Algérie : coup de filet contre l’opposition à la veille des élections
L’opposant Karim Tabbou, figure du hirak, Ihsane El Kadi, directeur d’une station de radio proche de ce mouvement contestataire populaire qui a conduit à la chute du président Abdelaziz Bouteflika en 2019, et le journaliste indépendant Khaled Drareni, directeur du site d’information Casbah Tribune, ont été arrêtés jeudi en fin de journée, à quelques heures des élections législatives qui doivent se tenir ce samedi en Algérie.
« Arrestation de #Karim_Tabbou près de chez lui », a écrit son frère Djafar sur sa page Facebook.
Ihsane El Kadi, journaliste et directeur de la station Radio M et du site d’information Maghreb Emergent, a été interpellé par les services de sécurité à sa sortie de son bureau à Alger en fin d’après-midi, a rapporté Radio M.
Khaled Drareni, considéré par certains comme le symbole du combat pour la liberté de la presse en Algérie, était d’abord injoignable depuis plusieurs heures jeudi en fin de soirée, selon Casbah Tribune.
Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), a estimé qu’il avait été arrêté.
Et Zoubida Assoul, avocate et présidente du parti de l’Union pour le changement et le progrès (UCP), a indiqué dans un post sur Facebook que Drareni avait appelé sa famille à 2 h du matin ce vendredi pour confirmer son arrestation.
Traduction : « Khaled Drareni informe sa famille qu’il est [à la caserne d’] Antar depuis quelques heures. »
Condamné à une lourde peine de prison mais en liberté provisoire, Drareni est en attente d’un nouveau procès.
Karim Tabbou, 47 ans, avait été libéré le 29 avril sous contrôle judiciaire après une altercation avec Bouzid Lazhari, président du Conseil national des droits de l’homme (CNDH), un organisme officiel.
Emprisonné de septembre 2019 à juillet 2020, Tabbou est un visage très populaire de la contestation, déclenchée en février 2019 pour s’opposer à un cinquième mandat de Bouteflika.
Quant à Ihsane El Kadi, il a été placé sous contrôle judiciaire le 18 mai. Il est accusé de « diffusion de fausses informations à même de porter atteinte à l’unité nationale », « perturbations des élections » et « réouverture du dossier de la tragédie nationale » des années 1990.
Ce dernier chef d’accusation se réfère à la Charte pour la paix et la réconciliation, censée tourner la page de la guerre civile de la « décennie noire » (1992-2002).
Aux termes du contrôle judiciaire, il est interdit aux deux hommes de parler à la presse.
« Élections discréditées »
Ces arrestations ont eu lieu à 48 heures des législatives anticipées voulues par le pouvoir mais rejetées par le hirak et une partie de l’opposition, sur fond de répression des marches du hirak et d’arrestations.
Dimanche, en conseil des ministres, un article de loi modifiant le code pénal par ordonnance présidentielle a été adopté.
L’article 87 prévoit de considérer « comme acte terroriste ou sabotage, tout acte visant la sûreté de l’État, l’unité nationale et la stabilité et le fonctionnement normal des institutions par toute action ayant pour objet de […] œuvrer ou inciter, par quelque moyen que ce soit, à accéder au pouvoir ou à changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels ; porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou inciter à le faire, par quelque moyen que ce soit ».
De son côté, le procureur du tribunal de Sidi M’Hamed à Alger a annoncé, lors d’une conférence de presse jeudi, l’arrestation de dix personnes membres d’une « cellule qui incitait aux rassemblements et à l’atteinte à la sécurité nationale ».
Douze autres personnes sont en fuite, dont une partie à l’étranger, selon le procureur, qui a mentionné la France et les États-Unis.
Le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), une association de soutien, a fait état d’autres arrestations à Alger et Oran (nord-ouest).
Au même moment, le président Abdelmadjid Tebboune affirmait, lors d’une visite à l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE) : « Le citoyen est souverain dans le choix de ses représentants à l’Assemblée populaire nationale. »
À l’approche de l’échéance électorale, le pouvoir algérien, accusé par certains d’être une façade civile de l’armée, a multiplié les interpellations et les poursuites judiciaires visant opposants politiques, militants hirakistes, avocats et journalistes indépendants.
« La répression a déjà disqualifié et discrédité les élections législatives, elles ne sont ni ouvertes, ni transparentes, ni démocratiques. L’approche par le tout-sécuritaire est un aveu d’échec de la ‘’feuille de route’’ politique. Un rendez-vous raté pour l’Algérie », a réagi vendredi soir le président de la LADDH, Saïd Salhi.
Au moins 222 personnes sont actuellement incarcérées pour des faits en lien avec le hirak et/ou les libertés individuelles, selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD).
La LADDH a publié ce vendredi un communiqué pour « rejeter le scrutin et dénoncer la répression des autorités ».
« En conséquence, nous affirmons que la répression brutale des autorités ne fera que compliquer la situation, et ne pourra jamais arrêter la voie de la libération adoptée par tous ceux qui sont convaincus de la nécessité d’une rupture avec le système et ses mentalités », souligne le texte déjà signé par plus d’une centaine de personnes.
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