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Algérie : l’oléiculture prospère malgré le réchauffement climatique

Alors que de plus en plus de producteurs tentent de propulser l’huile d’olive algérienne sur le devant de la scène internationale, cette dynamique est menacée par la sécheresse et les incendies
Le producteur algérien d’huile d’olive Hakim Alileche, à Ain Oussera dans la province de Djelfa, au sud de la capitale algérienne. Son huile, Dahbia, remporte régulièrement des prix à l’international : ce mois de mai, elle a obtenu deux médailles d’or, en Suisse et au Danemark (Ryad Kramdi/AFP)
Le producteur algérien d’huile d’olive Hakim Alileche, à Ain Oussera dans la province de Djelfa, au sud de la capitale algérienne. Son huile, Dahbia, remporte régulièrement des prix à l’international : ce mois de mai, elle a obtenu deux médailles d’or, en Suisse et au Danemark (Ryad Kramdi/AFP)
Par Yasmine Marouf Araibi à ALGER, Algérie

Dans le café de Mounir, rue Belouizdad, dans le centre d’Alger, on retrouve ce qu’un café ordinaire peut proposer, des boissons et des gâteaux, mais un nouvel ingrédient a fait intrusion : l’huile d’olive.

Un papier rectangulaire sur lequel on peut lire « Huile d’olive de Jijel de bonne qualité » est collé sur le réfrigérateur, à l’entrée de l’établissement, afin d’attirer l’attention de la clientèle, mais aussi les passants qui ne sont pas forcément des adeptes du lieu.

« Nous sommes originaires de Jijel [à l’est d’Alger], une des préfectures connues pour sa production d’huile d’olive, et nous commercialisons les produits de nos champs », confie Mounir à Middle East Eye. « Notre point de vente est désormais connu. Les gens nous font confiance et préfèrent acheter l’huile d’olive auprès des agriculteurs que de l’huile d’olive industrielle. On ne peut jamais savoir ce qu’il y a dans ces bouteilles. »

Au café, Mounir vend la production de la saison, mais l’huile d’olive est commercialisée tout au long de l’année.

« Mon frère, à Ain Naadja [banlieue d’Alger], est constamment sollicité. On peut trouver chez lui les huiles des années précédentes », affirme-t-il.

À M’Chedallah, commune de Bouira, à 120 kilomètres à l’est d’Alger, Abdelkrim, 32 ans, cadre commercial, consacre ses week-ends à travailler dans les champs d’oliviers de sa famille.

« J’adore cet arbre », se contente-t-il de dire pour expliquer sa passion pour l’olivier et l’huile.

« Nous ne comptions que 200 arbres à la fin de la décennie noire [les années 1990, appelées ainsi en raison de la guerre civile] car il était hasardeux d’entretenir les champs durant cette période », se remémore Abdelkrim.

« Nous, les petits-fils, avons repris le relais après le décès de mon grand-père en 2004. Nous avons construit un bassin et un puits et planté de nouveaux arbres. Nous comptons désormais 920 oliviers. »

Des formations pour de « bonnes pratiques »

Les procédés de culture et d’extraction de l’huile d’olive sont considérés comme un rituel pour certaines populations, au point qu’en décembre 2023, l’UNESCO a classé les rituels, festivités et autres pratiques sociales marquant le début et la fin des récoltes des olives en Turquie au patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

En Algérie aussi, la fabrication d’huile ne se résume pas à la cueillette du fruit et à sa pression, mais relève d’une tradition qui permet d’être en contact avec la terre et à laquelle toute la famille doit prendre part.

« Il est très important pour nous que toute la famille participe », affirme à MEE Célia, jeune étudiante originaire de Tizi-Ouzou (Kabylie) basée à Alger. « C’est un moyen pour que les proches, qui habitent différents coins du pays, et même à l’étranger, se retrouvent. »

Selon l’étudiante, « chaque membre de la famille fait en sorte de s’organiser afin de participer ne serait-ce qu’à une partie du processus. »

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« La période de la récolte débute généralement mi-septembre et peut s’étaler parfois jusqu’à mi-janvier », explique Abdelkrim. « La famille entière participe à ce travail. Une grande sagesse se cache derrière ces pratiques qui réunissent la famille et résolvent les conflits. »

Longtemps monopole des paysans, le marché de l’huile d’olive est depuis quelques décennies pris d’assaut par des industriels qui ont déclaré la guerre aux pratiques ancestrales d’extraction et à la culture de consommation de l’huile d’olive.

Dans l’optique d’inculquer de nouvelles pratiques aux producteurs, une formation s’est tenue à la ferme biologique Lella Meriem à Misserghrin (à l’ouest d’Oran, deuxième ville de l’Algérie). La formation organisée sous le parrainage du Conseil oléicole international voulait rompre avec « les mauvaises pratiques de production ».

Connaître la meilleure période pour la récolte, suivre les règles pour une pression optimale… Samira Lachkham Sifi, experte tunisienne en analyse sensorielle de l’huile d’olive auprès du Conseil oléicole international, a expliqué devant une vingtaine de participants les étapes à suivre pour l’obtention d’une huile d’olive extra-vierge ou vierge. Et comment éviter une l’huile courante ou lampante (acide et aux caractéristiques organoleptiques pauvres).

« La culture de consommation de l’huile d’olive en Algérie est difficile à changer »

- Nabil Arezki, cadre technico-commercial à Numidia

« Pour faire la différence entre les différents types d’huile d’olive, il faut mettre de côté sa nostalgie et se détacher du goût de l’huile avec laquelle nous avons grandi », a appelé Samira Lachkham Sifi.

Si la spécialiste insiste sur ce point, c’est parce que l’huile d’olive extra-vierge est plus amère, ce qui peut déplaire aux consommateurs des huiles courantes, généralement plus douces en goût.

Pour la spécialiste, rien ne doit être fait de façon aléatoire et toutes les étapes doivent répondre à des règles précises. « Une production qui ne respecte pas les normes ne peut produire une huile de qualité », insiste-t-elle.

« La majorité des huiles consommées en Algérie sont lampantes », constate pour MEE Nabil Arezki, cadre technico-commercial pour l’entreprise d’huile d’olive Numidia, filiale du groupe agroalimentaire Ifri.

« Nous avons toujours cette culture d’acheter les huiles dans les moulins et avec des emballages qui ne respectent pas les normes. La culture de consommation de l’huile d’olive en Algérie est difficile à changer, mais c’est un défi que nous nous sommes promis de relever. »

Numidia produit une moyenne de 200 000 litres par an, dont une large partie est destinée au marché local, précise-t-il. « Nous exportons approximativement 50 000 litres vers l’Europe, le Canada et les États-Unis, entre autres pays. »

Promouvoir le produit algérien à l’international

De plus en plus, les Algériens s’approvisionnent en supermarchés. « Pourquoi attendre qu’un voisin ou un proche nous ramène de l’huile d’olive quand on peut se la procurer nous-mêmes ? », souligne, pragmatique, Samira, mère de famille algéroise.

Asma, jeune employée dans une agence de communication d’Alger, préfère, elle aussi, acheter son huile d’olive dans les grandes surfaces, mais pour d’autres raisons.

« J’achète l’huile extra-vierge. Nous oublions souvent que l’olive est un fruit et que c’est la façon dont il est préparé qui lui permet de garder ses éléments nutritifs », précise-t-elle à MEE.

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Au-delà de ses atouts nutritifs, l’huile d’olive contribue à promouvoir le produit algérien à l’échelle internationale. C’est le cas de la marque Baghlia, produite par l’huilerie Kiared. Sur le marché depuis 1997, Baghlia détient un palmarès de plus de vingt récompenses internationales. Sept consécrations internationales ont été décrochées rien que depuis 2021.

Si l’huile Baghlia est autant primée, c’est parce que ses producteurs, dont les vergers se trouvent en Oranie – l’huilerie est à Boumerdes, à 60 km d’Alger –, ont rompu avec les méthodes ancestrales.

« Pour obtenir une huile extra-vierge, la période entre la cueillette de l’olive et sa pression ne doit pas dépasser les 24 heures. Pour la vierge, nous pouvons aller jusqu’à 48 heures. Plus l’extraction tarde, plus le taux d’acidité de l’olive va augmenter », explique Mohamed Kiared, un des responsables de l’entreprise, à MEE.

Dans ce cas, explique le producteur, l’huile d’olive peut être bonne en goût, mais ses valeurs nutritives ont diminué. Mohamed Kiared évoque d’autres paramètres à respecter.

« L’huile d’olive produite de façon traditionnelle est souvent en contact avec l’air, ce qui est nocif. Le liquide doit être stocké dans des cuves en inox, préservé du contact avec l’air et la lumière », détaille-t-il.

Une carte oléicole en évolution

Si la Kabylie est la région la plus connue pour la production d’huile d’olive, la carte oléicole algérienne a beaucoup évolué ces dernières années.

L’olivier est désormais planté dans d’autres régions de l’intérieur et du sud du pays.

« Nous disons souvent ‘’l’huile des Kabyles’’ au lieu de l’huile d’olive. Mais nous ignorons qu’elle est aussi produite à Biskra, à 400 kilomètres au sud-est d’Alger, et à Dejlfa, à 300 kilomètres au sud d’Alger », souligne Ayoub, agriculteur oranais, auprès de MEE.

« De nombreuses personnes ignorent aussi que l’olivier est présent dans l’ouest du pays, notamment à Oran et Tlemcen, où il prospère depuis des décennies. »

Champ d’oliviers au sud d’Alger, le 15 mai 2022 (Ryad Kramdi/AFP)
Champ d’oliviers au sud d’Alger, le 15 mai 2022 (Ryad Kramdi/AFP)

Alors que de plus en plus de producteurs tentent de propulser l’huile d’olive algérienne sur le devant de la scène internationale, cette dynamique est menacée par le réchauffement climatique.

Les feux de forêts ravagent par exemple des milliers d’hectares de végétation chaque été en Algérie et les oliviers se retrouvent souvent au cœur des flammes.

Bien que ses champs n’aient pas été impactés par les feux de forêts, Abdelkrim, à Bouira, craint le spectre d’un autre ennemi : la sécheresse.

« La récolte diminue de plus en plus depuis près de huit ans en raison de la sécheresse. Nous avons un petit barrage qui n’a pas atteint son niveau de remplissage depuis près d’une décennie alors qu’avant cela, il était entièrement rempli dès le mois de novembre… » 

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