Algérie-Maroc : derrière l’achat de drones de combat, l’escalade
Dans un contexte de relations diplomatiques tendues entre Alger et Rabat, faut-il s’inquiéter des commandes et livraisons de drones en Algérie et au Maroc ?
Mi-septembre, le Maroc a reçu treize drones de combat turcs Bayraktar TB2. L’information a été donnée par le forum Far-Maroc, une page Facebook non officielle des Forces armées marocaines (FAR), et reprise par plusieurs médias locaux. Cette commande aurait été passée « dans le cadre de la modernisation de l’arsenal des FAR afin de se préparer à faire face à tout danger et aux récentes hostilités », a indiqué Far-Maroc.
À la suite du contrat passé avec la compagnie turque Baykar, d’un montant de 70 millions de dollars selon un chiffre mentionné par la presse, du personnel militaire marocain a suivi un programme de formation en Turquie ces dernières semaines, a précisé le site Far-Maroc.
L’entreprise privée Baykar, qui fournit les drones au Maroc, dirigée par un gendre du président Recep Tayyip Erdoğan, a déjà exporté ces dernières années le Bayraktar TB2, son modèle vedette, en Ukraine, au Qatar et en Azerbaïdjan.
De son côté, l’Algérie, qui déploie déjà six types de drones dont quatre d’attaque, aurait aussi, selon le site Menadefense, passé commande de 24 drones WingLoong II auprès du Chinois AVIC.
Dans les deux cas, il s’agit de drones de combat (équipés de missiles, qui ciblent, détruisent et reviennent à leur base). Mais des informations publiées le 15 septembre par la lettre confidentielle Africa Intelligence révèlent que Rabat envisagerait de mettre en place un programme dédié au développement de drones kamikazes en collaboration avec la filiale BlueBird Aero Systems du groupe israélien Israel Industries (IAI).
« Le développement d’une filière locale, avec l’aide d’opérateurs israéliens, serait la compensation industrielle de l’achat, par Rabat, de drones tactiques d’observation auprès d’une filiale d’IAI », précise la lettre.
À la différence d’un drone de combat, le drone kamikaze est rempli d’explosifs et s’écrase puis explose sur sa cible.
« Il ne faut pas dramatiser »
Cette information, qui n’a été confirmée ni du côté marocain ni du côté israélien, soulève toutefois des inquiétudes alors que s’exacerbe la crise diplomatique entre l’Algérie et le Maroc, largement entretenue par les médias des deux pays.
Alors que ce lundi 27 septembre, le quotidien francophone algérien El Watan impute la « précarité de la stabilité » à « l’attitude du Maroc consistant à entraver le processus onusien devant aboutir au référendum d’autodétermination du Sahara occidental », le site marocain le360 accuse le ministre algérien des Affaires étrangères Ramtane Lamamra d’« hystérie » et qualifie le président Abdelmadjid Tebboune de « chef d’État de pacotille ».
La récente normalisation des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël, en contrepartie d’une reconnaissance américaine de la « souveraineté » marocaine sur le Sahara occidental, a encore avivé les tensions avec l’Algérie, fervent soutien des causes palestinienne et sahraouie.
Ces relations ont pris un nouveau coup mercredi dernier lorsque l’Algérie a annoncé avoir fermé son espace aérien à l’ensemble du trafic civil et militaire marocain.
Fin août, l’Algérie avait aussi annoncé son intention de ne pas renouveler le contrat d’exploitation du gazoduc Maghreb-Europe (privant ainsi le Maroc d’une partie de ses approvisionnements en gaz). Au Maroc, certains médias s’inquiètent de voir le système d’interconnexion électrique remis en question.
La semaine dernière, l’Algérie a aussi fermé un tronçon de route nationale stratégique reliant une ville du sud du Maroc (Agadir) à une ville se situant à 900 km au nord de l’Algérie (Bouarfa), dans sa partie algérienne (de la frontière marocaine à Bouarfa).
« Il ne faut pas dramatiser l’acquisition de ces drones : il s’agit d’achats programmés : le Maroc comme l’Algérie achètent des drones depuis longtemps et continueront d’en acheter, il n’y a rien d’exceptionnel à cela », nuance auprès de Middle East Eye Akram Kharief, animateur du site Menadefense, qui rappelle par ailleurs que les théâtres de guerre sur lesquels les drones ont été utilisés récemment ne peuvent pas être comparés à la configuration Algérie-Maroc.
« Soit les drones ont été utilisés comme ‘’aviation du pauvre’’, au Yémen ou en Libye, soit sur de toutes petites lignes de front, comme au Haut-Karabakh, des contextes vraiment très différents. »
Après quasiment 30 ans de cessez-le-feu, les hostilités entre le Polisario et le Maroc ont repris mi-novembre à la suite du déploiement de troupes marocaines à l’extrême sud du Sahara occidental pour déloger des indépendantistes qui bloquaient la seule route vers l’Afrique de l’Ouest car cet axe routier est, selon eux, illégal.
Toutes les tentatives de règlement du conflit ont échoué jusqu’ici.
Rabat, qui contrôle près de 80 % du Sahara occidental, vaste territoire désertique où de grands chantiers de développement marocains ont été lancés ces dernières années, propose un plan d’autonomie sous sa souveraineté.
Le Front Polisario, lui, réclame un référendum d’autodétermination sous l’égide de l’ONU prévu lors de la signature d’un cessez-le-feu entre les belligérants en septembre 1991.
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