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Ukraine contre Syrie : comment MBZ a imaginé un incroyable accord entre Trump et Poutine

Lors du sommet Poutine-Trump à Helsinki le 16 juillet, les deux hommes discuteront des dossiers syrien et ukrainien. Ils feront peut-être plus que discuter, en évoquant un accord proposé par le prince héritier émirati, selon les révélations du New Yorker
Mohammed ben Zayed, prince héritier d'Abou Dabi (AFP)
By MEE

« Vladimir Poutine pourrait être intéressé de résoudre le conflit en Syrie en échange de la levée des sanctions imposées en réponse aux actions de la Russie en Ukraine ». Telle est la proposition qu’aurait susurré Mohammed ben Zayed (MBZ), le prince héritier d'Abou Dabi, à un responsable américain lors d’une réunion privée avant l'élection présidentielle de novembre 2016. 

Selon l’hebdomadaire américain The New Yorker, qui révèle l’information cette semaine, le prince émirati « n’était pas le seul leader de la région [du Moyen-Orient] à favoriser le rapprochement entre les anciens adversaires de la guerre froide. Alors que les plus proches alliés de l'Amérique voyaient avec effroi l'intérêt de Trump à s'associer avec Poutine, trois pays à l'influence sans pareil auprès de la nouvelle administration, Israël, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, ont adopté cet objectif ». 

Traduction : « Israël, les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite ont encouragé un rapprochement entre Trump et Poutine, en disant aux Américains que Moscou pourrait accepter de coopérer en Syrie en échange d'un allègement des sanctions liées à la Crimée »

En clair, explique Adam Entous, les officiels des trois pays ont, à plusieurs reprises, poussé leurs interlocuteurs à Washington à envisager de mettre fin aux sanctions liées à l'Ukraine en échange de l'aide de Poutine pour l'expulsion des forces iraniennes de Syrie.

« Les experts disent qu'un tel accord serait irréalisable, même s’il intéressait Trump. Ils disent que Poutine n'a ni l'intérêt ni la capacité de faire pression sur les forces iraniennes pour qu'elles quittent la Syrie. Des responsables de l'administration américaine ont déclaré que la Syrie et l'Ukraine figureront parmi les sujets dont Trump et Poutine discuteront lors de leur sommet à Helsinki le 16 juillet. Mais les fonctionnaires de la Maison-Blanche n'ont pas souhaité faire de commentaire. »

Le renforcement des sanctions par l’administration Trump, en juin 2017, a poussé Moscou à interrompre son canal de communication militaire avec les États-Unis en Syrie

La Russie subit des sanctions économiques, depuis 2014, par les États-Unis et l’Union européenne, pour son annexion de la Crimée et pour son soutien aux rebelles séparatistes dans l’est de l’Ukraine. Les sanctions américaines visent, notamment, 38 individus et entités en Ukraine ainsi que deux responsables gouvernementaux russes et une douzaine d'individus et organisations opérant en Crimée. 

Le renforcement de ces sanctions par l’administration Trump, en juin 2017, a poussé Moscou à interrompre son canal de communication militaire avec les États-Unis en Syrie. Moscou a aussi affirmé qu’elle pointerait désormais ses missiles vers les avions de la coalition internationale que dirigent les États-Unis dans la lutte contre le groupe État islamique (EI) en Syrie. 

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The New Yorker rappelle que « le procureur spécial, Robert Mueller, et l'équipe chargée d'enquêter sur l'ingérence de la Russie dans les élections de 2016 étudient si les Émirats arabes unis ont facilité les contacts entre l'équipe de Trump et les responsables russes qui ont cherché à influencer la politique américaine ».

« Neuf jours avant l'investiture de Trump, Erik Prince, le fondateur de Blackwater et un confident de Steve Bannon, a rencontré Kirill Dmitriev, le chef du fonds souverain russe - que les Émiratis ont utilisé comme intermédiaire avec Poutine - dans l’hôtel de MBZ aux Seychelles. » 

Réunions de haut niveau

En avril 2017, Adam Entous a révélé dans le Washington Post que lors d’une rencontre dans l'océan indien, les Émirats arabes unis avaient défendu l’idée qu’une restriction des relations de la Russie avec l’Iran, notamment sur le dossier syrien, pourrait amener l’administration Trump à faire des concessions majeures sur les sanctions américaines contre Moscou. 

L'équipe de Mueller s'est également intéressée aux réunions de l'équipe de transition de Trump en décembre 2016, auxquelles ont participé des responsables émiratis et russes. Une de ces réunions s'est tenue dans un hôtel à New York, avec la participation de Mohammed ben Zayed. Une autre s'est déroulée dans la Trump Tower et l’ambassadeur russe à Washingon, Sergey Kislyak, y a assisté.   

Vladimir Poutine avec le commandant en chef de la Marine russe, Vladimir Korolev, lors d’un défilé militaire le 30 juillet 2017 au cours duquel ont défilé les forces navales russes déployées de la mer Baltique jusqu’aux côtes syriennes (AFP)

« Lors de la réunion du 1er décembre 2016 entre Kislyak et l'équipe de transition de Trump, les deux parties ont abordé le conflit en Syrie. L'ambassadeur de Russie a proposé d'organiser un échange entre Michael Flynn, le futur conseiller à la sécurité nationale et ses « généraux » (…) Pour empêcher les agences de renseignement d'espionner la conversation, Kislyak proposa d'utiliser une ‘’ligne sécurisée’’. Ce qui a poussé Kushner [conseiller et gendre de Trump] à suggérer d'utiliser l'équipement de communication sécurisé de l'ambassade de Russie à Washington ».

L’enquêteur du New Yorker précise que « pour inciter Poutine à s'associer avec les États du Golfe plutôt qu'avec l'Iran, les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite ont investi des milliards de dollars en Russie et ont organisé des réunions de haut niveau à Moscou, Abou Dabi, Riyad et aux Seychelles ».

Le New Yorker précise que « pour inciter Poutine à s'associer avec les États du Golfe plutôt qu'avec l'Iran, les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite ont investi des milliards de dollars en Russie »

« On ne sait pas si la proposition de MBZ provenait de Poutine lui-même, ou de l'un de ses proches collaborateurs, ou si il ne s’agissait que d’une initiative du prince héritier émirati », reconnaît Adam Entous. Mais selon le journaliste, « MBZ croyait que le retournement de Poutine contre l'Iran exigerait un allègement des sanctions contre Moscou, une concession qui requiert le soutien d’un président américain ». 

Le journaliste affirme que d’anciens responsables américains lui ont confié : « Si Hillary Clinton avait remporté les élections, l'idée d'accepter l'agression russe en Ukraine n’aurait pas été possible. Mais Trump a promis une approche différente. »

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Sur un autre plan, Adam Entous révèle que les officiels israéliens « ont fait pression pour un rapprochement entre Washington et Moscou peu après la victoire électorale de Trump ». 

Il rapporte que Ron Dermer, l'ambassadeur israélien aux États-Unis et l'un des plus proches confidents du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, « a déclaré que le gouvernement israélien encourageait l'administration Trump à coopérer plus étroitement avec Poutine, à commencer avec la situation en Syrie, dans l'espoir de convaincre Moscou de pousser les Iraniens à quitter le pays ».

« Un ancien responsable américain s'est souvenu avoir eu une conversation après l'investiture de Trump avec un ministre israélien proche de Netanyahou, dans lequel le ministre avait proposé à l'Américain de ‘’négocier l'Ukraine pour la Syrie’’. » L’officiel US expliqua au journaliste que « pour Israël, le soutien russe à la Syrie est beaucoup plus important que repousser l’agression de Moscou contre l’Ukraine ».

Le deal tiendrait-il toujours ?

Ne lâchant pas l’affaire après l’entrée en fonction de Trump, Adel al-Jubeir, ministre saoudien des Affaires étrangères d'Arabie saoudite, et Abdullah ben Zayed, son homologue émirati, ont relancé l’idée lors d'un dîner privé, en mars 2017, avec des personnalistes américaines : « Leur message était ‘’pourquoi ne pas lever les sanctions contre la Russie en échange de la décision des Russes de faire sortir l'Iran de la Syrie ? ’’ », rapporte The New Yorker

Pourquoi pas. Mais, comme le rappelle Adam Entous, « le calendrier n'aurait pas pu être pire sur le plan politique. En plus de l'enquête imminente de Mueller, les membres du Congrès veulent étendre les sanctions contre la Russie et non pas les réduire ». 

Le ministre israélien de la Défense Avigdor Lieberman (à droite) et son homologue russe Sergueï Choïgou (à gauche) passent en revue la garde d’honneur lors d’une cérémonie de bienvenue au ministère de la Défense à Tel Aviv, le 16 octobre 2017. Choïgou et

Alors, un accord Trump-Poutine est-il abandonné pour autant ? Peut-être pas. Le journaliste américain rappelle que le président Trump, avant le prochain sommet de Helsinki, a « commencé à faire des déclarations qui suggéraient qu'il pouvait être prêt à conclure, après tout, un marché avec Poutine ». 

Le 8 juin, rappelle The New Yorker, « Trump a demandé que la Russie soit réadmise au G7 [Moscou en a été expulsée il y a quatre ans, après avoir annexé Crimée] ». 

Un accord Trump-Poutine est-il abandonné pour autant ? Peut-être pas

« Puis, lors d'un dîner au sommet du G7 au Canada, Trump aurait dit que la Crimée était russe parce que les gens parlent russe. Plusieurs semaines plus tard, lorsqu'on lui a demandé si les rapports selon lesquels il abandonnerait la position hostile de Washington contre l'annexion de la Crimée étaient justes, Trump a répondu : ''Nous allons voir''. »

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