EN IMAGES : La vie cachée des Amazighs algériens
À sa mort en 1985, le photographe algérien Lazhar Mansouri a laissé des milliers de portraits montrant la vie quotidienne des habitants de sa ville à une époque où le pays connaissait des troubles politiques. Inconsciemment, il allait rendre ainsi compte de l’histoire de la dernière génération de femmes issue d’une tribu amazighe chaouie, dont certaines perpétuaient encore une longue tradition de tatouage facial.
Ces photos ont été présentées en mars lors d’une exposition consacrée à l’œuvre de Mansouri, organisée à la Westwood Gallery NYC et intitulée « Lifting the Veil: Portraits of Amazigh Women » (Lever le voile : portraits de femmes amazighes). Toutes les photos sont de Lazhar Mansouri (avec l’aimable autorisation de Westwood Gallery NYC).
L’intimité discrète, la spontanéité et la familiarité détendue qui transparaissent dans les photographies de Lazhar Mansouri, prises avec un équipement minimal, sont des documents rares de l’une des périodes les plus difficiles de l’histoire algérienne, la lutte pour l’indépendance contre la France.
Jusqu’à ce que la galerie Westwood ne l’obtienne pour la première exposition de son œuvre en 2007, intitulée « Portraits of a Village: 1950-70 » (Portraits d’un village : 1950-1970), le travail de Lazhar Mansouri n’était pas reconnu au niveau international.
Né dans la ville d’Aïn Beïda, au nord-est de l’Algérie, le photographe a ouvert son premier studio à l’arrière d’un barbier. Bien connu dans la région pour ses talents artistiques de portraitiste au début des années 1950, il a été chargé par les Chaouis (des Amazighs qui vivent pour la plupart dans l’est du pays) de saisir les moments les plus importants et les plus intimes de leur vie.
Certains des sujets de Lazhar Mansouri ont choisi d’être immortalisés dans des poses détendues en opposition aux portraits de famille plus formels. D’autres images qui ont survécu montrent des adolescents vêtus de cuir posant avec des cigarettes, ou des soldats appartenant à des unités médicales, recensant ainsi un large éventail de la société.
Les familles et les individus immortalisés sur les photographies de Lazhar Mansouri montrent une phase de transition dans la culture locale dans la période qui a suivi la révolution algérienne (1954-1962), pendant les premières années de l’indépendance. Alors que certaines familles étaient vêtues à l’occidentale, d’autres sont venues dans l’atelier de Lazhar Mansouri avec leurs tenues et bijoux traditionnels algériens.
Les femmes photographiées sont d’âges divers et, comme le suggèrent leurs vêtements et leurs bijoux, sont issues de classes sociales variées. Une des caractéristiques distinctives de la classe sociale est l’utilisation de tatouages faciaux. Le tatouage facial amazigh (appelé ushem ou tchiradh en dialecte local) était un rite de passage vers la féminité pour les jeunes filles de familles moins aisées. Cette tradition exclusivement féminine servait souvent à marquer le début de la puberté, sur le corps, le visage ou les deux, et était une déclaration sociale artistique indiquant qu’une fille était prête pour le mariage.
Les femmes amazighes s’inspirent principalement, dans leurs arts, des éléments naturels – le tatouage le plus commun, par exemple, est le Siyala de la fertilité, inspiré par les palmiers et représenté par une ligne droite de la lèvre inférieure au centre ou au bas du menton. En plus du Siyala, beaucoup de femmes apparaissant sur les photographies de Mansouri présentent un tatouage en forme de diamant sur les joues. Inspiré par la forme d’une étoile, il était souvent tatoué sur la joue et censé protéger les filles et les femmes.
Porter des symboles d’appartenance tribale était également très commun et servait de témoignage visuel de l’identité sur la peau. Mais la tradition s’était éteinte dans le reste de l’Algérie en 1962, en grande partie à cause de la politique post-indépendance de l’État consistant à exalter un intérêt national pour les enseignements islamiques qui interdisent les tatouages corporels.
Entre 1950 et 1980, Lazhar Mansouri a amassé des archives photographiques contenant des milliers d’images. Avant de mourir, à 53 ans, il a demandé à un ami de brûler les archives restantes par souci pour la vie privée de ses clients. Mais au lieu de les brûler, son ami a gardé les photographies en lieu sûr jusqu’à ce que la Galerie Westwood les expose pour la première fois en 2007.
Les photographies de Mansouri sont aujourd’hui devenues des représentations synoptiques de la culture amazighe algérienne. Son travail a « noué le dialogue et ajouté une nouvelle voix à la conversation portant sur le sens de la photographie et son histoire », estiment les propriétaires de la Westwood Gallery, James Cavello et Margarite Almeida.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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