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Un combattant islamiste arrêté par l’Algérie insiste sur la rançon « payée par la France » pour libérer les otages au Mali

De la présence de militaires français dans les prisons maliennes, de leur rôle dans la libération des prisonniers et otages, du sort d’Iyad ag-Ghali : les confessions d’un combattant islamiste détenu par les autorités algériennes renseignent sur la situation au Sahel
Selon Mustapha al-Djazaïri, ce sont des représentants du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA, en photo), qui ont remis les prisonniers libérés aux groupes islamistes armés de la région (AFP)
Selon Mustapha al-Djazaïri, ce sont des représentants du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA, en photo), qui ont remis les prisonniers libérés aux groupes islamistes armés de la région (AFP)
Par Malek Bachir à ALGER, Algérie

« Je n’avais pas une idée précise des négociations. Mais tout le monde à la prison savait qu’elles tournaient autour de l’argent. Après, nous avons su que la somme avoisinait les 10 millions d’euros, avant d’atteindre les 30 millions d’euros. »

Mustapha Derrar, alias Mustapha al-Djazaïri, dont le témoignage avait été diffusé sur les chaînes de télévision algérienne fin octobre, revient en détail ce lundi dans le quotidien francophone El Watan sur son parcours et sur les négociations qui ont permis la libération par le Mali, début octobre, de quelque 200 membres de groupes islamistes armés, en échange de celle de quatre otages étrangers, dont la Franco-Suisse Sophie Pétronin

« Cette année, les visites des militaires français à la prison se sont multipliées. J’ai appris par certains prisonniers que des négociations pour la libération de tous les pensionnaires de la prison étaient en cours par l’intermédiaire de Iyad ag-Ghali », raconte-t-il. 

Iyad ag-Ghali (au centre) dans une vidéo annonçant la formation du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans au Maghreb islamique (Twitter)
Iyad ag-Ghali (au centre) dans une vidéo annonçant la formation du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans au Maghreb islamique (Twitter)

Iyad ag-Ghali, émir du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), qui regroupe une partie d’al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Ansar Dine et les katibas (phalanges) du Macina d’Amadou Koufa, serait, selon des sources sécuritaires algériennes, à la tête d’une force de quelque 2 000 hommes. 

Le rôle de ce chef très influent au nord du Mali, rompu aux négociations – il est depuis longtemps l’intermédiaire connu de nombreux pays qui souhaitent récupérer des otages – n’est pas une surprise.

Mais la France a toujours démenti avoir été impliquée dans des négociations pour la libération des otages et avoir payé une rançon pour libérer Sophie Pétronin. « Nous n’étions pas partie de ces négociations », avait déclaré le 12 octobre dans la presse le Premier ministre français Jean Castex, évoquant un « geste humanitaire » des ravisseurs.

En novembre, Emmanuel Macron a également insisté sur cet aspect dans un entretien accordé à Jeune Afrique, dans lequel il a assuré : « Avec les terroristes, on ne discute pas, on combat. » 

Oreille coupée

Mustapha al-Djazaïri raconte avoir été libéré avec un groupe de 70 autres prisonniers, transportés dans des bus de l’armée malienne jusqu’à l’aéroport de Bamako puis embarqués sur un vol militaire vers le nord du Mali. « Sur place, il y avait trois véhicules de type 4x4 appartenant à l’ONU qui nous attendaient et leurs occupants nous ont remis aux représentants du MNLA [Mouvement national de libération de l’Azawad, une organisation séparatiste touarègue] », qui les ont ensuite remis aux groupes islamistes armés de la région. 

Après avoir croisé d’autres groupes de combattants, il raconte être revenu en Algérie avant d’être arrêté à Tlemcen (ouest). 

Il affirme en outre que le campement d’Iyad ag-Ghali, considéré par les États-Unis et la France comme une cible, se trouve à quelques centaines de kilomètres de Kidal, dans l’est du Mali. 

Le 25 novembre, Middle East Eye avait révélé que les forces de sécurité algériennes étaient en train de « rechercher activement » vingt membres de groupes de combattants islamistes parmi les prisonniers libérés par Bamako, dont des membres de l’ex-MUJAO (Mouvement pour l’unicité du djihad et de l’Afrique de l’Ouest) et de la katiba des Enturbannés.

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Depuis la libération de ces prisonniers, Alger ne décolère pas, accusant officieusement « des parties étrangères » (comprendre : la France) d’avoir payé une rançon aux groupes armés alors que sa position officielle est de ne pas verser de rançons en contrepartie de la libération d’otages. Mais selon le New York Times, Paris aurait versé à al-Qaïda quelque 58,1 millions de dollars de rançon entre 2008 et 2014.

« Ces pratiques inadmissibles et contraires aux résolutions de l’Organisation des Nations unies incriminant le versement de rançons aux groupes terroristes entravent les efforts de lutte contre le terrorisme et de tarissement de ses sources de financement », a dénoncé le ministère de la Défense algérien. 

L’interview de Mustapha al-Djazaïri renseigne aussi sur le parcours de ce combattant islamiste passé par la Libye et le Mali. Il raconte par exemple comment il a réchappé à une embuscade tendue par les militaires français au nord du Mali. 

Le campement d’Iyad ag-Ghali, considéré par les États-Unis et la France comme une cible, se trouverait à quelques centaines de kilomètres de Kidal selon Mustapha al-Djazaïri

« C’était vers la fin de janvier 2013. Il y a eu beaucoup de morts. J’ai réussi à me sortir du déluge de feu pour me cacher durant plusieurs jours avant que les militaires maliens ne m’arrêtent. Ils m’ont fait subir des tortures atroces et m’ont coupé une partie de mon oreille. Après, ils m’ont livré aux Français qui [se trouvaient] dans une caserne à Gao. »

Il évoque un « long interrogatoire effectué par des militaires français et des personnes qui parlent parfaitement le dialecte algérien » ainsi que les conditions de détention dans les prisons maliennes, où circuleraient aussi beaucoup les militaires français. Il raconte aussi qu’alors que lui n’avait « droit à rien », « les membres du groupe d’Iyad ag-Ghal, du MNLA ou des autres organisations recevaient de l’argent, des couvertures et de la nourriture. » 

En prison, il dit aussi avoir appris la mort de Mokhtar Belmokhtar, « tué et enterré en Libye ». 

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