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Sahara occidental : pourquoi l’affaire de Guerguerat n’est pas encore terminée

Depuis plus de six mois, la zone tampon entre le Sahara occidental et la Mauritanie est le théâtre de tensions entre le Maroc et le Front Polisario. Explications
Nouveau matériel de combat présenté en mars dernier à Brahim Ghali, président de la République arabe sahraouie démocratique et du Front Polisario le 9 juillet 2016 (@Jalil_SH)

L’annonce a été faite ce lundi : l’émissaire de l'ONU pour le Sahara occidental, Christopher Ross, a présenté sa démission après huit ans passés à tenter de régler le conflit entre le Maroc et le Front Polisario, mouvement indépendantiste sahraoui. Ce dernier a annoncé dimanche qu'il resterait positionné dans une zone contestée du sud-ouest du Sahara occidental dont l'armée marocaine a annoncé son retrait fin février. Vous ne comprenez pas grand chose à ce qui se passe dans cette région d’Afrique du Nord ? Le décryptage de Middle East Eye.

Comment ont commencé les tensions ?

En août 2016, l’armée marocaine entame la construction d’une route goudronnée au-delà du mur de sable marquant la frontière entre la partie du Sahara occidental occupée et contrôlée par le Maroc et celle « libérée » par le Front Polisario, bâti sur près de 2 500 kilomètres.

Derrière ce mur se trouve une zone considérée comme une zone tampon entre le Sahara occidental et la Mauritanie, un no man's land de quelques kilomètres carrés au milieu des dunes près de la côte atlantique.

Traduction : La frontière marocaine avec le Sahara occidental est un mur de sable appelé « le mur », ceinturé par des mines pour arrêter les soldats du Front Polisario

Dans les faits, des militaires ont donc été déployés au-delà du territoire contrôlé par le Maroc. Officiellement, le royaume dit « vouloir lutter contre la contrebande ». Il souhaite aussi assurer, selon les propos du roi, « garantir la fluidité du trafic » vers la Mauritanie grâce à cette route, essentielle pour ses échanges avec l'Afrique subsaharienne.

En réponse, le Polisario a depuis multiplié incursions et patrouilles dans la zone, qu'il considère comme faisant partie de ses « territoires libérés ». « En 1991, quand la Minurso est arrivée après le cessez-le-feu, il n'y avait pas de route, ni en bitume, ni en piste », a expliqué Mhamed Khadad, un membre de la direction du Polisario à l’AFP. « C'est simple, il n'y avait aucune brèche dans le mur. Nous demandons le respect du cessez-le-feu ».

Que fait l’ONU ?

Peu après le début des travaux de goudronnage, le 28 août, un document confidentiel des Nations unies transmis au Conseil de sécurité soulignait que le Maroc et le Front Polisario avaient violé l’accord de cessez-le-feu signé en 1991 en déployant des éléments armés.

L'ONU a demandé aux deux parties d'évacuer la zone, où elle maintient une force de paix, la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO), comptant environ 250 casques bleus chargés notamment de surveiller le cessez-le-feu.

Le 24 février, selon un communiqué du cabinet royal, Mohammed VI a, lors d’un entretien téléphonique avec Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU « attiré son attention sur la situation grave dans la région de Guerguerat en raison des incursions répétées des éléments armés du Polisario et de leurs actes de provocation ». Toujours selon ce communiqué, « Ces actes se sont produits avec préméditation un mois avant le retour du Maroc à l’Union Africaine, afin de créer la zizanie et tenter, en vain, de torpiller ce processus ».

Le lendemain, le porte-parole d’Antonio Guterres s’était dit « profondément préoccupé par l’accroissement des tensions » sur place et avait appelé les deux parties « à retirer au plus vite et de manière inconditionnelle tous les éléments armés de la zone tampon, afin de créer un environnement propice à la reprise du dialogue dans le contexte du processus politique mené par les Nations unies ».

Faut-il voir un lien entre la situation à Guerguerat et la démission de Christopher Ross ?

« Si la divergence de vues entre Guterres et Ross au sujet du Sahara occidental est évidente, rien ne permet de dire que c’est Guerguerat qui a eu raison de lui », analyse pour MEE un diplomate algérien en évoquant la démission de l’envoyé spécial des Nations unies au Sahara occidental, devenue officielle ce lundi.

Traduction : « #SaharaOccidental, Feltman déclare au moment du choix de l’AG que Chris Ross a écrit une lettre à @AntonioGuterres avec sa démission »

Une autre source diplomatique algérienne, contactée par MEE se dit persuadée que « le retrait marocain a été négocié avec contrepartie avec l'ONU. Les Marocains veulent faire les yeux doux à Guterres pour qu'il nomme quelqu'un de plus acquis aux thèses marocaines à la place de Christopher Ross, l’envoyé spécial pour le Sahara occidental qui était donné partant ».

Le site d’information marocain Le Desk rappelle que la diplomatie marocaine, « échaudée par ce qu’elle considère comme un alignement ‘’de neutralité passive’’ aux positions du Département d’État, a depuis longtemps fait savoir sa préférence pour un médiateur qui ne serait pas américain. »

Les relations entre Christopher Ross et Rabat ont en effet souvent été houleuses. Ancien ambassadeur américain à Alger et Damas, il a été durement critiqué par le Maroc qui l'accusait d'être partial en faveur du Front polisario, soutenu par l'Algérie. 

Cette stratégie a d’ailleurs été révélée par les « WikiLeaks marocains » en 2014, dans lesquels un fax du représentant du Maroc auprès des Nations unies à New York faisaient état d’une volonté d’« isoler Ross, l’affaiblir et le pousser dans ses derniers retranchements au sujet de son agenda caché sur le Sahara ». 

Pourquoi à nouveau un malaise ?

Parce que si le Maroc a annoncé le 26 février qu’il allait procéder à « un retrait unilatéral de la zone » de Guerguerat « afin que la demande du secrétaire général [de l’ONU] soit respectée », le Front Polisario a déclaré lundi 5 mars, qu’il allait rester positionné dans la même zone. « Nous restons sur place tant que persiste la violation manifeste du cessez-le feu et de la zone tampon », a indiqué à l'AFP Mhamed Khadad, un membre de la direction du Polisario.

Au lendemain de l’annonce marocaine, un communiqué du Polisario avait déjà donné le ton : « La décision marocaine de faire reculer, de quelques centaines de mètres, ses troupes près de Guerguerat est de la poudre aux yeux et cache mal le mépris de Rabat pour la légalité internationale ».

Après le retrait des soldats marocains, les sites pro-sahraouis ont diffusé une vidéo de véhicules 4x4 du Polisario, paradant sur la route contestée avec des hommes armés à bord.

Quels sont les risques de confrontation ?

« Compte-tenu du fait que les Marocains se sont retirés, les tensions actuelles relèvent davantage de la démonstration de force du Front Polisario », estime une source du côté algérien. Mercredi dernier, le trafic routier dans la zone contestée avait même repris normalement. Les chauffeurs de poids lourds marocains disent ne plus être inquiétés par ces éléments armés du Polisario qui patrouillaient dans la zone, a rapporté une télévision locale.

Mais cet apaisement n’est peut-être que provisoire. « Comme le Maroc a aussi déclaré vouloir coûte que coûte construire cette route [les travaux avaient été interrompus cet hiver après des incursions du Front Polisario] vers la frontière mauritanienne, on peut penser que cette affaire n’est pas terminée ».

Le 2 mars, Ahmed Boukhari, le représentant du Front Polisario auprès de l'ONU a insisté que le fait que « le problème n'est pas Guerguerat, mais l'absence d'un processus de paix que le Maroc a sapé ». « En l’absence d'un processus de paix sérieux tel que demandé par la dernière résolution du Conseil de sécurité, l'épisode de Guerguerat peut se répéter à tout moment. »

Sur terrain, Abdullahi Lehbib, le « ministre de la Défense » du Front Polisario, le mouvement compte 25 000 combattants et « tout Sahraoui », homme ou femme, est « mobilisable ».

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