Trente ans après la première Intifada, les Palestiniens tirent de nouvelles leçons du passé
BETHLÉEM – Alors que le monde est resté incrédule devant la reconnaissance américaine de Jérusalem comme capitale d’Israël, les Palestiniens ont commémoré le 30e anniversaire du début de la première Intifada.
Mais trois décennies plus tard, de nombreux Palestiniens estiment que la situation n’a jamais été aussi grave qu’elle ne l’est actuellement. Puisque environ 70 % des Palestiniens sont âgés de moins de 30 ans, la période de la première Intifada pourrait sembler lointaine – pourtant le soulèvement reste important dans la conscience palestinienne, certains espérant qu’il puisse inspirer un nouveau mouvement populaire contre l’occupation israélienne.
« Le feu couve sous les cendres »
Le 8 décembre 1987, un camion de l’armée israélienne heurte des Palestiniens dans le camp de réfugiés de Jabaliya, dans la bande de Gaza, tuant quatre personnes.
L’incident, considéré par les Palestiniens comme une attaque délibérée, est largement reconnu comme l’étincelle qui a déclenché l’Intifada, ou « soulèvement ».
« En Palestine ou ailleurs, plus les gens sont sous pression, plus ils se soulèvent, et plus ils résistent »
- Khawla al-Azraq, membre du Fatah - Conseil Révolutionnaire
« L’Intifada fut une grande surprise pour tout le monde », a déclaré à Middle East Eye Abu Ahmad, un résident du camp de réfugiés de Dheisheh en Cisjordanie occupée, qui a participé à la première Intifada.
« La situation économique en Cisjordanie à l’époque était relativement bonne, et peut-être même meilleure que dans beaucoup d’États voisins. La pression exercée par l’occupation sur le peuple était moindre que ce qu’elle est de nos jours et visait plus directement les organisations révolutionnaires palestiniennes. »
« Mais soudain, Israël, le monde entier et – plus important encore – les Palestiniens découvrent qu’un feu couve sous les cendres sans que personne ne l’ait remarqué jusque-là », a-t-il ajouté.
Abou Ahmad, qui avait 22 ans lorsque l’Intifada a éclaté, a rejeté la croyance populaire selon laquelle l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a orchestré le mouvement depuis sa naissance.
« L’OLP a entendu parler de l’Intifada en même temps que les habitants du Zimbabwe », a-t-il déclaré.
« Elle en a été surprise comme tout le monde, et, en fait, elle a joué un rôle négatif en essayant de prendre le contrôle de l’Intifada. »
Pour le professeur israélien Ido Zelkovitz, qui dirige le département des études du Moyen-Orient au Max Stern Yezreel Valley College en Israël, « tous les signes » indiquaient une vague d’agitation imminente – des protestations grandissantes dans les universités palestiniennes, une crise financière au début des années 1980. Pourtant, le gouvernement israélien n’était pas préparé à un scénario dans lequel les civils palestiniens se soulèveraient spontanément.
« Le fait que le gouvernement israélien n’était pas prêt pour cette résistance populaire a donné aux Palestiniens un avantage initial et les a aidés à créer cette direction locale alternative tout en défiant la vieille garde de l’OLP et du Fatah », a déclaré Zelkovitz.
La « vieille garde », a-t-il indiqué, « était davantage centrée sur la résistance armée et diplomatique, sans prendre en considération les besoins des Palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ».
Sens de l’unité
Les caractéristiques les plus frappantes de la première Intifada ont été son grand succès populaire et le sens d’unité ressenti au sein de la société palestinienne.
« Ce fut, de mon point de vue, une période incroyable », se souvient Khawla al-Azraq, membre du Fatah – Conseil révolutionnaire.
« C’était un vrai combat parce que c’était populaire, tout le monde était impliqué, ce que nous faisions avait un sens », a-t-elle affirmé à MEE.
« J’étais enceinte à l’époque mais je m’en fichais – j’allais à des manifestations, je jetais des pierres, je participais à des activités de solidarité pour soutenir les familles de prisonniers et de martyrs. Tout mon temps était consacré à cette lutte quotidienne. »
« J’étais enceinte à l’époque mais je m’en fichais – j’allais à des manifestations, je jetais des pierres, je participais à des activités de solidarité »
- Khawla al-Azraq, membre du Fatah - Conseil Révolutionnaire
Azraq s’est souvenue comment les Palestiniens ont pris les choses en main – non seulement via des manifestations, des boycotts et des grèves, mais aussi en dirigeant des écoles et des cliniques clandestines au mépris de la répression israélienne sur l’éducation palestinienne.
Alors que la première Intifada est en grande partie pacifique, la réaction officielle israélienne est tout le contraire. Le ministre israélien de la Défense de l’époque, Yitzhak Rabin, qui a reçu le prix Nobel de la paix en 1994, a encouragé les forces israéliennes à « briser les os » des manifestants palestiniens.
« Encore aujourd’hui, je n’arrive pas à oublier les images de soldats israéliens à la télévision utiliser des pierres pour briser les os des jeunes, c’était terrible », a déclaré Azraq, soulignant que des politiques similaires étaient encore actuellement appliquées par l’armée israélienne.
Abu Mahmoud, un autre habitant de Dheisheh, a été emprisonné aux côtés d’Abu Ahmad lors de la première Intifada.
Tous deux ont décrit les tortures et les violences dont se servaient les forces israéliennes contre les détenus palestiniens à l’époque – médecins et gardiens battant des prisonniers nus avec des matraques et des fusils, transferts entre prisons pendant lesquels l’intérieur du véhicule de transport de prisonniers était « complètement rougi par le sang ».
Cependant, les niveaux extrêmes de violence utilisés contre les Palestiniens se sont retournés contre Israël, ont rapporté les deux hommes.
« Nous avons rendu à l’occupation sa forme naturelle, c’est-à-dire sans fard. Elle est redevenue une pure occupation militaire contre un peuple occupé », a déclaré Abu Ahmad.
« Ces Palestiniens qui pensaient que les Israéliens étaient impartiaux et qu’ils ne les agressaient pas, une fois leurs enfants battus ou détenus, ou leurs maisons détruites, nous les retrouvions avec nous lors de la manifestation du lendemain… L’occupation était la plus grande source d’incitation elle-même. »
Trente plus tard, l’espoir demeure
Après six longues années, l’Intifada a finalement abouti aux accords d’Oslo de 1993 et à la création ultérieure de l’Autorité palestinienne (AP), une institution destinée à servir de gouvernement de transition avant la création d’un État palestinien autonome. L’accord était considéré par beaucoup comme un succès fondamental après des années de lutte.
« Oslo a aidé les dirigeants palestiniens à parler à la communauté internationale, à négocier, à faire beaucoup de sensibilisation et à faire en sorte que les gens du monde entier soutiennent nos droits », a déclaré Khawla al-Azraq. « Mais pendant ce temps, la situation sur le terrain s’aggravait pour les Palestiniens. »
Presque 25 ans plus tard, l’AP est toujours en place, mais de plus en plus impopulaire, et les politiques israéliennes – expansion des colonies, blocus de Gaza, mur de séparation illégal en Cisjordanie – ont fait perdre espoir à de nombreux Palestiniens.
« Israël a tout fait, mais il n’a pas été capable de briser la volonté du peuple palestinien [pendant l’Intifada]. C’est Oslo qui l’a brisée »
- Abu Ahmad, emprisonné pendant la Première Intifada
« Aujourd’hui, je crois que personne ne soutient Oslo à part ceux qui bénéficient d’Oslo, ceux qui bénéficient de l’existence continue de l’AP », a déclaré Abu Ahmad.
« Israël a tout fait, mais il n’a pas été capable de briser la volonté du peuple palestinien [pendant l’Intifada]. C’est Oslo qui l’a brisée. L’impact d’Oslo sur la volonté des Palestiniens a été deux fois pire que celui des Israéliens. »
« En 1987, il y avait des Palestiniens et l’occupation », a expliqué Abu Mahmoud.
« Catégoriser les gens était facile : vous étiez soit avec le peuple palestinien, soit contre le peuple palestinien. Mais aujourd’hui, il y a les Palestiniens, l’AP et l’occupation. L’existence de l’AP au milieu est un problème énorme pour cette génération. »
La première Intifada conserve néanmoins une grande importance dans la conscience collective palestinienne, surtout chez les jeunes, qui continuent à considérer cette période de leur histoire comme une source d’inspiration pour tout futur mouvement populaire contre l’occupation.
« Pour la [plus jeune] génération, la première Intifada est comme un beau poème », a ajouté Abu Mahmoud.
« Ils ne peuvent pas l’évaluer comme je le fais, avec ses points positifs et négatifs, là où nous avons réussi et là où nous avons échoué. Ils la voient comme une très belle image. »
Abu Ahmad dit avoir toujours l’espoir que les jeunes palestiniens réussissent là où la génération de la première Intifada a échoué.
« Nous avions un beau rêve à l’époque, mais nous ne pouvions pas le comparer au monde extérieur, parce que nous ne pouvions pas voyager, nous n’avions pas Internet », a-t-il observé.
« Cette génération, en revanche, elle a vu le monde, elle a voyagé, elle a étudié, elle a la technologie entre ses mains et elle sait bien l’utiliser. Ils ont une véritable volonté de résister. La véritable volonté, c’est cela qui triomphe. »
Le contexte actuel n’a fait que remettre au premier plan la notion de soulèvement populaire, alors que le leader du Hamas, Ismaël Haniyeh, a appelé jeudi à une nouvelle Intifada en réponse à la décision de Trump concernant Jérusalem.
« Nous avons besoin d’une nouvelle Intifada […] Cela doit ressembler à la première Intifada en ce sens que cela doit être une Intifada populaire »
- Munther Amira, chef du Comité de coordination de la lutte populaire
« Nous avons besoin d’une nouvelle Intifada », a déclaré à MEE Munther Amira, le chef du Comité de coordination de la lutte populaire (PSCC), lors d’une manifestation dans la ville de Bethléem jeudi contre la décision américaine.
« Cela doit ressembler à la première Intifada en ce sens que cela doit être une Intifada populaire, et je conseillerais à mon peuple de la mener de façon non-violente », a-t-il ajouté. « Ils [Israël] possèdent le pouvoir, mais nous possédons nos corps.
« Nous pouvons élever la voix, nous pouvons changer l’histoire par la non-violence et nous continuerons à lutter contre cette occupation, d’une manière aussi similaire que possible à ce que nous avons fait pendant la première Intifada. »
Al-Azraq était plus prudente quant à la probabilité qu’un mouvement similaire se produise aujourd’hui, pointant les obstacles qui s’opposent actuellement à un mouvement palestinien à grande échelle.
« N’importe quelle Intifada, n’importe quelle révolution a besoin d’un bon leadership, fort et doté d’un programme clair qui soit soutenu par le peuple », a-t-elle déclaré. « Mais aujourd’hui, le peuple palestinien ne fait pas confiance à ses dirigeants. »
Elle reste toutefois positive.
« En Palestine ou ailleurs, plus les gens sont sous pression, plus ils se soulèvent, et plus ils résistent », a-t-elle déclaré. « Je pense que la révolution est toujours à l’intérieur des gens et je crois que cela continuera. Je ne sais pas si nous réussirons au cours de mon existence ou celle de mon fils, mais nous devons garder espoir. »
Traduit de l’anglais (original).
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