryon de la force du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad).

Face à cette présence militaire internationale, le bilan reste, pour l’instant, mitigé. L’accord de paix signé à Alger en 2015 par le gouvernement et l’ex-rébellion à dominante touarègue – que le président sortant peut revendiquer légitimement – a marqué une grande avancée. Son application accumule pourtant les retards.  

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Les entraves qu’elle subit profitent aux groupes islamistes dont le rayon d’action s’est propagé du nord vers le centre et le sud du Mali, puis au Burkina Faso et au Niger voisins, sur fond de nouvelles violences intercommunautaires, qui compliquent davantage la donne.

Dans le centre du Mali, ces violences se multiplient depuis trois ans entre Peuls, traditionnellement éleveurs, et les ethnies bambara et dogon, pratiquant majoritairement l'agriculture. Depuis janvier 2018, la MINUSMA a recensé une centaine d'« incidents de violence intercommunautaire qui ont fait au moins 289 morts parmi les civils », selon un bilan de l'ONU publié le 17 juillet. 

En avril 2017, plusieurs groupes (Ansar Dine, al-Qaïda au Maghreb islamique, al-Mourabitoune) se sont fédérés en un Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans au Maghreb islamique, sous la direction du Malien Iyad al-Ghali (capture d’écran)

Une nouvelle attaque avait entraîné la mort de dix-sept civils peuls le 25 juillet dernier. Le 9 août, au moins onze civils peuls ont été enlevés et tués dans la région de Mopti au cours d'une attaque attribuée à des chasseurs de l'ethnie dogon, tolérés voire encouragés par les autorités ou l’armée.

On le constate, le pays reste fortement troublé et fracturé territorialement : une réalité qui, dans l’ordre des enjeux cruciaux qui le concerne, lui et ses voisins, fait passer sa sécurité avant l’économie et le développement dont le financement dépend des bailleurs de fonds internationaux très attentifs aux efforts de stabilisation. 

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