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Un an après le début du blocus saoudien, le Qatar « trace sa propre voie »

Le blocus a contribué à réduire la dépendance de Doha vis-à-vis de ses voisins du Golfe, tant sur le plan économique que diplomatique. Mais pour de nombreuses familles déchirées, le traumatisme subsiste
Des promeneurs déambulent le long de la corniche de Doha (MEE/Wojtek Arciszewski)

DOHA – À mesure que la route de Salwa se rapproche de la frontière entre le Qatar et l’Arabie saoudite, la circulation diminue considérablement, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucune voiture dans les deux sens. La dernière station-service avant le poste frontalier est déserte.

Il y a un an, ce tronçon aurait été bouché par des camions, mais aujourd’hui, il n’y a guère de raison de rouler ici. Depuis douze mois, Riyad et ses alliés du Golfe imposent au Qatar un blocus terrestre, maritime et aérien pour tenter d’asseoir leur domination régionale.

Le commerce entre Doha et le groupe dirigé par l’Arabie saoudite a cessé et les citoyens n’ont toujours pas le droit de voyager entre le Qatar et les pays participant au blocus.

« Le blocus du Qatar s’inscrit dans un casse-tête beaucoup plus vaste – une refonte du paysage géopolitique de la région menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis »

– Noha Aboueldahab, chercheuse invitée au Brookings Doha Center

Au cœur de Doha, les effets du siège sont moins visibles. Les étagères des épiceries sont remplies de nourriture, les constructions de routes et de stades vont bon train et les centres commerciaux bourdonnent d’activité.

Dans un rapport récent, le Fonds monétaire international a estimé que les effets économiques du blocus étaient « transitoires » ; si les financements étrangers et les dépôts du secteur privé local ont baissé de 40 milliards de dollars, ces pertes ont été contrebalancées par des injections de liquidités effectuées par la banque centrale et le fonds souverain du Qatar, a relevé l’organisation.

Le blocus a obligé le Qatar à trouver des alternatives à ses politiques habituelles, tant sur le plan de la géopolitique que du fonctionnement de base de son économie, notent les analystes.

Doha a dû renoncer rapidement aux expéditions terrestres via la frontière saoudienne pour se résoudre à acheminer par avion certains produits, comme de la viande et des produits laitiers, depuis des pays tels que la Turquie, ainsi qu’à développer davantage ses propres industries nationales.

Ainsi, le blocus a contribué à réduire la dépendance de Doha vis-à-vis de ses voisins du Conseil de coopération du Golfe (CCG), a déclaré Abdullah al-Arian, professeur adjoint d’histoire à la School of Foreign Service de l’Université de Georgetown au Qatar.

« Le CCG était toujours dans une position consistant à tenter de forger une approche commune à toute la région, [mais] ces États n’étaient pas nécessairement d’accord », a expliqué Arian à Middle East Eye.

« En renforçant son autosuffisance, en particulier économique, le Qatar peut tracer sa propre voie d’une manière qui lui était interdite auparavant. »

Le piratage qui a tout déclenché

La crise du Golfe a débuté il y a un an, le 23 mai, lorsque des hackers ont accédé à la plateforme médiatique officielle du Qatar et publié de fausses déclarations critiques envers la politique étrangère américaine et attribuées à l’émir du pays.

Doha a par la suite dénoncé l’implication présumée d’Abou Dabi, citant « une violation manifeste du droit international et des accords bilatéraux et collectifs signés entre les États membres » du CCG.

La situation s’est rapidement détériorée lorsque l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte ont publié dans la matinée du 5 juin une série d’annonces synchronisées annonçant la rupture de leurs liens avec Doha.

Ces États ont promis de poursuivre le blocus jusqu’à ce que le Qatar se conforme à une liste de treize exigences, dont la fermeture du réseau Al Jazeera basé à Doha, la réduction des liens avec l’Iran et la fermeture d’une base militaire turque. Le Qatar a rejeté ces exigences, dénonçant un affront à sa souveraineté.

La route déserte menant à la frontière entre le Qatar et l’Arabie saoudite (Azi Najafi/MEE)

Suite à la nouvelle du blocus, un vent de panique a immédiatement traversé Doha, où les rayons des épiceries ont été vidés et de longues files d’attente se sont formées aux guichets automatiques. Bien que les stocks aient été reconstitués rapidement et que les liquidités ne se soient pas épuisées, des pénuries touchant certains produits et des fluctuations de prix ont persisté.

Mais au fil de cette année de blocus, il est devenu clair que « le niveau d’impact attendu n’a pas été atteint », a déclaré Mahjoob Zweiri, directeur du Centre d’études du Golfe de l’Université du Qatar.

« Désormais, […] il est devenu de plus en plus clair que le quatuor poursuit en réalité une attaque contre-révolutionnaire régionale, en particulier à la suite du Printemps arabe »

- Noha Aboueldahab

« Les gens ont vu plus de marchandises, d’articles et de diversification, même plus qu’avant le blocus », a indiqué Zweiri à MEE.

« Le Qatar semble avoir su répondre rapidement à ces petites questions relatives à des besoins fondamentaux […] ; ainsi, les efforts déployés pour minimiser les impacts de la crise sur la population ont porté leurs fruits. »

En fin de compte, les pays qui cherchaient à isoler le Qatar à travers le blocus ont échoué dans leur quête, a noté Zweiri, alors que Doha a rapidement noué des alliances avec d’autres pays d’Europe et d’Asie.

Le blocus a également stimulé la solidarité entre les citoyens qataris et les expatriés, qui se sont rassemblés autour d’un sentiment renforcé d’identité nationale.

Des violations des droits de l’homme

Pour certains, toutefois, le siège a eu des effets profonds et persistants. Human Rights Watch a détaillé des « violations graves des droits de l’homme » résultant du blocus, notamment la séparation de familles, l’interruption de soins médicaux et la situation de blocage connue par des travailleurs immigrés. 

« Le blocus m’a vraiment affecté ainsi que ma famille sur le plan personnel », a déclaré à MEE Abdulla, un entrepreneur qatari qui n’a pas souhaité communiquer son nom de famille.

« Étant à moitié bahreïni et à moitié qatari, comme beaucoup d’autres ici, le blocus a déchiré [ma famille]. Mon père, qui a toujours un passeport bahreïni, se trouvait à Bahreïn à ce moment-là et nous ne savions pas quand les choses allaient se calmer, ni quand il pourrait recommencer à nous rendre visite régulièrement comme il en avait l’habitude. »

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En décembre dernier, six mois après le début du blocus, Amnesty International a constaté que les pays participant avaient consenti « peu d’efforts réels pour soulager les souffrances des personnes touchées, notamment de nombreuses familles mixtes confrontées à des séparations traumatisantes, […] alors que rien n’indiqu[ait] qu’une solution [était] en vue. »

Un an après son début, « il est désormais évident que le blocus du Qatar s’inscrit dans un casse-tête beaucoup plus vaste, qui est dans l’absolu une refonte du paysage géopolitique de la région menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis », a affirmé Noha Aboueldahab, chercheuse invitée au Brookings Doha Center.

« Il a été intéressant d’observer le changement de discours ; au départ, le quatuor était déterminé à avancer l’accusation selon laquelle le Qatar était un parrain du terrorisme. Désormais, […] il est devenu de plus en plus clair que le quatuor poursuit en réalité une attaque contre-révolutionnaire régionale, en particulier à la suite du Printemps arabe », a indiqué Aboueldahab à Middle East Eye, en référence au soutien apporté par le Qatar à la vague de soulèvements anti-gouvernementaux qui ont balayé la région il y a sept ans, considérée comme une menace par Riyad et ses 

Le CCG se réconciliera-t-il ?

En attendant, alors que l’issue du bras de fer est encore incertaine, nombreux sont ceux à Doha qui se sont tout simplement résignés à la « nouvelle réalité » de la vie sous le blocus, a indiqué Arian. 

Des acheteurs parcourent les étals de marchandises au Souq Waqif de Doha (Wojtek Arciszewski/MEE)

Rehab al-Naimi, une citoyenne qatarie qui travaille dans le secteur financier, a déclaré à MEE que le plus grand changement qu’elle a observé au cours de l’année écoulée a été une baisse de moral.

« Nous avons la chance de vivre dans un pays capable de préserver le niveau de vie […] L’impact matériel du blocus n’a donc jamais été une grande préoccupation », a-t-elle affirmé.

« Ce que nous ne sommes pas en mesure de contrôler, c’est la pression que ce blocus exerce sur les relations au sein des familles réparties dans plusieurs pays du CCG »

- Rehab al-Naimi, citoyenne qatarie

« Ce que nous ne sommes pas en mesure de contrôler, c’est la pression que ce blocus exerce sur les relations au sein des familles réparties dans plusieurs pays du CCG, lorsqu’un ou plusieurs membres de la famille sont originaires d’un pays participant au blocus ou sont mariés à une personne qui est dans cette situation. » 

Ainsi, a-t-elle poursuivi, le blocus « dicte désormais la façon dont les gens dans un pays du CCG voient ceux qui viennent d’autres pays du CCG […] Nous sommes pour la plupart pessimistes quant à une réconciliation dans un avenir proche et nous nous attendons à ce que le blocus dure de nombreuses années ». 

Alors que beaucoup restent sceptiques quant à une résolution imminente, la situation pourrait évoluer rapidement, comme cela a été le cas ces derniers jours, remarquent les analystes.

Néanmoins, quoi qu’il advienne par la suite, une chose est claire selon Aboueldahab : « Le CCG en tant que conception sociale et politique ne sera certainement plus jamais le même. »

– Azi Najafi a contribué à ce reportage depuis Doha.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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