Sur des marchés de Ryad, les limites de la « saoudisation » de l’emploi
Le royaume saoudien a longtemps compté sur la main d’œuvre étrangère dans les secteurs du commerce et des services, à la fois pour des raisons de compétences et de coûts.
Et de nombreux Saoudiens, habitués aux largesses de l’État providence, considèrent ces emplois comme dégradants.
Sur le marché de Tiba, la politique appelée « saoudisation à 100 % » et appliquée depuis décembre a abouti à des résultats plus que mitigés. Certaines joailleries ont fermé, d’autres font face à une pénurie d’employés saoudiens.
« Quand je pars à la recherche d’un emploi, les propriétaires de magasins disent : ‘’Nous ne voulons que des Saoudiens, des Saoudiens, des Saoudiens’’ »
- un Yéménite récemment licencié
« Les Saoudiens découvrent ces emplois et doivent acquérir de l’expérience », explique le propriétaire d’un magasin, Fayez al-Hardi, qui a fait venir des parents pour remplacer temporairement des vendeurs yéménites qualifiés dont il a été contraint de se séparer.
De nombreux commerçants de Tiba et d’un autre souk visité par l’AFP peinent à recruter des Saoudiens, dont certains pensent que tout leur est dû.
Ces derniers refusent de travailler de longues heures ou tôt le matin et même ceux qui n’ont pas d’expérience exigent un salaire double comparé aux étrangers qualifiés.
« Cela tue notre entreprise », affirme le propriétaire d’une autre bijouterie en montrant une pile de CV de Saoudiens recrutés. Les meilleurs d’entre eux, dit-il, ne sont restés que deux jours.
« Quand je pars à la recherche d’un emploi, les propriétaires de magasins disent : ‘’Nous ne voulons que des Saoudiens, des Saoudiens, des Saoudiens’’ », déplore un Yéménite fraîchement licencié.
40 % de jeunes chômeurs
La « saoudisation » fait partie d’un plan de restructuration de l’économie du royaume qui dépend encore trop du pétrole. Le plan, intitulé Vision 2030, vise notamment à réduire la masse salariale dans le public et à dynamiser l’emploi dans le secteur privé.
Les médias font souvent l’éloge d’une nouvelle génération de Saoudiens qui, pour la première fois, travaillent comme mécaniciens, chauffeurs ou employés de stations-service.
Dans un pays où la moitié de la population a moins de 25 ans, des statistiques montrent que le taux de chômage des jeunes oscille autour de 40 %.
Près des deux tiers des Saoudiens sont employés par le gouvernement et la masse salariale du secteur public et les allocations représentent environ la moitié de toutes les dépenses publiques.
Les autorités cherchent à réduire le déficit budgétaire en étendant la « saoudisation » à de multiples secteurs.
En janvier, le gouvernement a ajouté la vente de pièces d’automobiles, d’appareils électroniques, d’équipements médicaux et de mobiliers de maison à sa liste d’emplois réservés aux Saoudiens.
« Il faudra une décennie ou plus pour que la main d’œuvre saoudienne change de culture et qu’émerge une classe de Saoudiens prêts à travailler dans les services, le commerce de détail et la construction »
- Karen Young, chercheuse à l’Arab Gulf States Institute
Le journal Okaz a rapporté que des agences de location de voitures avaient fermé à Ryad, faute de main d’œuvre locale.
Cette politique, qui s’accompagne de nouvelles taxes pour les expatriés et leurs familles autrefois exemptés d’impôts, a provoqué un exode des étrangers, qui représentent un tiers de la population.
Des statistiques montrent que plus de 300 000 cols bleus, des travailleurs qui sont généralement des étrangers, ont perdu leur emploi dans le pays au cours des neuf premiers mois de 2017.
« Paresseux »
La « saoudisation » a suscité de vifs débats sur les réseaux sociaux, les partisans de cette politique exigeant des chances égales avec les non Saoudiens et critiquant les offres d’emploi en ligne ciblant les travailleurs qualifiés d’Asie et d’ailleurs.
Le chômage ne baisse pas pour autant chez les nationaux, notent des experts.
« Il faudra une décennie ou plus pour que la main d’œuvre saoudienne change de culture et qu’émerge une classe de Saoudiens prêts à travailler dans les services, le commerce de détail et la construction », estime Karen Young, chercheuse à l’Arab Gulf States Institute à Washington.
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Le système appelé « Nitaqat » impose aux entreprises des quotas d’employés saoudiens pour bénéficier d’incitations.
Mais pour remplir ces quotas, certaines sociétés embauchent des Saoudiens et leur versent de petits salaires pour qu’ils restent chez eux, affirment des chefs d’entreprises et des experts.
« Des employeurs disent que les jeunes Saoudiens et Saoudiennes sont paresseux et ne veulent pas travailler », écrivait en décembre le commentateur Mohammad Bassnawi dans le quotidien Saudi Gazette.
« Nous devons d’abord changer la perception que les jeunes Saoudiens et Saoudiennes ont du travail. »
Par Anuj CHOPRA, à Ryad
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